Pour Paris, l’offensive turque en Syrie remet en cause le combat contre l’EI – Le Monde

Un bombardement turc touche la ville de Ras Al-Aïn, dans le nord de la Syrie.

Moins d’une semaine après le début de l’offensive lancée par Ankara contre les forces kurdes dans le nord de la Syrie, les membres européens de l’OTAN ne cachent plus leur mécontentement. Paris a mis en cause mardi 15 octobre la Turquie et les Etats-Unis, tandis que Londres a annoncé la suspension de ses exportations d’armes vers la Turquie. Parallèlement, l’armée de Bachar Al-Assad a pris le contrôle de la ville de Minbej, dans le nord de la Syrie, pour prévenir un assaut des forces turques.

  • Le Drian va évoquer la question des djihadistes étrangers

Le chef de la diplomatie française a annoncé qu’il rencontrerait prochainement les dirigeants irakiens – et kurdes – pour évoquer la situation des combattants du groupe Etat islamique (EI) à la suite de l’offensive turque dans le nord-est syrien et du retrait de l’armée américaine.

« Nous sommes très soucieux de la sécurité et de la stabilité des différents camps ou prisons où sont aujourd’hui enfermés les combattants djihadistes », a dit Jean-Yves Le Drian lors de la séance des questions au gouvernement à l’Assemblée. « Les combattants djihadistes, j’ai dit tout à l’heure qu’il y en avait 10 000 qui sont aujourd’hui dans des prisons dont il faut assurer absolument la sûreté et la sécurité. C’est pour cette raison que je vais me rendre (…) en Irak dans peu de temps afin de parler avec l’ensemble des acteurs, y compris les Kurdes », a-t-il déclaré à l’Assemblée nationale.

Environ 12 000 combattants du groupe Etat islamique (EI), dont 2 500 à 3 000 étrangers, sont détenus dans les prisons sous contrôle des Kurdes, selon des chiffres de sources kurdes. Et les camps de déplacés du nord-est syrien accueillent environ 12 000 étrangers, 8 000 enfants et 4 000 femmes.

  • La responsabilité d’Ankara et Washington

Interpellé à plusieurs reprises à l’Assemblée sur l’offensive lancée par Ankara, le premier ministre, Edouard Philippe, a mis en cause la Turquie et Etats-Unis. « La responsabilité de ceux qui ont pris ces décisions sera très lourde dans la région », a lancé M. Philippe. Selon le premier ministre, ces décisions « remettent en cause cinq années d’effort de la coalition [internationale] dont les Américains étaient le partenaire principal » contre l’Etat islamique (EI). « Nous voyons que le chaos qui a commencé à apparaître va favoriser la résurgence » de l’EI, a-t-il encore déploré.

« Ces décisions sont dévastatrices pour les Forces démocratiques syriennes », dont la composante principale sont les Unités de protection du peuple (YPG) kurdes, a relevé M. Philippe en saluant « ce que nous leur devons » dans la lutte contre l’EI. « Dévastatrices pour les populations civiles. Dévastatrices aussi pour la recherche d’une solution politique en Syrie qui s’éloigne un peu plus à chaque avancée de la Turquie », a énuméré M. Philippe.

  • Le vice-président américain va se rendre en Turquie

Mike Pence a annoncé, mardi, son départ « dans les prochaines 24 heures ». « Notre objectif numéro un est de déployer notre diplomatie pour tenter de parvenir à un cessez-le-feu et ramener la situation sous contrôle » après l’offensive d’Ankara, a expliqué un haut responsable de l’administration américaine. Mike Pence sera accompagné par le conseiller à la sécurité nationale Robert O’Brien et par l’émissaire des Etats-Unis pour la Syrie James Jeffrey.

  • Londres suspend les exportations d’armes vers Ankara

Après Berlin, Paris et La Haye, Londres a décidé la suspension des exportations vers la Turquie d’armes « qui pourraient être utilisées » dans l’offensive turque, a déclaré le ministre britannique des affaires étrangères, Dominic Raab, à la Chambre des communes.

« Comme nous le craignons, [l’offensive] a sérieusement compromis la sécurité et la stabilité de la région », a déploré M. Raab, estimant que cette offensive affaiblit la lutte contre l’EI dans la région et aggrave la situation humanitaire sur place.

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Cette décision de Londres montre « que beaucoup d’alliés de l’OTAN sont très critiques et condamnent l’opération militaire dans le nord de la Syrie », a pour sa part estimé le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, après s’être entretenu lors d’une réunion à Downing Street avec le premier ministre, Boris Johnson.

La Suède a également suspendu toutes les exportations de munitions vers la Turquie.

  • L’armée de Bachar Al-Assad prend le contrôle de Minbej

Parallèlement, Moscou a annoncé que les forces de Bachar Al-Assad avaient pris le contrôle de la totalité de la ville syrienne de Minbej et de ses environs, dans le cadre d’un déploiement destiné à contrer l’offensive turque. Une information aussitôt confirmée par la coalition internationale antidjihadiste conduite par les Etats-Unis.

L’arrivée des forces gouvernementales syriennes dans cette ville contrôlée depuis juillet 2018 par un conseil militaire composé de combattants arabes et kurdes est une première depuis 2012. La ville est située à 30 kilomètres de la frontière turque.

Lire le reportage : Réduits à solliciter le renfort de Damas, les Kurdes pleurent la fin d’un monde

La police militaire russe « mène des patrouilles aux frontières nord-ouest de la région, le long de la ligne de contact » entre les forces syriennes et turques, a par ailleurs ajouté le ministère de la défense russe dans un communiqué. L’envoyé spécial russe pour la Syrie, Alexandre Lavrentiev, a de son côté assuré que Moscou ne permettrait pas des affrontements entre les armées turque et syrienne.

  • Retrait des ONG internationales

Médecins sans frontières a annoncé mardi la suspension de la plupart de ses activités dans le nord-est de la Syrie. « Suite à l’intervention militaire turque et en raison de l’extrême volatilité de la situation dans le nord-est de la Syrie, MSF a pris la décision de suspendre la majorité de ses activités et d’évacuer de la région tout son personnel international », a déclaré l’ONG sur son compte Twitter.

Plus tôt, les autorités kurdes en Syrie avaient annoncé un arrêt des activités de « toutes » les ONG internationales et le retrait de leurs employés du nord-est du pays. « La situation des déplacés a empiré dans les régions visées par l’agression [turque], avec l’arrêt total de l’aide humanitaire, l’arrêt des activités de toutes les organisations internationales et le retrait de leurs employés », d’après un communiqué de l’administration semi-autonome kurde.

Lundi, l’organisation internationale Mercy Corps a annoncé « la suspension de ses opérations dans le nord-est de la Syrie et l’évacuation de son personnel international ». L’ONG était engagée dans ce secteur depuis 2014 pour livrer de l’aide humanitaire aux civils.

Plusieurs agences de l’Organisation des nations unies (ONU) ont de leur côté annoncé la poursuite de leurs activités malgré certaines difficultés. « Nous continuons d’envoyer de la nourriture d’urgence et aussi la nourriture habituelle qu’on envoie tous les mois », a expliqué le porte-parole du Programme alimentaire mondial (PAM), Herve Verhoosel, tout en reconnaissant des « perturbations » dans la livraison dans certaines zones en raison de problèmes de sécurité.

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