Pénurie de profs: comment on m’a proposé d’enseigner à la rentrée après 30 minutes d’entretien – BFMTV

Confrontés à une pénurie de candidats, l’Éducation nationale recrute des enseignants contractuels pour la rentrée. Pour postuler, pas besoin d’avoir réussi le concours pour être prof. Une simple licence suffit. L’une de nos journalistes a candidaté dans l’académie de Versailles. Avec succès.

Journaliste à BFMTV, je n’ai pas passé le concours pour devenir professeure, je ne me suis jamais retrouvée face à une classe, je n’ai aucune expérience d’enseignante et pourtant, cet été, en une trentaine de minutes, j’ai été recrutée pour devenir professeure des écoles à la rentrée. Si cette situation semble étonnante, elle n’a rien d’exceptionnel.

L’Éducation nationale manque cruellement d’enseignants. À tel point qu’elle a organisé des sessions de “jobs dating” au mois de juin afin de recruter des professeurs, dans le premier comme dans le second degré. Car le métier n’attire plus: cette année, plus de 4000 postes n’ont pas été pourvus aux concours enseignants.

Dans certaines disciplines, la situation est même critique: en mathématiques, seuls 557 candidats ont été admis au Capes – le concours pour devenir professeur dans le second degré – pour 1035 postes disponibles.

Une licence et un casier vierge suffisent

Pap Ndiaye, le ministre de l’Éducation nationale, a reconnu des “difficultés structurelles” de recrutement, qui se sont aggravées ces dernières années. Mais il l’a promis, à de multiples reprises: “Il y aura un professeur devant chaque classe dans toutes les écoles de France” à la rentrée scolaire.

Atteindre cet objectif passe par le recrutement de contractuels, des enseignants non titulaires qui n’ont pas passé les concours. “Il est vrai que nous avons recours à une proportion d’enseignants contractuels qui est importante”, a récemment reconnu Pap Ndiaye: 1% des enseignants dans le premier degré et entre 8 et 10% dans le second degré, avec des variations selon les académies.

Trois conditions pour postuler: “être titulaire, a minima, d’une licence”, avoir un casier judiciaire vierge et “être mobile au sein du département dans lequel (on sera) recruté”, liste la page consacrée au recrutement des enseignants contractuels de l’académie de Versailles – les tensions sont particulièrement fortes en Île-de-France.

Des centaines de candidats ont ainsi été reçus lors de ces journées de recrutement. Dont moi-même. Je ne souhaite pas me reconvertir dans l’enseignement, mais j’ai candidaté pour constater directement les conditions de ces recrutements express.

Un entretien de trente minutes

Début juin, j’ai donc envoyé CV et lettre de motivation aux quatre départements de l’académie de Versailles (les Yvelines, l’Essonne, les Hauts-de-Seine et le Val-d’Oise). Il faut préciser que je n’ai pas indiqué ma profession de journaliste – l’expérience aurait certainement été vouée à l’échec – sur mon CV. Je n’ai cependant pas menti sur mon nom, ni sur mon adresse et encore moins sur mes diplômes.

Si j’ai volontairement omis de mentionner celui d’une école de journalisme – pour les mêmes raisons – je me suis contentée d’indiquer ma licence de lettres modernes. Je n’ai pas inventé d’expérience dans l’éducation ni dans l’encadrement d’enfants: je n’en ai aucune.

C’était d’ailleurs le principe de la démarche: vérifier si avec une simple licence, sans aucune formation ni compétence dans l’enseignement, il était possible d’être recrutée pour se retrouver, le 1er septembre, devant une classe.

Une semaine après l’envoi, trois directions des services départementaux de l’Éducation nationale m’ont répondu pour me proposer un entretien d’embauche à la mi-juin, à chaque fois pour un poste de professeure des écoles.

“Je ne sais pas”

Durant ces entretiens d’une trentaine de minutes, j’ai été interrogée à chaque fois par deux personnes – des membres de l’inspection académique ou des conseillers pédagogiques. Sur le système scolaire, le fonctionnement d’une école, la place du numérique, les ressources pédagogiques… Je n’avais pas bachoté avant de me rendre à ces entretiens, notamment pour ne pas fausser l’expérience. J’ai tenté de répondre au mieux mais j’ai improvisé. Et il m’est aussi arriver de sécher.

“Qu’est-ce que vous connaissez du programme?” m’a-t-on demandé. “Pas grand chose”, ai-je répondu. Autre question: “Quels sont les liens avec le collège?” Réponse: “Je ne sais pas.” Ou encore: “Connaissez-vous les documents officiels que vous devez avoir dans votre classe?” Je n’en avais aucune idée: “Non.”

Lors de ces trois entretiens d’embauche, le jury m’a aussi mise en situation avec des problèmes auxquels doivent faire face les enseignants: harcèlement, incident avec la laïcité, difficultés avec un enfant porteur de handicap ou en décrochage, relation avec les parents… “C’est du bon sens”, tente-t-on de m’aider. “Je ne sais pas si c’est ce qu’il faut faire”, ai-je une fois précisé.

“Enseigner, ça ne s’improvise pas”

“C’est complètement hallucinant de parler de bon sens, l’enseignement ce n’est pas du bon sens”, s’inquiète pour BFMTV.com Guislaine David, co-secrétaire générale et porte-parole du Snuipp-FSU, le syndicat majoritaire des professeurs des écoles.

“De toute évidence, on ne cherche pas à recruter des enseignants mais des personnes qui garderont les enfants”, dénonce la syndicaliste.

Durant les entretiens, on me promet une formation à la fin du mois d’août pour “parler de la sécurité et des programmes”. Mais il ne faudra pas trop compter dessus: il s’agit d’une session express de “quatre à cinq jours”.

Si tous les recruteurs m’ont encouragée à me pencher “sérieusement” sur les programmes, à “préparer” mes cours et à me “construire” des outils pour séquencer les enseignements, même avec la meilleure volonté, cela paraît compliqué. Car les enseignants contractuels ne connaissent leur affectation précise – et donc le niveau des élèves face à eux – que bien plus tard.

“En général, c’est un peu au dernier moment”, me confie-t-on lors d’un entretien. C’est-à-dire: mi-août? Fin août? “Ce sera plutôt début septembre”, me répond-on. “Et puis vous pouvez être affectée quelques jours dans une école et finalement dans une autre, en temps plein pour l’année ou en remplacement.” De la petite section de maternelle en passant par le CP et jusqu’au CM2.

“Clairement, ça signifie que les contractuels n’auront pas le temps de préparer leurs cours”, regrette encore Guislaine David, du Snuipp-FSU. “Donc ils vont improviser. On ne peut pas leur en vouloir mais enseigner les mathématiques à des maternelles, des CP ou des CM2, ça ne s’improvise pas. On court à la catastrophe.”

De la petite section au CM2

Je m’en inquiète et demande si je serai suivie par un tuteur ou encadrée par un professeur référent. Lors d’un entretien, on m’assure que je recevrai durant les deux premiers mois une visite hebdomadaire d’un inspecteur de l’Éducation nationale. Mais lors d’un autre entretien, on ne m’annonce pas la même fréquence.

“Vous serez suivie par des conseillers pédagogiques qui viendront vous voir au minimum deux fois dans l’année. Ce n’est pas beaucoup mais vous pouvez évidemment les solliciter par mail. Et ils peuvent revenir à votre demande.”

À la fin, je demande si avec un simple bac+3 et sans expérience, il est illusoire de vouloir devenir enseignante. “Pas du tout, c’est un profil très intéressant”, m’affirme-t-on. “Vous êtes tout à fait légitime”, m’assure-t-on encore. “Si votre profil est arrivé là, c’est qu’il a été vérifié.”

Trois réponses positives

Sur trois entretiens passés, j’ai reçu quelques jours plus tard trois réponses positives. 100% de réussite. J’aurais donc pu, dès ce jeudi 1er septembre, me retrouver face à une classe de maternelle ou d’élémentaire. Mais j’ai décidé d’arrêter ici l’expérience.

Sophie Vénétitay, secrétaire générale et porte-parole du Snes, le premier syndicat enseignant du second degré, juge le processus de recrutement que j’ai suivi “affligeant” et “inacceptable”. “C’est de l’affichage”, dénonce-t-elle auprès de BFMTV.com. “Le ministère pourra à la rentrée cocher la case d’un enseignant devant chaque classe, comme il l’a promis, mais combien de contractuels vont démissionner, combien vont craquer? On oublie qu’enseignant, c’est un métier qui s’apprend, pour lequel on est formé.”

“Vous accepteriez d’être soigné par un médecin recruté parce qu’il regarde la série Urgences et qu’il sait mettre un pansement? Non. Alors pourquoi impose-t-on ça à nos enfants?”

Du côté de l’académie de Versailles, on m’indique être “confiant pour la rentrée”, avec le recrutement de personnes “aux profils diversifiés et engagés”. Et ajoute: “L’académie se concentre désormais sur la mise en œuvre d’un accueil et d’un accompagnement de qualité pour l’ensemble de ces personnels: journées de formation avant la rentrée et au cours de l’année, tutorat avec des enseignants expérimentés, ressources adaptées.”

Des sessions de formation ont bien été organisées dans plusieurs académies en amont de la rentrée. Objectif, apprendre en quelques jours aux nouvelles recrues “comment asseoir son autorité” ou “comment transmettre des infos de manière intelligible et adaptée”, a résumé sur BFMTV Mehdi Cherfi, directeur des relations et ressources humaines de l’académie de Créteil. Et “leur fournir un certain nombre d’éléments un peu clé en main sur des contenus disciplinaires”.

“Nous devons faire avec”

J’ai tenté de contacter le ministère pour avoir des détails sur la manière dont les candidatures des contractuels étaient vérifiées et le profil de ceux et celles qui ont été recrutés pour la rentrée. Je n’ai pas eu de réponse. Interrogé sur le sujet jeudi, à une semaine de la rentrée, Pap Ndiaye a reconnu que la situation n’était pas “optimale”.

“Nous faisons au mieux”, a commenté le ministre de l’Éducation nationale sur France 2. “On parle ici de 3000 enseignants contractuels nouveaux sur un total de 850.000 enseignants, c’est donc 0,3% du total.”

Enseignant est “un métier d’expérience, aucun doute là-dessus et j’aimerais que tous aient une expérience conséquente mais nous devons faire avec la situation tendue”, a-t-il ajouté. Et le ministre de promettre à toutes ces nouvelles recrues “un suivi tout au long de l’année”.

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