Affaire Sanofi : La France a-t-elle encore une chance dans la course au vaccin contre le Covid-19 ? – 20 Minutes

Une chercheuse danoise qui travaille sur un éventuel vaccin contre le Covid-19. (illustration) — THIBAULT SAVARY / AFP
  • Les déclarations du géant pharmaceutique français Sanofi, qui a annoncé qu’il distribuerait un éventuel vaccin en priorité aux Etats-Unis en réponses à leurs investissements, avant de rétropédaler (en partie), illustre la course folle dans laquelle sont lancés les laboratoires du monde entier face au coronavirus.
  • En France, peu d’acteurs sont sur le coup. Par manque de moyens, mais aussi parce que la recherche hexagonale est le plus souvent concentrée sur les traitements plutôt que sur les vaccins.
  • S’il s’avérait « simple », au final, de trouver un vaccin contre le Covid-19, alors « les autres ont pris de l’avance », prévient Morgane Bomsel, chercheuse du CNRS à l’Institut Cochin.

Les braises fument encore, mais l’incendie Sanofi est en passe d’être maîtrisé. Rendons ici un hommage mérité au numéro « good cop-bad cop » improvisé par les huiles communicantes de l’entreprise française pour se sortir de l’ornière. D’un côté, le bel exercice de contorsionniste réussi par Serge Weinberg, le prédisent du conseil d’administration de Sanofi, venu battre sa coulpe sur le JT de France 2 jeudi soir. Le genre d’homme sans doute peu habitué à se faire taper sur les doigts en place publique, et pourtant. Il encaisse les charges successives d’Anne-Sophie Lapix avec la modestie requise.

En substance : « Le vaccin, réservé aux Américains ? Diantre non, qu’allez-vous pensez-là ? Nos usines en Europe se feront en plaisir de le donner au monde entier, et pour pas cher ! ». Un peu plus, il nous proposait lui-même la potence pour Paul Hudson, son impudent directeur général, responsable du départ de feu. Et de l’autre, ni vu ni connu, Olivier Bogillot, président de Sanofi France, qui fait la tournée des médias sans changer une virgule au fond de l’affaire. Ainsi dans Le Parisien : «  Nous avons sollicité des aides de l’UE, mais ça traîne. Or, nous avons besoin d’un soutien du même ordre que celui apporté par l’Amérique pour vacciner la situation européenne ».

« Les laboratoires privés ne veulent pas y aller seuls »

Un rétropédalage savamment orchestré, en quelque sorte. « Cet épisode n’est pas très glorieux pour l’image, mais c’est une bourde révélatrice, décrypte Nathalie Coutinet, chercheuse en économie de la santé à l’université Paris-XIII et experte des stratégies des firmes pharmaceutiques. « Les acteurs privés ne vont pas y aller tout seul. La course aux vaccins représente un trop gros risque financier, plusieurs milliards sans être assurés d’arriver au bout. Les Américains ont versé une avance à Sanofi, alors ils s’attendent à être servis en premier. C’est la foire d’empoigne, comme pour les masques ou l’hydroxycloroquine au début. Chaque Etat veut montrer à sa population qu’il a des réponses, alors tout le monde montre ses muscles ».

Fidèle à lui-même, Donald Trump ne s’embarrasse pas de principes. Il arrose tous les gros labos pour rafler la mise dans le cas d’un hypothétique vaccin miracle. 30 millions de dollars pour Sanofi, Presque 500 millions pour Moderna, un acteur national. Le président américain, décidément sans vergogne, avait même tenté de débaucher les chercheurs du laboratoire allemand Curevac, un temps annoncé comme le plus en avance dans ses expérimentations.

La recherche française concentrée sur les traitements

Dans cette guerre sans merci, la France, mère patrie de la vaccination, de la soupe aux truffes et de Kylian Mbappé, semble rugir comme un vieux lion de zoo que personne n’écoute plus. Sur les 115 projets recensés début avril par la CEPI, la coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies, une structure basée en Norvège, 46 % des projets de vaccin proviennent d’Amérique du Nord, 36 % d’Asie, et 18 % d’Europe. Combien d’acteurs français là-dedans ? Deux. Sanofi, donc, et l’Institut Pasteur. Ce dernier, qui vient d’annoncer le démarrage des essais pour son programme le plus prometteur, tiré d’un vaccin de rougeole modifié, est un peu l’arbre qui cache la forêt. « Parce que Pasteur, c’est le seul qui a un peu d’argent ! » peste Morgane Bomsel, chercheuse du CNRS à l’Institut Cochin [378 millions d’euros de budget en 2018]. A la tête d’un laboratoire de dix personnes, cette spécialiste de l’immunologie a elle-même démarré des recherches qu’elle a partagées dans le cadre de « Reacting », un consortium multidisciplinaire rassemblant des équipes et laboratoires d’excellence afin de coordonner la recherche face au Covid, sous l’égide de l’Inserm.

« Je travaille sur la physiopathologie, la caractérisation de la réponse immune au virus. C’est le projet que j’ai soumis. En théorie, je peux aller jusqu’au vaccin, mais si on veut toucher un peu d’aide, il ne faut surtout pas le mentionner. Aujourd’hui, on paye des années de manque d’investissement dans la recherche publique en France ». L’Agence nationale de recherche (ARN), principal outil de la recherche publique hexagonale, a dû racler les fonds de tiroir pour arriver à 14,5 millions d’euros de budget grâce à une rallonge du ministère de la Recherche. Pour autant, son programme « Ra-Covid » ne mentionne que des projets capables de donner des résultats rapidement, dans les trois à douze prochains mois.

« Nos dirigeants ont zéro culture scientifique »

En un mot, la France préfère se concentrer sur les traitements plutôt que sur le vaccin, faute de moyens. Et les promesses d’Emmanuel Macron, qui a annoncé 5 milliards pour la recherche dans les cinq prochaines années lors d’une récente visite à l’Institut Pasteur, n’ont pas transcendé une communauté habituée aux serments sans lendemain. Il est d’ailleurs amusant de se rappeler qu’une semaine avant la mise sous cloche du pays, les chercheurs avaient décidé d’une grève surprise pour monter leur désapprobation face à la dernière loi de programmation pluriannuelle proposée par le gouvernement.

« On est malheureusement dans un pays où la recherche scientifique n’est pas bien considérée, déplore l’épidémiologiste Yves Charpak, ancien conseiller de l’OMS et directeur des affaires internationales de l’Institut Pasteur. Parce que nos dirigeants ont zéro culture scientifique, parce qu’un doctorat de sciences n’a aucune valeur dans une carrière politique. La seule chose qui les intéresse, c’est d’avoir un résultat. Là, ils sont contents. Mais le comment, c’est autre chose ». Gênant quand on prétend récupérer une part de la souveraineté perdue dans le domaine sanitaire et de la production de médicaments.

Une petite éclaircie quand même ? La levée de fonds organisée par la commission européenne et l’OMS qui a réuni près de 7,5 milliards d’euros ces derniers jours, dont 500 millions promis par la France. 4,4 milliards devraient être consacrés au développement d’un vaccin, de quoi, peut-être, satisfaire Sanofi ou ses concurrents au moment de la production du futur remède. « Il se peut que plusieurs candidats fournissent un vaccin efficace, explique Nathalie Coutinet. Si c’est le cas, l’Europe reste très bien positionnée, avec plusieurs usines de productions sur son territoire, même si la France a pris du retard ».

« Si trouver un vaccin est plus compliqué que prévu, on reviendra dans le jeu »

Encore choquée par la polémique Sanofi, « une entreprise française qui reçoit un certain nombre d’aides publiques », Morgane Bomsel n’abandonne pas pour autant l’idée de voir la recherche hexagonale faire des miracles, grâce aux rustines collées ici et là. A condition, tout de même, que la concurrence patine un peu.

« Soit c’est simple de faire un vaccin, on prend la protéine de surface du virus et ça fonctionne, auquel cas les autres ont pris de l’avance. Soit c’est plus compliqué que prévu et on reviendra dans le jeu. Les chercheurs français ont toujours eu des idées originales, et je pense qu’il existe des manières plus subtiles d’induire une immunité par un vaccin. Mais ça ne sert à rien d’aller trop vite : passer des tests sur la souris à l’homme directement ? Restons sérieux. Quand je vois les barrières de contrôle qui sautent à droite à gauche, ça pose quelques questions éthiques sur lesquelles il faudra revenir plus tard ». Directement dans les gencives du laboratoire Moderna et ses premiers essais sur l’homme dès le mois de mars aux Etats-Unis. Mais passée la petite bouffée d’orgueil, l’envie de défaillir : si la recherche française sort gagnante de la plus folle course aux vaccins jamais organisée, c’est qu’il n’est pas près d’arriver. Ni en 2021, ni même en 2022.

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