Bilan Soriano : Cartographie d’un mandat au service de l’investissement des opérateurs

Bilan Soriano : Cartographie d'un mandat au service de l'investissement des opérateurs

Alors que le mandat de Sébastien Soriano à la tête de l’Arcep prendra fin début janvier, l’actuel président de l’Autorité a brossé en début de semaine une dernière cartographie sur le réseau social LinkedIn, en guise de témoignage sur ses cinq dernières années passées aux manettes du gendarme des télécoms. Une manière pour le polytechnicien de revenir sur un mandat consacré à la stimulation des investissements dans le secteur des télécoms, par l’intermédiaire d’un document fouillé qui en dit long sur son attrait pour les données, érigées en pilier central de sa stratégie de régulation.

Ironie du sort : c’est après avoir multiplié les outils de cartographie pour faire évoluer le marché des télécoms vers plus de transparence et d’efficacité que le haut fonctionnaire vient d’être nommé aux commandes de de l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN) – à l’origine des célèbres cartes du même nom – où il aura notamment pour mission de piloter l’ouverture des données de l’institution.

Une mission à la hauteur pour celui qui a dû arbitrer – avec plus ou moins de succès – de nombreux dossiers brûlants au sein de l’Arcep ces dernières années. Et si tout n’a pas été rose et que certains de ces chantiers, comme l’ouverture du marché Entreprise, l’extinction et la bascule du cuivre ou la complétude des réseaux fixes et mobiles, sont toujours d’actualité à l’issue de son mandat, c’est certainement la politique de régulation “pro-investissement” qu’il faudra retenir du passage du successeur de Jean-Ludovic Silicani rue Gerty-Archimède.

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Des chiffres qui parlent d’eux-mêmes

Après une prise de poste très attendue en 2015, l’actuel président de l’Arcep a rapidement orienté sa stratégie de régulation autour d’une idée forte : encourager les opérateurs à mettre la main au portefeuille pour investir dans leurs infrastructures. Pour ce faire, le futur directeur général de l’IGN a certes usé du bâton du gendarme à quelques reprises, mais il a surtout eu recours à la carotte pour pousser les opérateurs à la dépense.

Résultat des courses : ces mêmes opérateurs ont investi en 2019 10,4 milliards d’euros dans leurs infrastructures fixes et mobiles et comptent aujourd’hui pour 1,8 % des investissements réalisé à l’échelle nationale. Une évolution notable, alors que les investissements de ces derniers s’élevaient en 2015 à 7,8 milliards d’euros. Et de quoi rendre le sourire au patron de l’Arcep, pour qui il s’agit d’un « chiffre sans égal en Europe et dans l’OCDE, correspondant à une mobilisation unique de la part des opérateurs télécoms et de leurs équipes pour équiper la France en infrastructures compétitives ».

De bons chiffres qui doivent beaucoup à une politique ouvertement “pro-investissement”, qui trouve son exemple le plus concret dans le New Deal Mobile négocié en 2018 par les autorités et le régulateur avec les opérateurs pour doper la couverture mobile du territoire.

Doper la couverture mobile du territoire

Le principe est simple : il s’agit de réattribuer gracieusement certaines bandes de fréquences exploitées sur les réseaux 2G, 3G et 4G des opérateurs en échange d’obligations d’investissement de leurs parts.

Malgré un accueil mitigé, cette opération “fréquences contre investissements” continue à être portée par le président de l’Arcep, qui la défend pourtant chiffres à l’appui. « Lors du début de mon mandat à l’Arcep en 2015, la France était 26e sur 28 au classement européen de la couverture 4G. Nous sommes désormais entre la 13e et la 10e place en fonction des critères », faisait valoir le président de l’Arcep dans les colonnes du Parisien en novembre dernier, pour justifier du bien-fondé de cet accord.

Et de rappeler que si les opérateurs s’étaient engagés à accélérer la couverture du territoire en 4G d’ici à la fin 2020, leurs taux de couverture respectifs s’élèvent désormais en moyenne à 96 % de l’ensemble de la population et 76 % du territoire (contre 45 % en janvier 2018). Trois ans après la signature de ce contrat, force est de constater que celui-ci a permis de maintenir, voire d’augmenter, les investissements des opérateurs, qui ont dépensé en 2019 2,6 milliards d’euros dans leurs réseaux mobiles, une somme qui devrait encore augmenter dans les années à venir avec le déploiement des réseaux 5G.

Le savoir est une arme

Pour pousser les opérateurs à injecter de l’argent frais dans leurs infrastructures, le président de l’Arcep n’a pas eu recours qu’au seul levier des fréquences. Promoteur de l’ouverture des données, Sébastien Soriano a également fondé sa stratégie de régulation sur une transparence accrue et une meilleure information du public, placé non plus dans un rôle de victime impuissante des opérateurs mais bien dans un rôle d’arbitre des efforts consentis par ces mêmes opérateurs.

Et de voir dans cette transparence accrue une condition sine qua non pour l’émergence « d’une régulation par la société pour la société », comme l’indiquait le patron de l’Autorité à la revue Concurrences en février dernier. Une conviction qui s’est matérialisée dans différents outils réalisés par l’Arcep pour mieux rendre compte de l’action – ou de l’inaction – des opérateurs. A l’image de “Mon réseau mobile”, “Carte fibre” et “Ma connexion internet”, trois plateformes conçues avec la ferme intention d’« armer les consommateurs dans leurs choix et stimuler les investissements des opérateurs ».

Après avoir fourni de nouveaux moyens de pression au grand public, le patron du régulateur a également misé sur l’engagement des utilisateurs pour faire bouger les opérateurs. Comment ? En développant des outils de crowdsourcing comme “J’alerte l’Arcep” ou “Wehe”. Si le premier revendique aujourd’hui 90 000 signalements, l’Autorité a toutefois rapidement dû constater les limites de cette politique de cavalier seul, et s’est tournée vers des acteurs extérieurs comme nPerf, Qosi ou des associations de consommateurs pour améliorer la remontée des informations du terrain.

La carotte… et le bâton

« L’intuition a été la suivante : il existe de nombreux outils de crowdsourcing, que ce soit pour mesurer son débit internet à domicile ou tester la couverture mobile. Ces outils ont souvent une audience importante et peuvent nouer des partenariats avec des associations de consommateurs ou des médias pour populariser le résultat de leurs tests. L’Arcep, peu connue du grand public, a préféré capitaliser sur cet impact auprès du public plutôt que de partir de zéro », explique le président de l’Autorité dans son compte-rendu, pour justifier de cette démarche.

Pas question toutefois de laisser la main à ces seuls acteurs. « Il fallait faire face à un certain foisonnement d’applications, dont certaines étaient peu fiables quant à la représentativité des mesures ou des résultats », relève ce dernier, qui a alors mis en place un code de conduite à l’adresse de ces éditeurs spécialisés dans la mesure de la qualité des réseaux fixes ou mobiles. Sans oublier également de mettre la pression sur les opérateurs, appelés à implémenter une API dans leurs box dès 2022 pour rendre plus lisibles auprès des consommateurs les conditions de leur connexion.

Parfois poussé à sévir contre les opérateurs, comme dans le dossier brûlant du service universel, dont Orange est délégataire universel, le président de l’Arcep n’aura pas hésité à jouer du bâton du gendarme pour faire bouger les lignes. En attestent les mises en demeure adressées à l’opérateur universel, sommé d’investir davantage dans la réfection de son réseau cuivre vieillissant, ou encore les mises en garde répétées à l’encontre des sous-traitants des opérateurs, désignés responsables des « plats de nouilles » constatées dans de nombreuses armoires de mutualisation des réseaux fixes.

Le fiasco Kosc

Cinq ans après l’arrivée de Sébastien Soriano aux commandes de l’Arcep, force est donc de constater que l’institution se porte bien et que sa notoriété a largement profité de l’arrivée aux commandes du polytechnicien. En témoigne l’élargissement du portefeuille de l’Autorité, qui est désormais chargée de superviser un dossier pour le moins complexe : la distribution de la presse.

Reste que le patron du gendarme des télécoms a également connu son lot de difficultés, voire d’échecs, en ne parvenant par exemple toujours pas à embarquer la régulation des terminaux dans son portefeuille, malgré un lobbying de tous les instants. Alors que le départ du président de l’Arcep devrait être effectif début janvier, celui-ci laisse de nombreux sujets sur la table de son futur successeur, dont l’identité ne sera vraisemblablement pas connue avant début 2021.

A commencer par son impuissance à ouvrir davantage un marché des télécoms d’entreprise, encore outrageusement dominé par Orange et SFR. Si le régulateur avait poussé sous l’égide de son président pour l’arrivée d’un acteur alternatif avec la naissance de Kosc, force est de constater que cette initiative – critiquée par de nombreux acteurs du marché – a rapidement tourné au fiasco total, avant le rachat de l’opérateur de gros par Altitude Infra à l’été 2020.

Un héritage à porter

Le développement d’une concurrence nouvelle, via des opérateurs alternatifs ou de nouveaux acteurs comme Bouygues Telecom et Iliad, sera à ce titre l’un des chantiers prioritaires du successeur de Sébastien Soriano aux commandes de l’Arcep, pour améliorer une connectivité des entreprises qui n’arrive toujours pas à décoller. Le chantier en vaut pourtant la peine : alors qu’un quart seulement des PME françaises seraient aujourd’hui raccordées à la fibre optique, l’Autorité estimait en 2018 les revenus du marché des télécoms d’entreprises à 8,9 milliards d’euros.

Autre sujet brûlant pour le ou la future présidente de l’Arcep : l’extinction du réseau cuivre, appelé à être supplanté par la fibre à compter de 2023. Un dossier épineux qui a souvent viré à la foire d’empoigne entre l’Autorité et Orange, le délégataire de ce réseau, au cours des derniers mois. Malgré les promesses et les moyens mis en œuvre par l’opérateur historique pour améliorer la qualité de service sur ce réseau vieillissant, le sujet reste d’actualité. Dernier exemple en date ce dimanche, avec la signature d’une tribune par 216 élus ruraux, qui confient craindre de figurer parmi les oubliés de l’inéluctable bascule du cuivre durant les prochaines années.

Restera également la question de la mutualisation des réseaux fixes et mobiles, que l’Arcep cherche à pousser en faisant la promotion d’accords-cadres entre opérateurs, ou encore celle de la stimulation de l’écosystème des opérateurs alternatifs, un dossier dans lequel beaucoup reste encore à faire. Après le départ de Sébastien Soriano pour l’IGN, charge désormais à son futur successeur de mener à bien tous ces chantiers. Et bien d’autres, qui ne manqueront certainement pas de survenir…

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