[Édito] Robert Mugabe, un président en noir et blanc – Jeune Afrique

De la lutte héroïque pour l’indépendance à ses dernières années au pouvoir, passablement pathétiques, retour sur le parcours en dents de scie de Robert Mugabe, l’enfant de Kutuma devenu président.

Robert Mugabe n’était pas Nelson Mandela. Il a mal fini, s’accrochant au pouvoir bien au-delà de sa propre date de péremption. De ses dernières années au pouvoir, passablement pathétiques, et de la trahison de ses proches qui aujourd’hui versent sur sa dépouille des larmes de crocodile après l’avoir renversé, JA vous a tout dit ou presque, comme le démontre le dossier que nous publions ce 6 septembre.

Tout comme nous nous sommes efforcés, tout au long de ses trois décennies de règne quasi absolu, d’expliquer et d’analyser pourquoi l’enfant de Kutuma, élevé par une mère célibataire et éduqué par les jésuites, était devenu, comme il le dira un jour par défi, un « diplômé en violence ».

Lutte de libération

Avant d’être un autocrate pétrifié dans ses certitudes, Mugabe fut un héros panafricain, et à l’heure de sa mort, dans un hôpital aseptisé de Singapour où il était alité depuis près de cinq mois, c’est de cela aussi qu’il convient de se rappeler. La chimurenga, la lutte de libération qu’il mena contre le régime raciste de Ian Smith de 1966 à 1979 – et dont il paya personnellement le prix par dix ans d’emprisonnement – fut une guerre de guérilla et de contre-insurrection féroce, ponctuée de massacres de civils, de disparitions, de tortures, d’attentats et de bombardements au napalm.

Une lutte juste et exemplaire, comme le furent toutes celles qui, du Cap à Alger, délivrèrent l’Afrique de ses chaînes coloniales, et que Jeune Afrique a soutenues et accompagnées avec constance et vigilance depuis sa fondation.

Dictature autiste

L’Histoire, un jour, fera la part des choses. Elle dira la faute qui revient à Robert Mugabe dans le lent glissement de son régime sur la pente d’une dictature autiste, mais aussi la responsabilité de l’ancienne puissance britannique, qui ne respecta jamais les engagements souscrits lors des accords de Lancaster House, celle aussi d’une communauté blanche ancrée dans ses privilèges d’ex-Rhodésiens, acharnée dès le lendemain de l’indépendance à saboter l’expérience d’un État biracial.

Elle dira aussi que la réforme agraire violente et chaotique des année 2000, qui valut à Mugabe l’opprobre de la communauté internationale et des grands bailleurs de fonds, fut dans le fond – si ce n’est dans la forme – une nécessité absolue pour les centaines de milliers de petits paysans confinés dans les bantoustans agraires des Tribal Trust Land.

Et qu’elle ne fut pas toujours et partout un échec.

Révolver russe

Le Mugabe Premier ministre que j’ai rencontré un jour d’avril 1980 dans un petit bureau de ce qui ne s’appelait pas encore Harare mais Salisbury, avec sa secrétaire blanche servant le thé, ses livres de droit et d’économie marxiste empilés sur une chaise et son revolver russe posé au bord d’une cheminée décorative, était un mélange fascinant de missionnaire british et de révolutionnaire vietnamien.

C’est cette image que désormais je garderai de lui. Et tant pis si elle est en noir et blanc.

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