TEMOIGNAGES. Election présidentielle : douze électeurs racontent leur vote à reculons pour Emmanuel Macron – franceinfo

Sans les électeurs ayant fait barrage à la candidate du RN, Emmanuel Macron aurait peiné à être réélu. A Rennes (Ille-et-Vilaine), au second tour de l’élection présidentielle, dimanche 24 avril, les électeurs ont tranché, plus nettement encore qu’ailleurs. Le candidat de La République en marche y recueille 84,15% de suffrages exprimés, selon les résultats définitifs du ministère de l’Intérieur, contre 58,54% à l’échelle nationale. Au premier tour, les Rennais avaient placé Jean-Luc Mélenchon en tête (avec 36,31%).

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Franceinfo a rencontré ces électeurs qui, pour beaucoup, avaient voté à gauche le 10 avril. Deux semaines plus tard, loin d’un vote d’adhésion, chacun décrit un choix fait à contrecœur pour barrer la route à l’extrême droite. Certains espèrent désormais que leurs revendications sur l’écologie, le social, la santé, ou l’éducation, seront entendues par Emmanuel Macron. 

“On est le petit peuple, lui, un monarque”

Gaëlle a voté à Rennes, au second tour de l'élection présidentielle, le 24 avril 2022. (QUENTIN VERNAULT / HANS LUCAS / FRANCEINFO)

Gaëlle, 52 ans, documentaliste. J‘ai hésité à voter blanc jusqu’à l’isoloir. Je vais m’en vouloir pendant des semaines d’avoir voté contre mes convictions. J’ai les larmes aux yeux. Je n’attends rien d’Emmanuel Macron, je n’aime pas son arrogance.

J’avais voté Jean-Luc Mélenchon au premier tour. Mais Macron, je ne suis pas d’accord avec son programme. ll est le président des riches, il a quand même supprimé l’ISF. Il prône la retraite à 65 ans, mais je ne me vois pas travailler jusque-là. On est le petit peuple, lui, un monarque. Il n’en a rien à faire de nous.

“Voter Macron pour pouvoir revoter dans cinq ans

Kevin a voté à Rennes, au second tour de l'élection présidentielle, le 24 avril 2022. (QUENTIN VERNAULT / HANS LUCAS / FRANCEINFO)

Kevin, 21 ans, étudiant en master de droit. J’ai hésité à aller voter. Mais je me dis qu’au moins, en votant Macron, dans cinq ans on pourra revoter. J’espère qu’il sera un peu plus de gauche, en revalorisant les bourses des étudiants par exemple, ou en prenant les revenus de l’étudiant comme référence, et non ceux des parents.

Les fins de mois sont de pire en pire pour moi, c’est un vrai numéro d’équilibriste vu que j’ai zéro aide de mes parents. Je vis avec 300 euros d’aides, pour 500 euros de charges. Pour m’en sortir, je travaille beaucoup, en général l’été, en mise en rayon. Mais je pourrais faire un stage à la place. J’irai voter aux législatives pour contrebalancer la présidentielle.

“La fin du monde approche, mais personne ne s’en rend compte”

Lilas a voté à Rennes, au second tour de l'élection présidentielle, le 24 avril 2022. (QUENTIN VERNAULT / HANS LUCAS / FRANCEINFO)

Lilas, 18 ans, étudiante en L1 de sociologie. Au premier tour, j’ai voté Jadot. Là, c’est un vote pour Macron, par dépit, pour faire blocage contre une Marine Le Pen que je trouve raciste et homophobe. J’étais en colère, maintenant, je suis blasée. Je me suis intéressée à la politique cette année. Avant j’habitais avec mes parents, profs, en Pologne et à Djibouti. 

Macron n’est pas le meilleur des choix pour l’égalité femmes-hommes, ni pour l’écologie. Pourtant, avec le rapport du Giec, on a bien vu qu’on n’avait plus que trois ans pour inverser la tendance. J’ai peur. Lors du débat de l’entre-deux-tours, seulement 15 minutes étaient dédiées à l’écologie. On n’arrête pas de s’alarmer, mais ces cinq dernières années, rien n’a bougé. L’économie reste la priorité. J’aimerais que ma génération puisse avoir un avenir convenable. On se dit que la fin du monde approche, mais personne ne s’en rend compte. 

“Tout est capitaliste, ça ne me convient pas”

Chloé a voté à Rennes, au second tour de l'élection présidentielle, le 24 avril 2022. (QUENTIN VERNAULT / HANS LUCAS / FRANCEINFO)

Chloé, 39 ans, travailleuse sociale. J’ai trop les boules. Je ne voulais pas donner à Emmanuel Macron le moindre pouvoir. Là, c’est comme il y a 20 ans. En 2002, j’étais à peine majeure, j’avais déjà voté Chirac contre Jean-Marie Le Pen. Mais je n’ai pas le choix, jamais je ne veux avoir la moindre culpabilité si le fascisme arrivait au pouvoir.

Macron doit maintenant prendre en compte ce qu’il s’est passé. La scission du peuple crève les yeux, il y a un problème. Il a tenté de draguer la gauche dans l’entre-deux-tours, mais je ne suis pas convaincue. Dans le champ dans lequel je travaille, le social, il est toujours question de faire plus, avec des moyens constants. Même chose pour l’école. Il n’y a pas assez d’Atsem (agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles) ni d’auxiliaires de vie scolaire dans l’école de mes enfants. Pourtant on parle de fric en permanence. Tout est capitaliste, ça ne me convient pas. 

“Macron doit ouvrir son gouvernement”

Bernadette a voté à Rennes, au second tour de l'élection présidentielle, le 24 avril 2022. (QUENTIN VERNAULT / HANS LUCAS / FRANCEINFO)

Bernadette, 78 ans, retraitée, ex-conseillère en orientation. Après avoir voté pour Fabien Roussel au premier tour, j’ai voté contre Marine Le Pen au second. Je veux que Macron bouleverse beaucoup de choses, mais je ne suis pas sûre qu’il le fasse malheureusement. Je veux une meilleure redistribution des richesses. Toute une classe très aisée met son argent dans des îles, dans des paradis fiscaux, alors que la majorité des Français paye plus d’impôts. 

Macron doit ouvrir son gouvernement. Il faut tenir compte des 22% de Jean-Luc Mélenchon, et intégrer à son gouvernement des personnalités plus à gauche, proches de Mélenchon, de Jadot, ou même de Lassalle. Prendre en compte les divergences est nécessaire pour assurer la paix sociale. 

“La seule chose qu’il pourra faire, c’est réparer les dégâts”

Alexandre a voté à Rennes, au second tour de l'élection présidentielle, le 24 avril 2022. (QUENTIN VERNAULT / HANS LUCAS / FRANCEINFO)

Alexandre, 26 ans, artiste 3D en jeux vidéo. Moi c’était “chonchon” (Jean-Luc Mélenchon) au premier tour. Je crois à la redistribution des richesses, à plus d’égalité sociale. Mais je ne pouvais pas décemment voter pour le Pen, parce que j’ai vécu dans un quartier populaire, et de par mon passé familial. Mon grand-père est juif d’Algérie. Il a combattu pendant la Seconde Guerre mondiale, puis subi la guerre d’Algérie. Elire Le Pen, ça aurait été la guerre sociale. Ses propositions sur la laïcité sont caduques dans une société qui se veut cosmopolite.

Maintenant, je n’attends rien de Macron. La seule chose qu’il pourra faire, c’est réparer les dégâts : le gouffre social, le nombre croissant de pauvres, l’ultralibéralisme, le pouvoir aux entreprises plus qu’aux citoyens. Je redoute qu’il continue à creuser les inégalités de salaire, que la santé devienne un luxe, que l’éducation se calque sur le modèle des Etats-Unis, avec une privatisation progressive des services publics. 

“Je redoute qu’on tape toujours sur les mêmes”

Ercan a voté à Rennes, au second tour de l'élection présidentielle, le 24 avril 2022. (QUENTIN VERNAULT / HANS LUCAS / FRANCEINFO)

Ercan, 38 ans, en recherche d’emploi. Encore une fois, j’ai fait barrage contre l’extrême droite, à contrecoeur. Mes parents sont d’origine turque, ma compagne d’origine marocaine, sa mère porte le voile. Marine Le Pen ne respecte pas les principes de notre République, elle veut donner la priorité à une partie de la population. 
Je redoute qu’Emmanuel Macron favorise une certaine caste, qu’on tape toujours sur les mêmes, notamment les étudiants. C’est facile de tout mettre sur le compte de la crise. Le “quoi qu’il en coûte”, ça va surtout nous coûter à nous, à nos gosses, pas à eux. Pendant le dernier quinquennat, j‘ai perdu des APL. Aujourd’hui, c’est compliqué. Ma femme a un handicap qui l’empêche de travailler. A deux, on touche 1 900 euros d’aides, pour faire vivre notre famille avec notre fils. Or, si je trouve un travail, ma femme perd toutes ses allocations. Il faudrait déconjugaliser l’allocation aux adultes handicapés

“J’espère qu’il baissera les charges”

Djamalidini a voté à Rennes, au second tour de l'élection présidentielle, le 24 avril 2022. (QUENTIN VERNAULT / HANS LUCAS / FRANCEINFO)

Djamalidini, 50 ans, chauffeur de poids lourd. Au premier tour, je n’avais pas eu le temps de voter. Au deuxième, comme en 2017, j’ai fait barrage à Marine Le Pen. On est dans un pays libre, on ne devrait pas stigmatiser certaines communautés. On donne ici à Macron une deuxième chance. A cause de la crise du coronavirus, il n’a pas pu faire grand-chose.

Il doit prendre des mesures pour l’économie. J’ai trois enfants, et les courses deviennent compliquées. Le loyer augmente tous les ans. J’espère qu’il baissera les charges. Mais j’ai l’impression qu’il a plus tendance à aider les gens en dehors du pays, même avant la guerre en Ukraine, alors qu’en France déjà, beaucoup ne s’en sortent pas. Il devrait se concentrer sur ceux d’ici, notamment les jeunes. 

“J’ai voté pour l’Europe de la paix”

Gilles a voté à Rennes, au second tour de l'élection présidentielle, le 24 avril 2022. (QUENTIN VERNAULT / HANS LUCAS / FRANCEINFO)

Gilles, 66 ans, retraité, ancien aide-soignant. J’ai joué le pacte républicain pour le second tour, après avoir voté Fabien Roussel au premier. Mon grand-père a été déporté à Dachau, en Allemagne, pendant la Seconde Guerre mondiale. Or, on sait bien que l’histoire se répète sans cesse. En 1933, Hitler a été élu par voie démocratique, avec des idées sociales. J’ai donc voté pour l’Europe de la paix, qui agit comme un bouclier pour nous, déjà sur le plan économique. Et on n’est pas à l’abri d’une invasion potentielle. Le danger est là, avec la guerre en Ukraine

Mais il faut qu’Emmanuel Macron agisse aussi pour la santé. La Sécurité sociale est en danger. Quant aux Ehpad, il faut arrêter de saupoudrer. Les soignants ont besoin de salaires indexés sur le coût de la vie, et de plus d’effectifs. Le ratio devrait être d’un soignant pour quatre ou cinq personnes âgées pour les toilettes du matin par exemple. Quand je travaillais, c’était un pour huit, voire un pour 15 le dimanche. 

“Macron ne fera pas les choses fortes nécessaires pour l’écologie”

Isabelle a voté à Rennes, au second tour de l'élection présidentielle, le 24 avril 2022. (QUENTIN VERNAULT / HANS LUCAS / FRANCEINFO)

Isabelle, 42 ans, musicienne intervenant dans des écoles. J’ai voté Macron sans entrain, après avoir voté pour Jean-Luc Mélenchon. Je n’en attends pas grand-chose, je serai toujours aussi précaire.

Je n’attends rien de sa part sur l’écologie non plus. Macron dit qu’il faut aller plus vite, plus vite. Or, je crois qu’au contraire, il faut aller plus lentement. Je suis pour la décroissance. En Bretagne, les désastres écologiques, il y en a tous les jours proches de nous. Les algues vertes, l’élevage des animaux, les pesticides… Macron ne fera pas les choses fortes nécessaires pour l’écologie, comme imposer au patronat ou aux grandes entreprises des choses. 

“Il faudrait plus d’éducation sexuelle à l’école”

Lili a voté à Rennes, au second tour de l'élection présidentielle, le 24 avril 2022. (QUENTIN VERNAULT / HANS LUCAS / FRANCEINFO)

Lili, 20 ans, étudiant en L2 de cinéma. J’ai eu des difficultés pour choisir, j’ai failli voter blanc. Pour moi, c’est vraiment décider entre la peste et le choléra. Mais je préfère vivre dans un pays où on supprime les droits à la retraite plutôt qu’un pays où on m’empêcherait de vivre comme appartenant à la communauté LGBT. 

Emmanuel Macron est quelqu’un avec qui le débat n’est pas possible, il fait semblant d’écouter. Pourtant, je voudrais qu’il fasse beaucoup de choses, qu’il s’investisse plus au niveau européen pour la procréation médicale assistée pour tous, pour faire pression sur certains pays comme la Hongrie. Il faudrait aussi plus d’éducation sexuelle à l’école en France, ou encore permettre à des couples homosexuels d’adopter plus facilement. 

“Arrêter de discriminer des enfants de la République”

Abdelmajid a voté à Rennes, au second tour de l'élection présidentielle, le 24 avril 2022. (QUENTIN VERNAULT / HANS LUCAS / FRANCEINFO)

Abdelmajid, 46 ans, employé territorial. J’ai voté Emmanuel Macron, alors qu’au premier tour, j’avais voté Jean-Luc Mélenchon. Je ne nie pas qu’Emmanuel Macron a fait des choses, notamment pour l’emploi pendant la crise du Covid-19. Il a eu la force et le cran de maintenir un niveau de vie correct. Mais quel que soit le candidat du second tour, je trouve qu’ils stigmatisent des enfants qui sont nés et ont grandi en France.

J’aimerais qu’Emmanuel Macron oblige les sociétés et grands groupes à arrêter de discriminer des enfants de la République issus de l’immigration. Mon fils a 18 ans, il cherche une alternance pour faire un BTS, mais il reçoit tout le temps des refus, sans raison, à cause de son nom. Quand il s’agit de métiers de main-d’oeuvre, on profite des enfants d’immigrés. Mais dès que c’est un métier intellectuel, ça pose problème.

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