Procès des attentats du 13-Novembre : l’autre vie de Salah Abdeslam, petit délinquant “imprégné de valeurs occ – franceinfo

“Monsieur Abdeslam, on commence par vous. C’est l’ordre alphabétique qui veut ça”. Un nouveau chapitre du procès des attentats du 13-Novembre s’est ouvert, mardi 2 novembre, avec l’interrogatoire des 14 accusés présents, après cinq semaines de douloureux récits des parties civiles. Et c’est avec le plus médiatique d’entre eux, seul membre encore en vie du commando terroriste, que l’audience a débuté.

Barbe fournie, cheveux courts, vêtu d’un gilet gris sur une chemise beige, Salah Abdeslam a d’abord confirmé sa nationalité : il est français et pas franco-belge, comme on a pu souvent l’écrire. “Je suis d’origine marocaine. Je n’ai que la nationalité française.” Avant de préciser : “Mes parents sont venus en France d’abord, c’est pour ça qu’ils ont la nationalité française (…) ensuite ils sont partis en Belgique”. Il s’exprime d’une voix calme, parfois à peine audible, loin de ses coups de sang des semaines précédentes, comme à l’ouverture du procès, où il avait estimé que les accusés étaient “traités comme des chiens”.

C’est sur ce ton, placide, qu’il a répondu pendant près de deux heures aux questions de la cour, qui ne doivent pour l’instant porter que sur “la vie personnelle des accusés en s’arrêtant au fond du dossier”, a rappelé le président en préambule. Les faits eux-mêmes ne seront étudiés qu’en janvier. Il s’agissait donc de comprendre la trajectoire de vie des accusés, leurs liens familiaux, leur parcours scolaire et professionnel. Le sujet de la radicalisation ne doit pas être abordé.

“Mon enfance était très simple, j’étais quelqu’un de calme, gentil, il y avait une bonne ambiance, il y a toujours eu une bonne ambiance avec tout le monde”, explique Salah Abdeslam depuis son box. Au collège et au lycée, il est dépeint par ses professeurs comme “un bon élève”. Il obtient l’équivalent du baccalauréat en Belgique, puis est engagé dans la même société que son père, comme électromécanicien, où il s’occupe de la réparation des trains pendant “plus ou moins un an et demi”.

C’est à cette période que sa vie prend un tournant : il est licencié de cette société à cause d’un premier passage en prison, en 2011, après une tentative de cambriolage avec effraction. “Avec qui avez-vous été condamné ?”, lui demande le président. “Je ne souhaite pas le dire”, répond Salah Abdeslam. “Vous étiez notamment avec Abdelhamid Abaaoud”, précise le président, autrement dit le chef opérationnel présumé des attentats du 13-Novembre, un bon ami de Salah Abdeslam.

Il enchaîne ensuite les petits boulots : “Je travaillais et tantôt j’étais au chômage, tantôt en intérim. Je faisais du yoyo”. Interrogé sur ses frasques judiciaires, notamment ses multiples infractions au Code de la route, il répond d’un léger sourire : “J’aime la vitesse”.

Sur plusieurs points, il reste silencieux. On ne saura rien de sa petite amie, avec laquelle il était fiancé au moment des attentats. Il ne s’étend pas non plus sur sa famille, sauf sur son grand frère Brahim, le kamizake du Comptoir Voltaire. “C’est le frère que je préférais. Je les aime tous, mais lui c’était le frère que je préférais”. Une magistrate-assesseure lui demande d’expliquer pourquoi. “L’amour n’a pas de logique, je ne peux pas expliquer ça. Il s’est plus occupé de moi quand j’étais jeune”, avance-t-il.

Concernant son passé de fêtard et de joueur au casino, il se montre très lapidaire : “C’était juste histoire de me divertir.” Interrogé à plusieurs reprises sur ce comportement, assez éloigné des convictions religieuses qui ont été les siennes par la suite, il finit par se défendre : “C’était très, très rare que j’aille en discothèque. Je ne suis ni un joueur, ni un danseur de discothèque”. Il assure aussi n’avoir jamais été “consommateur de cannabis, seulement un amateur, un joint de temps en temps le week-end”. Et d’évoquer les “valeurs occidentales” desquelles il a “été imprégné”.

Cette mention n’a pas échappé à un avocat des parties civiles, qui lui demande un peu plus tard : “Selon vous, les valeurs de l’Occident, ça correspond à quoi ?” Réponse de l’intéressé : “C’est vivre comme un libertin, vivre sans se soucier de Dieu, faire ce qu’on a envie.” Sa radicalisation, qui débute en 2014, se dessine en creux à plusieurs reprises, comme lorsqu’il explique avoir arrêté de jouer aux échecs en prison parce qu’il appris que c’était interdit dans l’islam.

C’est sur cette vie en détention que l’a longuement interrogé son avocate, Olivia Ronen. “Il a été dit que vous êtes placé à l’isolement. C’est un peu abstrait… Est-ce que vous pouvez me décrire votre cellule ?”, lui-a-t-elle demandé. “Elle fait neuf mètres carrés, il y a deux caméras de surveillance, je ne peux rien faire, je n’ai pas d’activités. Je peux sortir juste le matin à la promenade ou au sport pendant une heure et l’après-midi, la même chose”, détaille Salah Abdeslam.

Elle lui demande de décrire sa cour individuelle de promenade. “On ne peut pas voir le ciel, elle est murée, très petite. Elle fait peut-être 30 mètres carrés”, précise-t-il. Un rapide débat s’engage avec le président, qui assure que l’on voit le ciel, à travers les barbelés. Sur les bancs bondés des parties civiles, une voix chuchote : “Nos enfants, eux, ils sont au ciel”.

Le quotidien du détenu le plus surveillé de France a fait couler beaucoup d’encre et son avocate précise qu’elle souhaite aller contre l’opinion selon laquelle il aurait un “traitement de faveur particulier”. “Même les animaux ne sont pas traités comme ça”, a lancé Salah Abdeslam, qui assure avoir pensé plusieurs fois au suicide. S’il a pu tenir jusqu’ici, dit-il, c’est grâce “à [s]on seigneur”.

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