RECIT. Procès du meurtre de Julie Douib : de “l’emprise” à “l’enfer”, retour sur l’un des 146 féminicides de 2 – franceinfo

Lorsque Monique* pense à Julie Douib, elle évoque les longues promenades sur les plages de sable blanc qui bordent le village de L’Ile-Rousse (Haute-Corse) où elles se sont rencontrées. Elle se souvient des matchs de foot de leurs petits garçons pendant lesquels leur amitié s’est nouée. Elle décrit les éclats de rire qu’elles partageaient. “Julie, c’était un soleil”, s’exclame Monique, toujours choquée par la mort de son amie, il y a deux ans.

Cette mère de deux enfants est morte un dimanche matin, le 3 mars 2019, à son domicile, après avoir reçu deux balles de calibre 9 mm tirées à bout portant par son ex-conjoint Bruno Garcia. Ce dernier s’est tout de suite rendu à la gendarmerie du village pour avouer le meurtre. Placé en détention préventive pour l’assassinat de son ancienne compagne, son procès s’ouvre jeudi 10 juin, au tribunal de grande instance de Bastia.

Bruno Garcia et Julie Douib se sont rencontrés en 2006, près de L’Ile-Rousse. Elle n’a alors que 21 ans, lui en a 29. “A l’origine, elle partait juste pour un job d’été dans un restaurant, elle devait rentrer au bout d’une saison”, raconte Lucien Douib, le père de Julie. Là-bas, la jeune brune tombe éperdument amoureuse de Bruno Garcia, un enfant du pays. “Il lui avait joué le grand jeu, et elle s’était laissé séduire, relève son père. Il avait tout du gendre idéal quand elle nous en parlait, elle était heureuse. C’était un beau couple.” Ils s’installent ensemble, à L’Ile-Rousse, une commune balnéaire et rurale, où tout le monde se connaît. “Ils étaient à l’opposé l’un de l’autre”, observe de son côté Monique.

“Lui était plutôt renfermé et pas très sociable, elle c’était tout l’inverse.”

Monique, une amie de Julie Douib

à franceinfo

Au bout de quelques années, ils accueillent leur premier enfant. Puis un second, deux ans plus tard. Julie ne travaille plus et se consacre à l’éducation de ses garçons, aujourd’hui âgés de 10 et 12 ans. Dans les rares moments qu’elle s’accorde, elle aime créer ses propres bijoux, qu’elle vend dans les foires du coin. “Dans le village, on savait que ses enfants étaient toute sa vie. Elle les accompagnait à l’école, au sport, et ne sortait pas beaucoup. Mais c’est comme ça qu’elle était heureuse”, décrit Monique.

Sur Facebook, Julie partage des photos d’une famille en apparence épanouie. Une manière de garder le contact avec ses proches, restés dans sa ville natale de Vaires-sur-Marne (Seine-et-Marne), comme Céline Lolivret, son amie d’enfance, qui voit défiler chacune de ses publications. Les naissances de leurs enfants respectifs sont l’occasion de retrouver leurs liens amicaux, dilués par la distance. “Julie était la première à m’envoyer un cadeau à la maternité”, se souvient, émue, Céline Lolivret, qui décrit une amie fidèle et pleine d’attentions.

A l’époque, la correspondance se fait plus régulière entre les deux femmes, et Julie se laisse peu à peu aller à de rares confidences sur sa vie de couple, pas aussi reluisante qu’affichée. “Elle me disait qu’il s’énervait beaucoup contre elle, qu’il était violent, mais elle minimisait toujours les choses”, assure Celine Lolivret.

“Elle m’a fait promettre de tout garder pour moi de peur que ses parents l’apprennent, parce que je les croisais quasiment tous les jours. Elle avait honte.”

Céline Lolivret, une amie d’enfance de Julie Douib

à franceinfo

A L’Ile-Rousse, Julie continue d’afficher un large sourire de façade devant ses amies. Elle se confie peu. Le couple est pourtant connu pour s’être disputé plusieurs fois en public. “Je me souviens d’une scène à la foire, où elle vendait parfois ses créations de bijoux. Son compagnon s’était emporté et a cassé son stand”, affirme Valentine Biancardini, une habitante de la commune, qui ne connaissait que vaguement le couple et qui a organisé la marche blanche en hommage à Julie Douib après sa mort. “On savait qu’ils se disputaient beaucoup, mais elle ne s’étalait pas là-dessus, alors on ne lui en parlait pas non plus”, remarque Monique.

Le père de Julie se souvient, lui, d’un appel de sa fille reçu en juillet 2018, durant lequel elle lui confie, pour la première fois, subir des violences et des menaces de la part de son compagnon. “On est tombé de très, très haut”, raconte-t-il.

“Il lui interdisait de voir ses amies, de travailler, et ça durait depuis des années déjà. Il a exercé son emprise progressivement. On aurait dû être au courant des violences, mais elle nous a protégés. Dès qu’on l’a su, on a voulu l’aider.”

Lucien Douib, père de Julie

franceinfo

En août, ses parents se rendent en Corse pour tenter de la convaincre de partir. “Il l’avait menacée même devant moi”, se souvient Lucien Douib. Le mois suivant, une énième dispute, devant les enfants du couple, convainc Julie de quitter définitivement le foyer conjugal pour partir se reconstruire après 13 ans de vie commune. “A partir de ce moment-là, il lui a fait vivre un enfer. Il l’empêchait de voir ses enfants. Il la suivait. Les menaces de mort s’accumulaient contre elle et moi aussi”, explique son père, qui enchaîne les allers-retours vers la Corse pour “soutenir sa fille”.

Après la séparation, plusieurs plaintes et mains courantes sont déposées par la victime, son père, mais aussi Bruno Garcia, pour violences, vol, dégradation ou injures non publiques. Au total, Julie porte plainte six fois contre son ex-compagnon, pour menace de mort, harcèlement et coups et blessures.

“Elle avait signalé que son ex-compagnon portait une arme. On lui a dit que rien ne pouvait être fait tant qu’il ne s’en était pas servi.”

Lucien Douib, père de Julie

franceinfo

Antoinette Salducci, à l’époque conseillère départementale, se rappelle avoir croisé la jeune femme dans la rue, quelques mois avant sa mort. La conversation se noue autour de l’équipe de foot du village puis se focalise sur les violences que Julie subit. L’ancienne élue se remémore : “J’avais entendu parler de sa situation via d’autres parents. Elle me disait que la gendarmerie n’avait pas donné suite à ses plaintes. J’étais choquée, je lui ai dit de s’adresser aux services sociaux de la mairie.” Elle décrit une jeune femme optimiste, bien qu’inquiète, qui venait de trouver un logement et signer un CDI. “Elle ne se laissait pas faire. A voir sa détermination, ça ne pouvait qu’aller mieux pour elle…” regrette Antoinette Salducci.

En coulisse, Julie Douib continue de se battre pour obtenir la garde de ses fils, qu’un juge des affaires familiales de Bastia a accordé, provisoirement, à leur père, selon un jugement du 28 janvier 2019. “Deux jours avant le meurtre, il lui avait permis de les voir et est passé prendre les enfants à l’improviste en la menaçant. Alors elle est allée à la gendarmerie”, se rappelle Lucien Douib. Là-bas, elle découvre que ses plaintes ont toutes été classées sans suite. “Il faudra qu’il me tue pour que vous me preniez au sérieux”, lâche-t-elle aux gendarmes, selon le récit de son père. Julie Douib est retrouvée en sang, deux jours plus tard, sur le balcon de l’appartement où elle vivait depuis la séparation, blessée au thorax et au bras gauche. Elle succombe à ses blessures peu après.

Le procès qui s’ouvre jeudi cherchera à en savoir davantage sur le déroulé et les motivations de son ex-compagnon, qui lui a tiré dessus à trois reprises, l’atteignant deux fois. Devant les enquêteurs, Bruno Garcia a affirmé que son acte n’était pas prémédité, mais l’accusation assure le contraire et l’enquête prouve qu’il a mené “une traque” de son ex-compagne. Le suspect avait fait des recherches sur internet telles que “peine pour homicide avec arme” et “partir vivre en Thaïlande”. “Moi aussi, je vais bientôt rejoindre ton beau-frère à Borgo”, l’une des deux prisons de Haute-Corse, avait-il aussi déclaré à une connaissance la veille des faits, rappelle l’AFP. Contactée, l’avocate de Bruno Garcia n’a pas répondu aux sollicitations de franceinfo.

Le féminicide de Julie Douib, le 30e sur les 146 dénombrés en 2019, a suscité une mobilisation inédite et entraîné l’organisation d’un Grenelle sur les violences faites aux femmes. Lequel a débouché sur 46 mesures, dont le déploiement de bracelets anti-rapprochement. En Corse, où elle vivait, son meurtre a provoqué un vif émoi et près de 4 000 personnes ont défilé, le 9 mars 2019, lors d’une marche blanche entre le domicile de cette jeune femme souriante jusqu’aux plages méditerranéennes qu’elle affectionnait. “C’était une fleur, ma fille, s’émeut Lucien Douib, qui s’occupe désormais des deux garçons du couple. On s’est promis avec ma femme de tout faire pour les rendre heureux.”

Pour noyer sa tristesse, Lucien Douib s’est lancé à corps perdu dans la lutte contre les violences faites aux femmes et il confie avoir le cœur serré à chaque nouveau féminicide. “Il a fallu un an et demi pour qu’on commence à voir des avancées liées au Grenelle, c’est toujours très lent, souffle-t-il. C’est insoutenable de voir des femmes mourir sous les coups de leurs ex-conjoints.” Lundi 9 juin, en route pour assister au procès de sa fille, il assure toutefois avoir confiance en la justice : “Peut-être qu’on va enfin pouvoir tourner la page après deux années douloureuses, mais la tristesse sera toujours là.”

* Le prénom a été modifié à la demande de l’intéressée.

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