Royaume-Uni : l’éviction de Huawei divise encore outre-Manche

Royaume-Uni : l'éviction de Huawei divise encore outre-Manche

C’est désormais officiel : à partir de la fin de cette année, le déploiement de la 5G au Royaume-Uni se fera sans l’équipement de Huawei. Après avoir fourni pendant deux décennies l’infrastructure des réseaux 2G, 3G et 4G du pays, le géant chinois s’est vu interdire de participer au déploiement des futurs réseaux 5G outre-Manche.

Après 2020, les réseaux mobiles britanniques ne seront en effet plus autorisés à s’appuyer sur des équipements 5G made in Huawei et devront retirer l’ensemble de l’équipement Huawei existant d’ici les sept prochaines années. D’ici 2027, les réseaux 5G du Royaume-Uni seront donc privés de toute technologie siglée Huawei.

La décision n’était une surprise pour personne. Cela fait en effet des mois que le gouvernement britannique s’interroge sur la place à accorder à Huawei au sein de ses réseaux sans fil de nouvelle génération. Plus précisément depuis que les États-Unis ont ajouté Huawei à leur liste d’entités l’année dernière, limitant l’accès de la société aux logiciels et composants américains. Pour rappel, l’administration Trump soupçonne Huawei de faire office de “cheval de Troie” des autorités chinoises dans les réseaux mobiles des puissances occidentales.

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Une décision loin de faire consensus

Avec l’apparition du Brexit et la nécessité de trouver une nouvelle place sur la scène internationale, le Royaume-Uni a dû réfléchir soigneusement au sort de Huawei, dont dépendent les relations avec les États-Unis et le gouvernement chinois. Le président américain Donald Trump, pour sa part, s’est félicité de la décision britannique, laissant même entendre qu’il avait influencé la décision : “Nous avons convaincu de nombreux pays – j’ai moi-même fait cela pour la plupart – de ne pas utiliser Huawei parce que nous pensons que c’est un risque pour la sécurité”, a déclaré l’actuel pensionnaire de la Maison Blanche.

Une opinion évidemment loin d’être partagée par la Chine. Liu Xiaoming, l’ambassadeur chinois au Royaume-Uni, a qualifié la décision des autorités britanniques de “décevante et erronée”, tandis que le porte-parole de Huawei, Ed Brewster, a condamné ce qu’il décrit comme une démarche “politisée”, qui, selon lui, a plus à voir avec “la politique commerciale américaine qu’avec la sécurité”.

Aussi politiquement motivée qu’ait pu être la décision du gouvernement britannique, il y a d’autres facteurs qui expliquent la récente décision du pays contre Huawei. Paolo Pescatore, analyste au PP Foresight, explique que les pays devraient de toute façon appliquer une politique de confiance zéro lorsqu’il s’agit de sélectionner des fournisseurs pour les réseaux. À cet égard, au-delà des arguments géopolitiques, le raisonnement qui sous-tend l’annonce du Royaume-Uni s’avère limpide.

“Il est évident qu’il existe des tensions entre les États-Unis et la Chine en ce qui concerne la propriété de Huawei”, déclare Paolo Pescatore à ZDNet. “Mais il n’en reste pas moins qu’il y a des préoccupations fondamentales en matière de sécurité qui doivent être prises en compte. La 5G ouvre de nombreux nouveaux cas d’utilisation, et la dernière chose que vous voulez, c’est que quelqu’un pirate les feux de circulation et les communications critiques”.

S’assurer que les réseaux 5G sont fiables et sûrs est un intérêt national vital – en particulier lorsque la technologie est censée prendre en charge des applications allant des voitures autonomes à la chirurgie à distance. Il est logique de vouloir s’éloigner d’un fournisseur jugé à haut risque dans ce contexte, souligne l’analyste.

Comment sortir du tout-Huawei ?

Mais entre la théorie qui a motivé la décision du gouvernement britannique, et la réalité du retrait de Huawei des réseaux 5G du pays, il reste de nombreuses questions sans réponse. La première est la suivante : après 20 ans de dépendance à l’égard des équipements fournis par Huawei, comment les opérateurs de réseau sont-ils censés aller de l’avant sans l’aide du géant chinois ?

Les opérateurs ne divulguent pas la répartition commercialement sensible des parts des fournisseurs pour leur équipement de réseau, et il est difficile de dire quelle est la prévalence exacte de l’infrastructure de Huawei au Royaume-Uni. Mais selon certaines estimations, l’entreprise chinoise fournit entre 30 et 40 % des équipements de réseau du pays. Si cette proportion importante constitue pour certains un signe de la dépendance excessive du Royaume-Uni à l’égard d’un seul fournisseur étranger, elle rend également le coût d’un abandon des technologies de Huawei très conséquent pour les opérateurs britanniques.

Au terme de la décision des autorités britanniques, les opérateurs devront en effet interrompre l’installation de nouveaux équipements de Huawei, tout en retirant le kit existant dans l’infrastructure 4G, qui a été conçue pour être mise à niveau afin d’accueillir les réseaux 5G. Le processus sera long et coûteux. Oliver Dowden, le secrétaire d’État britannique chargé du numérique, de la culture, des médias et des sports, a déjà averti que la décision du gouvernement retardera le déploiement de la 5G de deux à trois ans et coûtera jusqu’à 2 milliards de livres (2,52 milliards de dollars).

La décision divise les opérateurs

Dans le même ordre d’idées, Vodafone a récemment déclaré qu’étant donné que les équipements de Huawei constituent un tiers des stations de base de la société, toute mesure visant à retirer le géant chinois des réseaux 5G du Royaume-Uni lui coûterait des centaines de millions de livres sterling.

En janvier dernier, lorsque le gouvernement britannique a annoncé un premier plafonnement de la part de Huawei dans les équipements 5G, BT a de son côté calculé que la limitation du rôle du géant chinois coûterait 500 millions de livres (630 millions de dollars) ; et les nouvelles propositions visant à interdire Huawei, selon BT, n’entraîneront pas de coûts supplémentaires par rapport à l’estimation initiale.

La raison en est que le gouvernement a prévu suffisamment de temps pour que l’interdiction coïncide avec le cycle de vie normal des équipements de réseau. D’ici 2027, il est probable que la plupart des kits devront être remplacés, ce qui signifie que les opérateurs envisageront de toute façon d’investir dans de nouvelles infrastructures. Mais plutôt que d’acheter les produits de Huawei, ils devront se tourner vers d’autres options.

Un coût moins important que prévu

Résultat des courses : de nombreux analystes estiment que le coût du retrait progressif de Huawei des réseaux 5G est souvent surestimé. “Les calculs existants ne tiennent pas compte du fait que si l’équipement a plus de quelques années, il faut le retirer et le remplacer si l’on veut passer à la 5G, que l’on utilise Huawei ou non”, explique ainsi John Strand, le directeur de Strand Consult, interrogé par ZDNet.

Ce dernier en veut pour preuve la récente décision de l’opérateur danois TDC de passer de l’équipement de Huawei à celui d’Ericsson pour son réseau 5G , ce qui n’a pas occasionné de surcoûts pour celui-ci. De même, l’opérateur norvégien Telenor a choisi Ericsson pour commencer à construire ses futurs réseaux 5G, annonçant une “modernisation complète” des réseaux mobiles du pays, qui devrait durer quatre à cinq ans. Pendant cette période, Telenor continuera à utiliser les équipements de Huawei pour maintenir le réseau 4G et s’assurer que les clients peuvent toujours avoir accès à une connectivité fiable.

Comme on pouvait s’y attendre, Ericsson tient à faire valoir qu’un échange de fournisseurs est plus facile qu’on ne le pense généralement. Christian Leon, vice-président de l’entreprise et responsable des réseaux pour la région EMEA, explique à ZDNet que c’est un “mythe” que les autres fournisseurs ne puissent pas égaler la technologie de Huawei. “Dans l’industrie des télécommunications, il est courant d’échanger les équipements à l’aller et au retour. Cela a été fait plusieurs fois et se produit plus fréquemment à mesure que nous introduisons de nouvelles technologies”, explique ce dernier.

Les réseaux britanniques en première ligne

La migration de Huawei ne se limite pourtant pas seulement à échanger des équipements. Les opérateurs doivent également s’assurer qu’ils disposent d’ingénieurs qualifiés pour assurer la maintenance des nouveaux équipements et trouver des moyens de maintenir la qualité du réseau à un niveau élevé afin que l’expérience des clients ne soit pas affectée.

Par conséquent, l’échange d’équipement ne sera pas un processus facile pour les opérateurs, a expliqué Sylvain Fabre, analyste au cabinet de recherche Gartner. “Les opérateurs n’aiment pas apporter des changements majeurs à leur plate-forme de production”, explique Sylvain Fabre à ZDNet. “Leurs marges sont très réduites, et le changement de fournisseurs a toujours un coût”, poursuit-il. “C’est un changement majeur qui perturbe les opérations du réseau et qui peut affecter la qualité du réseau et l’expérience des clients”.

De quoi retarder encore l’émergence d’une “Gigabit Britain”, que l’administration de Boris Johnson s’est engagée à réaliser d’ici 2025 et qui risque effectivement de prendre un sacré coup après la décision des autorités britanniques de se priver de la technologie de Huawei. Des rapports récents ont montré que le fait de ne pas respecter l’échéance de 2025 pour le Gigabit Britain aura un coût : même un retard de 12 mois pourrait faire perdre au Royaume-Uni 9,7 milliards de livres sterling (12 milliards de dollars) de gains de productivité.

Source : ZDNet.com

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