VRAI OU FAKE. Retour des talibans en Afghanistan : cette photo virale d’étudiantes en mini-jupes est-elle repr – franceinfo

Les femmes afghanes “pourront travailler, étudier et (…) être activement impliquées dans la vie quotidienne”. Telle est la promesse faite par le porte-parole des talibans, Zabihullah Mujahid, lors d’une conférence de presse, mardi 17 août à Kaboul, après la prise de la capitale. Mais cet engagement est déjà contredit par les faits. Dans les territoires contrôlés par le groupe islamiste fondamentaliste, les droits des femmes sont remis en cause : éducation interdite après l’âge de 7 ans, mariages forcés, interdiction des déplacements individuels… Des femmes afghanes contactées par franceinfo craignent de voir leurs libertés réduites à néant par le nouveau pouvoir.

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Afin d’illustrer cette inquiétude, de nombreux internautes ont relayé une même photographie sur les réseaux sociaux. Un cliché où figurent trois jeunes Afghanes portant des mini-jupes et marchant dans une rue de Kaboul en 1972. Un “âge d’or”, commente l’un de ces internautes, qui se présente comme un enseignant de philosophie. Mais cette image est-elle représentative de la vie des femmes afghanes dans les années 1970 ? Son utilisation à des fins de comparaison avec l’Afghanistan sous domination talibane est-elle pertinente ?

Cette photo est authentique. Elle figure au catalogue de l’agence Getty Images. Le cliché a bien été pris en 1972 en Afghanistan. La légende confirme qu’on y voit de “jeunes étudiantes portant des mini-jupes marchant dans la rue” à Kaboul, plus précisément “dans le quartier de Chahr-e-Nao, la “ville nouvelle”, qui concentre les supermarchés, hôtels et banques, au nord du centre-ville historique.

Mais la description de l’image précise qu’à l’époque, seules “quelques filles émancipées portent la mini-jupe” et qu’elles osent le faire “en dépit des violentes critiques de la majorité des Afghans, encore attachés aux traditions musulmanes”. Des critiques virulentes, mais aussi des violences physiques, ajoute le commentaire qui accompagne la photo : “Les mollahs, religieux musulmans, n’hésitent pas à jeter de l’acide sur les jambes nues des jeunes filles émancipées.”

Cette image a été prise par la photographe suisse Laurence Brun, dans le cadre d’un reportage sur “les conditions de vie des femmes afghanes dans les années 1970”, intitulé “Femmes afghanes entre tradition et modernité”, précise Calames, le catalogue en ligne des archives et manuscrits de l’enseignement supérieur, sur lequel la série de quarante images est consultable.

D’autres clichés extraits de ce photoreportage confirment qu’en 1972, dans ce royaume afghan qui deviendra une république un an plus tard, on pouvait croiser dans une rue à Kaboul aussi bien une femme portant une mini-jupe à la mode occidentale que d’autres vêtues d’une burqa, un voile intégral.

Dans une rue d'une ville afghane (dont le nom n'est pas précisé), en 1972. (LAURENCE BRUN / GAMMA-RAPHO / GETTY IMAGES)

Ce cliché de trois Afghanes en mini-jupes à Kaboul n’est en rien représentatif de la situation des femmes afghanes dans les années 1970, commente Alex Shams, doctorant en anthropologie socioculturelle à l’université de Chicago (Etats-Unis) et auteur d’un essai sur cette photographie (article en anglais)“Le style vestimentaire adopté par ces jeunes femmes se limitait aux rues aisées de Kaboul et aux personnes qui avaient accès à l’éducation et à des perspectives. Leur nombre était alors extrêmement limité”, explique l’universitaire.

“Il y avait une tolérance pour toute une variété de modes de vie différents”, exposait  Heather Barr, chercheuse de l’ONG Human Rights Watch, au média américain CheckYourFact* en 2017. “Mais il y avait aussi beaucoup de femmes dans les années 1960 et 1970 – même dans les zones urbaines – dont la vie était plutôt régie par le purdah, et qui ne sortaient pas pour étudier, ne sortaient pas pour travailler.” Le purdah est une pratique islamique qui empêche les hommes de voir les femmes et oblige ces dernières à couvrir leur corps afin de cacher leurs formes.

Une réalité davantage vécue alors par les zones rurales du pays, très conservatrices. Or à l’époque de cette prise de vue, les villes afghanes ne concentrent que 12,41% de la population, contre 26% en 2020, rapporte la Banque mondiale*.

Deux Afghanes accompagnées d'enfants traversent une rue de Kaboul (Afghanistan) en 1972. (LAURENCE BRUN / GAMMA-RAPHO / GETTY IMAGES)

Utiliser cette photographie à des fins de comparaison, c’est donc faire fausse route, selon Alex Shams. “La liberté de porter les vêtements de son choix fait partie intégrante de la liberté, mais ce n’est pas sa seule composante. On ne peut pas réduire le féminisme à un choix vestimentaire”, commente le chercheur. Au sein du régime monarchique afghan disparu en 1973, “la grande majorité des femmes n’avaient pas accès aux études ou à un emploi à l’extérieur de chez elles”, note le doctorant en anthropologie socioculturelle.

A contrario, et d’autant plus depuis la chute des talibans en 2001, “de nombreuses femmes se sont battues pour leurs droits dans de nombreuses franges de la société, sont allées à l’université et ont trouvé un emploi”. En 2009, 24,8% des étudiants d’universités afghanes étaient ainsi des étudiantes, rapporte la Convention des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (en PDF). En 2019, 21,8% des Afghanes de plus de 15 ans possédaient par ailleurs un emploi, contre 15% en 2001 lors de la chute des talibans, selon l’Organisation internationale du travail.

“Aujourd’hui, beaucoup d’Afghanes portent le voile et vont à l’université, mais ces photos, elles, ne circulent pas autant.”

Alex Shams

doctorant en anthropologie socioculturelle à l’université de Chicago

L’utilisation de cette photo n’a en outre pas été sans conséquence dans l’histoire récente. En 2017, c’est précisément ce cliché qu’a utilisé le conseiller militaire du président américain Donald Trump pour le convaincre de maintenir des troupes américaines en Afghanistan, “pour lui montrer que les normes occidentales y avaient existé auparavant, et pouvaient faire leur retour”, rapportait le Washington Post*. Le cliché avait alors déjà été largement partagé sur les réseaux sociaux, notait BuzzFeed*.

Le doctorant Alex Shams pointe là une “instrumentalisation politique” trompeuse, qui ne fait “qu’opposer l’islam à la civilisation occidentale”. “Cela fait croire que les droits des femmes ont été acquis grâce à l’Occident, ce que symboliserait le port de ces mini-jupes, analyse l’universitaire. Or cela gomme le fait que les femmes afghanes elles-mêmes ont combattu pour leurs propres droits et pour changer la société.”

* Ces liens renvoient vers des articles ou des documents en anglais.

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