Après le RTFM, voici donc venu le temps du RTFN ! (Read the f* newspaper !)

Après le RTFM, voici donc venu le temps du RTFN ! (Read the f* newspaper !)

Le lecteur ne sera probablement pas assez vieux pour se souvenir d’une pratique qui était très commune dans les années 90 et le début des années 2000 : le fameux RTFM (Read the fucking manual).

Nostalgie de l’Ancien Monde

C’était une réponse que l’on formulait fréquemment face à des questions rudimentaires. Pour brutale qu’elle soit, elle avait l’avantage d’économiser des crises de nerfs. Vestige d’une époque où avoir un ordinateur et une connexion Internet faisait de vous un être à part, cela vous forçait à d’abord chercher, avant de poser des questions. On était dressé à ne pas écrire « comment fonctionne [insérer un outil] ? », mais « j’ai consulté la documentation de [insérer un outil] et je n’ai pas compris tel aspect, si quelqu’un peut m’éclairer, je lui en serai reconnaissant ».

Paradoxalement, c’est dans la communauté du logiciel libre que le RTFM avait le plus de succès et on en connaît les effets. Les novices se sont détournés du libre, au profit du propriétaire, plus noob-friendly.

Aujourd’hui, deux tendances cohabitent : la bienveillance à l’extrême, qui prend le parti de voir dans chaque utilisateur, quelqu’un qui n’a jamais utilisé un ordinateur de sa vie, et le RTFM 3.0, qui se résume fréquemment à « utilise [insérer telle technologie] ». Au milieu, du vide. Si le RTFM est un peu tombé en désuétude dans le domaine informatique, il y a un domaine dans lequel il devient urgent de l’appliquer : la presse.

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Journalisme multitâche

Au début de l’informatique grand public, seuls quelques grands journaux et médias avaient les moyens d’avoir un site Web. Les technologies, les moyens, les accès ont évolué. Aujourd’hui, il n’est plus vraiment nécessaire d’avoir une véritable machine de guerre pour informer.

Seulement, le lecteur, qui se veut aussi citoyen, n’a pas évolué. Pire encore, il a régressé. La faute aux smartphones ? Aux agrégateurs de presse ? À la compression du temps ? À la réduction des moyens financiers ? Tout cela à la fois ? On pourrait faire des thèses de doctorat sur les raisons pour lesquelles, on affronte une situation paradoxale.

Nous n’avons jamais eu autant de canaux d’informations et on n’a jamais eu autant de gens mal informés. Produire de l’information de qualité n’est plus suffisant. Chaque journaliste doit maintenant être son propre community manager, son propre gestionnaire de communauté pour faire connaître son travail.

Bienveillance toxique

Car, oui, la plupart des gens ne vont pas plus loin que Google Actualités ou des notifications push sur smartphone et imaginent s’informer en lisant et relayant des comptes Twitter qui volent le travail des journalistes. Autre phénomène directement lié aux réseaux sociaux : pour être visible, il faut produire en masse. Or, en matière d’information, la masse signifie rarement la qualité. Choisir de se spécialiser et donc, de se couper de l’immédiateté, revient à se couper d’une partie du lectorat.

C’est ainsi qu’on se retrouve face à Marie-Karen, qui ne voit pas plus loin que le bout de son nez, qui vous gronde parce que des confrères d’une autre rédaction, n’ont pas traité correctement une information technique. La même Marie-Karen qui reconnaît elle-même ne pas chercher l’information ni la financer. Marie-Karen considère que s’abonner à un compte de réseau social, constitue le summum de l’effort. C’est bien connu : les médias et surtout les journalistes vivent d’eau fraîche. Pour l’amour, il faut repasser : on ne fait pas ce métier pour être aimé.

La réalité est qu’on n’a jamais appliqué le RTFM au domaine de la presse et qu’on aurait peut-être dû. Dès le départ de l’informatique grand public, on a prêché la bienveillance, on a tout amené sur un plateau aux lecteurs. On leur a tout prémâché. Donc, le lecteur ne cherche plus. Il attend de la presse que cette dernière vienne chanter sous ses fenêtres, les actualités du jour. Actualités qui doivent être gratuites, de qualité, sans publicité, sans subventions d’État ni mécénat d’entreprise et n’appartenant pas à un conglomérat détenu par un milliardaire.  

Informations pour les canards

Le monde de la presse doit faire sa révolution, dans beaucoup de domaines. Certaines pratiques doivent impérativement évoluer, si on ne veut pas que les métiers de la presse meurent. Au risque d’énoncer des évidences, dans la presse, il n’y a pas que les journalistes. Mais, le lecteur doit aussi faire sa part.

Faire sa part consiste à faire de la veille au-delà de Google Actualités. Cela veut dire arrêter de partager et de lire des comptes Twitter, qui ne font que voler le travail des rédactions pour gagner quelques sous. Cela veut dire arrêter de partager des captures d’écran d’articles, qu’ils soient en accès libre ou derrière un abonnement. Et pourquoi même, lire les articles. Cela passe aussi par un changement de comportement. Les journalistes ne sont pas des bureaux des pleurs. Il est inutile de nous faire part de votre sentiment sur telle ou telle actualité sur un réseau social. Nous n’avons pas la main sur les évènements. Notre travail consiste à les énoncer et à les contextualiser. Faire sa part consiste à chercher un minimum.

En voulant absolument gagner un lectorat, on a été trop bienveillant. On a considéré qu’on n’avait pas face à nous des adultes, mais des enfants, qu’on devait guider. Qu’on devait répondre à toutes les sollicitations, du genre « pourquoi n’enquêtez-vous pas sur tel ou tel sujet ? ». Qu’on devait être disponible en permanence. Même au fast-food, ils ont des horaires et des jours de repos. Car, c’est exactement ce qu’on est devenu : du fast-food. À la différence que lorsque vous commandez un burger au McFast du coin, vous devez payer.

Bien sûr, la presse n’est pas un domaine essentiel. Si les journalistes changent de métier, cela ne changera rien pour eux, puisque la gymnastique mentale qu’ils ont acquise ne disparaîtra pas du jour au lendemain. Mais, pour les lecteurs, cela risque d’être drôle de ne plus avoir que des médias onéreux d’un côté et des canards à sensation de l’autre.

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