RECIT. “Ils avaient tous le même potentiel de mort” : au procès des attentats du 13-Novembre, un réquisitoire – franceinfo

Des peines allant de cinq ans à la perpétuité incompressible. Au terme d’un réquisitoire marathon de trois jours, le Parquet national antiterroriste (Pnat) a détaillé, vendredi 10 juin, les peines qu’il réclame à l’encontre des vingt accusés jugés dans le cadre du procès des attentats du 13 novembre 2015. Les avocats généraux ont notamment demandé qu’ils soient tous déclarés coupables par la cour d’assises spéciale de Paris.

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Sans surprise, la peine la plus lourde est requise à l’encontre de Salah Abdeslam, le principal accusé, “au regard de l’immense gravité des faits qui lui sont reprochés”L’unique membre encore vivant du commando du 13-Novembre est le seul à comparaître pour “meurtres, séquestrations et tentatives de meurtres en bande organisée en lien avec une entreprise terroriste”, et non pour complicité. La peine encourue est la même, mais les avocats généraux ont tenu à le distinguer de ses co-accusés en prononçant la perpétuité incompressible. Cette sanction, rare, rend infime la possibilité d’obtenir un aménagement de peine et donc une libération.

Pendant trois jours, les trois représentants du Pnat se sont succédé face au pupitre transparent. Ils se sont évertués, avec une grande minutie, à “reconstruire” pièce par pièce “le puzzle” des pires attaques terroristes commises sur le sol français. Mercredi, l’avocate générale Camille Hennetier, la première, invite la cour d’assises spéciale de Paris à “examiner les éléments dans leur ensemble et les remettre en perspective”. Elle tourne d’abord son regard du côté des parties civiles.

“Que retiendra-t-on de cette audience ? Quelles images ? Quelles paroles resteront ? Votre verdict, bien sûr.”

Camille Hennetier, avocate générale

lors du réquisitoire

Aux yeux de la magistrate, il restera aussi et surtout de ce procès historique “le nom des disparus égrenés en septembre dernier”, “les récits des victimes”, “l’horreur des faits bruts et des scènes de crimes”, “la présence du sang et de la poudre”, “la cruauté des terroristes qui achèvent coup par coup” et “l’enfer dantesque du Bataclan”.

Pour autant, comme Camille Hennetier le souligne, ce procès n’a pas permis “de comprendre la barbarie, seulement parfois de s’en approcher un peu”. “D’un procès ne surgit pas toujours la vérité mais une vérité : la vérité judiciaire”, prévient-elle. Et d’admettre : “Il reste des zones d’ombre. Sur les accusés eux-mêmes. Sur les faits aussi.” Pour l’avocate générale, “toutes ces questions qui nous taraudent ont une réponse et cette réponse est dans le box”. Elle insiste sur le fait que “la plupart des accusés savent mais n’apporteront pas de réponse. Ils savent presque tout. Mais ils se sont tus. Et se tairont jusqu’à la mort”Car les longs mois de débats, depuis le mois de septembre dernier, touchent à leur fin sans avoir révélé tous les tenants et aboutissants des attentats. L’accusation a dû faire avec. 

“Le dossier garde ses mystères mais nous allons vous proposer une clé de lecture”, annonce Camille Hennetier au début de ce réquisitoire fleuve. “Notre besoin de comprendre est à la mesure de ce que nous avons subi”, poursuit, à ses côtés, Nicolas Braconnay, deuxième avocat général à porter la voix du Pnat.

Lui et les deux autres représentants de l’accusation tiennent à articuler leur démonstration de manière chronologique, afin de rien oublier : “La naissance du projet en zone irako-syrienne tout d’abord, l’organisation des attaques ensuite, puis les attentats en eux-mêmes, et, enfin, les suites du 13-Novembre et la reconstitution d’une cellule à Bruxelles”. Pour ce faire, Nicolas Braconnay commence par redessiner la structure du noyau jihadiste à l’origine des attaques.

“La personne d’Oussama Atar est la seule qui fait le lien entre les différents groupes des 33 membres de la cellule terroriste”, estime l’avocat général. Présumé mort en zone irako-syrienne, il fait partie des cinq cadres du groupe Etat islamique jugés en leur absence. C’est à leur encontre que l’accusation a commencé par annoncer les peines requises, vendredi après-midi. Elle a demandé des peines de réclusion criminelle à perpétuité, assorties notamment pour Oussama Atar d’une période de sûreté incompressible. 

A l’encontre d’Ahmed Dahmani, sixième absent jugé par défaut par la cour d’assises spéciale de Paris car incarcéré en Turquie, le Parquet antiterroriste a demandé 30 ans de réclusion, assortis d’une période de sûreté des deux tiers.

Le défi des avocats généraux était d’appréhender la cellule terroriste comme “un tout”, mais de requérir selon le principe de l’individualisation des peines. Ainsi, Camille Hennetier décrit, jeudi, des “jihadistes expérimentés”, des “jeunes recrues” devenues des “machines de guerre, des machines à tuer” : “Ils avaient tous le même potentiel de mort, le même entraînement.” Les membres du commando sont “interchangeables”, poursuit son collègue Nicolas Braconnay. Néanmoins, assure-t-il, le Pnat ne fait “pas de confusion entre les niveaux de responsabilité de chacun”.

L’accusation “récuse l’expression, souvent entendue, de ‘seconds couteaux'”. “Il n’y aurait pas eu d’attentats” sans la logistique, soutient-il, en citant “le transport”, “la nourriture” ou “les recherches d’armes”. “Au fond, le résultat est le même : ils ont nourri la bête”, insiste-t-il.

Tous ne sont pas des jihadistes convaincus, tous n’agissent pas dans le but de commettre un attentat par procuration. Mais tous ont accepté d’apporter leur concours à un projet terroriste.

Nicolas Braconnay, avocat général

lors du réquisitoire

C’est pourquoi les représentants du Pnat requièrent à l’encontre de Farid Kharkhach, accusé d’avoir fourni de faux papiers à la cellule du 13-Novembre, une peine de six ans d’emprisonnement, “persuadés qu’il a agi par lâcheté et par cupidité”. Le ministère public est plus sévère envers Ali El Haddad Asufi, “qui gère les déplacements”, et réclame une peine de 16 ans d’emprisonnement assortie d’une période de sûreté des deux tiers.

Mais il l’est encore davantage contre Mohamed Bakkali, qualifié de “surintendant de la terreur”, une “pièce maîtresse qui concentre toutes les attentions de la cellule”. L’accusation requiert à son encontre la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d’une période sûreté de 22 ans et d’une interdiction définitive d’entrée sur le territoire français. 

Concernant les “petites mains”,  Abdellah Chouaa, Hamza Attou et Ali Oulkadi, accusés d’avoir apporté leur aide à Salah Abdeslam dans sa cavale, le Parquet national antiterroriste a requis cinq à six ans de prison. L’avocate générale souligne la particularité de ces accusés, qui comparaissent libres, et “l’exemplarité de leur comportement” pendant le procès. Néanmoins, certaines peines requises contre ces trois hommes accusés de “complaisance” et d’avoir accepté un “pacte avec le diable” – en l’espèce Salah Abdeslam – sont assorties d’un mandat de dépôt.

Camille Hennetier est tout aussi tranchante lorsqu’elle annonce requérir la perpétuité assortie d’une période de trente ans de sûreté à l’encontre du Suédois Osama Krayem et du Tunisien Sofien Ayari. Car, à ses yeux, ils sont “bel et bien” “complices” des attentats commis à Paris et Saint-Denis. Tout comme l’accusation a “la conviction” qu’ils devaient “commettre un attentat le soir du 13 novembre” à l’aéroport de Schiphol, à Amsterdam.

Camille Hennetier les qualifie de “taiseux” du procès. “Leur silence nous met mal à l’aise, car il nous donne l’impression de devoir les juger sur du vide”, mais il faut l’interpréter “comme du mépris envers votre cour et les victimes”“Si le silence est un droit, il ne doit pas leur profiter”, intime-t-elle. “Ils sont donc complices”, avait dit la veille son collègue Nicolas Braconnay.

Aux yeux de l’accusation en revanche, la “place” de Salah Abdeslam au sein de la cellule jihadiste “est autre que celle d’un complice. Il ne s’est pas contenté d’aider à la préparation, il y a participé”, argue Camille Hennetier dès le début des réquisitions, rappelant que le principal accusé est renvoyé en tant que “co-auteur” des attentats. Et pendant ces longues heures de réquisitions, le Pnat explique qu’il ne croit pas à la version des faits que Salah Abdeslam a livrée lors de son ultime interrogatoire, mi-avril. Porteur d’une ceinture explosive le soir du 13 novembre 2015, l’accusé de 32 ans avait expliqué qu’il avait renoncé “par humanité” à se faire exploser dans un café du 18e arrondissement de Paris.

Pour l’accusation, ses mensonges “se téléscopent” et “cette défense ne résiste pas à l’examen du dossier”Le ministère public, qui réfute l’hypothèse d’un “Salah Abdeslam dans l’ombre de son frère”, le décrit comme un accusé qui “cherche à tout prix à se faire passer pour un terroriste tombé du ciel”. “Malgré ses paroles, malgré ses larmes”, Salah Abdeslam “enfermé” dans “un carcan”, s’est montré “incapable d’exprimer le moindre remords”, estime Camille Hennetier. 

Les trois avocats généraux, qui se sont succédé face au pupitre transparent pendant trois jours, sont aussi sévères à l’égard de Mohamed Abrini. “L’homme au chapeau” des attentats de Bruxelles en mars 2016, était lui aussi “bien prévu” pour le 13-Novembre, selon le ministère public. Il l’a concédé lui-même, pour la première fois, au cours de l’audience, et l’avocat général Nicolas Braconnay a reconnu au cours du réquisitoire “un petit pas de Mohamed Abrini vers la vérité”. Mais selon lui, il a aussitôt fait “deux pas en arrière”. “Nous sommes convaincus que Salah Abdeslam et Mohamed Abrini n’ont pas tout dit”, insiste-t-il.

Les deux hommes “restent pétris d’idéologie”, estime Camille Hennetier, avant d’annoncer qu’une peine de réclusion criminelle à perpétuité avec une période de sûreté de 22 ans est requise à l’encontre de Mohamed Abrini. Car “il a un rôle moins important que Salah Abdeslam dans la logistique”, justifie-t-elle. “Aucun élément ne permet d’entrevoir une évolution future favorable”, estime cependant la magistrate, qui partage ce constat pour la plupart des autres accusés.

Les deux hommes, comme tous les autres, écoutent avec beaucoup d’attention toutes les peines requises et la conclusion de l’avocate générale. 

Votre verdict ne guérira pas les blessures visibles ou invisibles mais il assurera que la justice et le droit ont le dernier mot.

Camille Hennetier, avocate générale

lors du réquisitoire

Les accusés se lèvent puis s’entretiennent avec leurs avocats. Car c’est vers la défense, dont les plaidoiries commencent lundi, que se tournent désormais tous les regards.

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