L’ex-épouse d’Eric Ciotti a envoyé une attestation mensongère pour justifier son cumul d’emplois – Libération

L’ex-épouse d’Eric Ciotti, aujourd’hui mise en cause pour avoir cumulé, successivement, plusieurs emplois avec celui d’assistante parlementaire de son mari, a-t-elle produit un document mensonger afin de tromper des journalistes et masquer une situation illégale ?

Comme CheckNews en a donné le détail, Caroline Magne a exercé pendant près de dix ans plusieurs emplois publics tout en étant collaboratrice de son époux à l’Assemblée nationale. Un poste pour lequel elle était rémunérée, les premières années, près de 20 000 euros par an pour cinq heures et vingt-cinq minutes par semaine. Et ce, la plupart du temps, sans avoir obtenu d’autorisation de cumul, pourtant exigée par la loi. Ce mardi, le Parquet national financier a confirmé à Libération s’être saisi de l’affaire, et l’ouverture d’une enquête préliminaire pour «détournement de fonds public», «abus de confiance» et «recel», fin de vérifier l’effectivité de chacun des emplois occupés par l’intéressée.

Lors de nos échanges avec l’ex-épouse d’Eric Ciotti, nos questions ont largement porté sur cette question des autorisations de cumul, notamment lors son passage à la mairie de La Colle-sur-Loup, dans les Alpes-Maritimes. L’épouse d’Eric Ciotti, qui avait cessé de travailler au cabinet du maire de Nice en 2012 suite à la brouille entre son mari et Christian Estrosi, rebondit à l’été 2014 dans cette commune où le couple a élu domicile. L’ex-candidate y exercera pendant deux ans les fonctions de directrice générale des services (DGS). Elle perçoit alors encore une dizaine de milliers d’euros par an de la part de son employeur de mari. Un petit bonus financier pour cette femme déjà rémunérée 67 000 euros bruts par an par la commune. Mais en avait-elle le droit ?

Interrogée sur ce point, l’ex-épouse du candidat à la présidence de LR nous a transmis une attestation. Cette dernière, signée par Jean-Philippe Chauvin, ex-adjoint aux finances de la commune à l’époque, affirme qu’un emploi de «collaborateur de cabinet» à 40 % a été créé par délibération le 18 septembre 2014, et confié à Caroline Magne. «[Elle] a pris ses fonctions dans le cadre du temps non complet convenu, à savoir à concurrence de 40 %, étant précisé que l’intéressée a choisi par ailleurs, en accord avec le maire de la commune de la Colle-sur-Loup, d’exercer notamment, en cumul d’emploi, un emploi de collaboratrice parlementaire occasionnelle.»

Caroline Magne, par texto, nous a confirmé ce week-end la teneur de cette attestation : «C’était avant de devenir DGS à plein temps, cet élément est pour vous informer que le cumul était connu tout simplement.»

Le document est signé du 22 mai 2022. Pourquoi cette date, huit ans après les faits ? Caroline Magne explique à CheckNews l’avoir demandé à l’ex-adjoint au maire de la commune pour répondre, au printemps, à une consœur journaliste d’un autre média qui s’intéressait déjà à ce cumul et aux autorisations qu’elle avait obtenues pour l’exercer. Contactée par CheckNews, la journaliste en question, qui avait enquêté sur le sujet et décidé de ne rien publier, confirme avoir demandé en mai à Caroline Magne des éléments sur la légalité de ses cumuls.

Pas d’autorisation de cumul

Premier problème, le document transmis ne témoigne nullement qu’une autorisation de cumul a été accordée. Deuxième problème… il est faux. L’attestation a bien été rédigée par Jean-Philippe Chauvin, comme ce dernier nous l’a confirmé, mais ce qui est décrit ne correspond pas à la réalité. Caroline Magne n’a jamais occupé de poste de «collaboratrice de cabinet» du maire ni travaillé à 40 %. Et elle n’a pas davantage obtenu d’autorisation de cumul avec son poste de collaboratrice parlementaire.

Il y a bien eu une délibération le 19 septembre (et non le 18), pour un poste de collaborateur du maire à 40 %… mais qui a été attribué à un Gilbert Garelli, comme ce dernier nous l’a confirmé. Caroline Magne, elle, occupait déjà, à plein temps et depuis le 1er septembre, un poste de DGS de la commune, ainsi qu’en atteste le contrat de travail que nous avons pu consulter.

Un poste de DGS qui était, légalement autant que matériellement, incompatible avec l’exercice d’un autre emploi de collaborateur du maire à 40 %. Interrogé, l’édile de l’époque (toujours en poste), Jean-Bernard Mion, confirme que l’épouse d’Eric Ciotti n’a jamais été sa collaboratrice de cabinet, que le poste évoqué par l’attestation est bien revenu à Gilbert Garelli, et qu’elle n’a jamais occupé un autre poste que celui de DGS. Interrogé sur l’existence d’une autorisation, il nous a confié ne pas avoir «souvenir d’une autorisation de cumul ni que ce soit un sujet qu’on ait abordé ensemble». Etait-il alors au courant du statut de collaboratrice parlementaire de Caroline Magne ? Jean-Bernard Mion se fait évasif : «Je savais qu’elle aidait son époux, comme tout conjoint. Pour le reste… J’étais novice en politique en 2014, et je crois qu’à l’époque, personne ne regardait trop ces histoires de collaborateurs parlementaires.»

Dénégations et soupçons

CheckNews a également contacté Jean-Philippe Chauvin, auteur de l’attestation litigieuse. A la question «Caroline Magne vous a-t-elle demandé d’attester qu’elle était collaboratrice de cabinet du maire ?» l’ex-adjoint aux finances, désormais retraité, répond : «Oui, à temps non complet, ce qui était la vérité.» Et assure avoir rédigé l’attestation «sur la base de délibérations» du conseil municipal. Problème : ces délibérations sont en réalité inexistantes. Confronté à ces éléments, il finit par convenir qu’il s’agissait «peut-être d’une erreur».

Caroline Magne, qui reconnaît désormais elle-même ne jamais avoir été collaboratrice à temps partiel dans le cabinet du maire, a-t-elle demandé et transmis à la presse, en connaissance de cause, une fausse attestation ? Elle le nie, et évoque un trou de mémoire : «Il m’était resté dans la tête que j’avais été collaboratrice de cabinet avant de devenir DGS.»

Des dénégations qui laissent malgré tout planer le soupçon. Car l’ex-épouse d’Eric Ciotti avait un motif à transmettre ces fausses informations à la presse : en qualité de «collaboratrice de cabinet» du maire, elle aurait pu cumuler avec un poste d’assistante parlementaire, mais pas, a priori, en tant que directrice générale des services (DGS).

Selon le décret 2007-658 du 2 mai 2007, remplacé en 2017 mais en vigueur à l’époque, si un collaborateur de cabinet, qui constitue un poste «politique» à la discrétion du maire, peut aussi exercer «au titre d’activité accessoire les fonctions de collaborateur d’un député à l’Assemblée nationale», ce n’est pas le cas pour les autres agents non titulaires de droit public, comme l’était Caroline Magne au poste de DGS. Ces derniers peuvent exercer parallèlement d’autres activités, mais dans le cadre d’une liste limitative précisée dans le décret susmentionné, et dont ne fait pas partie la fonction de collaborateur parlementaire. Notamment en raison du principe de neutralité auquel ils sont soumis.

D’autant que dans son cas, son mari était aussi président du conseil départemental des Alpes-Maritimes et attribuait à ce titre les subventions demandées par les DGS des collectivités, et pour La Colle-sur-Loup, par sa propre épouse.

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