Réforme des retraites, le choix du temps long – Le Monde

Editorial. Emmanuel Macron a choisi d’engager une négociation avec les partenaires sociaux et une concertation citoyenne pour mener à bien cette réforme très sensible.

Publié hier à 11h43, mis à jour hier à 13h12 Temps de Lecture 2 min.

De gauche à droite : Agnès Buzyn, Edouard Philippe et Jean-Paul Delevoye face à la délégation du Medef conduite par Geoffroy Roux de Bezieux (2e à droite), à Matignon, à Paris, le 5 septembre 2019.

Editorial du « Monde ». Michel Rocard avait prévenu : la réforme des retraites est un sujet tellement inflammable qu’il peut faire tomber plusieurs gouvernements. Edouard Balladur l’avait compris, et c’est presque en catimini, sans véritable concertation, qu’il avait imposé, en août 1993, un changement majeur, en portant la durée de cotisation nécessaire pour une retraite à taux plein de 37,5 ans à 40 ans.

En 1995, Alain Juppé, qui voulait s’attaquer à des régimes spéciaux, avait été contraint de reculer face à un important mouvement social. En 2010, Nicolas Sarkozy, confronté aussi à une forte et longue contestation, avait mené sa réforme au pas de charge, portant l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans. En 2003, Jean-Pierre Raffarin avait à son tour imprimé sa marque – en étendant la réforme Balladur à la fonction publique et en allongeant la durée de cotisation – en recourant à une négociation qui lui avait permis, à l’arrivée, d’avoir la caution de la CFDT.

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Emmanuel Macron semble inscrire sa démarche dans les pas de l’ancien premier ministre de Jacques Chirac. Le président de la République parle lui aussi de négociation et souligne qu’à ce stade « rien n’est décidé ». Il tend la main à la CFDT en ne reprenant pas la proposition phare du rapport de Jean-Paul Delevoye, le haut-commissaire qui pilote la réforme – préconisant un âge pivot de 64 ans pour bénéficier d’une retraite à taux plein – et en privilégiant la durée de cotisation.

Edouard Philippe, qui menait des consultations, jeudi 5 et vendredi 6 septembre, avec l’ensemble des acteurs sociaux sur le calendrier et la méthode, met en scène un nouveau triptyque : « écoute, dialogue, proximité ». Le premier ministre évoque même une « coconstruction », qui n’est pas sans rappeler le principe de la démocratie sociale dont se réclamait François Hollande…

Inévitables tensions

Pour M. Macron, échaudé par la longue crise des « gilets jaunes », le changement de méthode, c’est maintenant. On a suffisamment reproché au chef de l’Etat d’ignorer, voire de mépriser, les acteurs sociaux pour ne pas se féliciter de ce virage. En élève modèle, M. Philippe ne livrera les résultats des consultations en cours que la semaine prochaine. L’exécutif joue donc le temps long pour une réforme qui ne devrait être bouclée qu’après les élections municipales afin d’entrer en vigueur en 2025.

Cette stratégie a plusieurs avantages. Sur le plan social, elle remet dans le jeu la CFDT, le premier syndicat et le seul à soutenir l’instauration d’un système universel. Elle prive de grain à moudre les syndicats contestataires, la CGT et FO, qui auront du mal à mobiliser leurs militants dès lors que le contenu de la réforme est en cours d’élaboration. Sur le plan politique, M. Macron fait une ouverture en direction des électeurs du centre gauche.

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Sur le modèle du grand débat, une consultation citoyenne va être lancée. C’est une bonne méthode, mais elle ne peut démarrer sur une page blanche. Les derniers épisodes ont montré qu’il y avait plusieurs lignes au sein du gouvernement, et que l’Elysée et Matignon n’étaient pas forcément, à propos de la réforme elle-même, sur la même longueur d’onde.

La consultation ne peut pas s’engager dans le brouillard. La suppression des 42 régimes existants va se faire dans la douleur et provoquer inévitablement des tensions. Elle aura aussi un coût financier. M. Macron rêve sans doute de se représenter en 2022 en brandissant le trophée de celui qui a déjoué la malédiction de la réforme impossible. Mais son pari est loin d’être gagné.

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Le Monde

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