Le vaccin anti-Covid-19 obligatoire est-il une solution? – Le HuffPost

LisLud via Getty Images
Dans un entretien au Monde ce samedi 14 novembre, Jean-Castex a déclaré que sa crainte était que “les Français ne se fassent pas assez vacciner” 

VACCIN – Serons-nous bientôt tous vaccinés contre le Covid-19? La question a surgi dans le débat politique depuis les résultats encourageants sur le front anti-covid et l’annonce ce mercredi 18 novembre d’une efficacité à 95% du vaccin des laboratoires Pfizer et BioNtech. 

Toute la question est de savoir si ce vaccin sera utilisé une fois qu’il sera disponible. “Ma crainte, c’est que les Français ne se fassent pas assez vacciner”, a mis en garde le Premier ministre Jean Castex dans un récent entretien au Monde. Une inquiétude justifiée par un récent sondage Odoxa-Dentsu Consulting pour Le Figaro et Franceinfo qui révélait qu’un Français sur deux refuserait de s’y soumettre. Selon cette même étude, 60% des Français sont contre l’obligation de se faire vacciner. Or pour atteindre une immunité collective, 60 à 70% de la population doit se faire vacciner d’après plusieurs spécialistes. 

“C’est obligatoire”, a donc tranché l’écologiste Yannick Jadot sur franceinfo le 10 novembre. D’autres personnalités ont plaidé pour un vaccin obligatoire, comme Gérard Larcher, président LR du Sénat ou Daniel Cohn-Bendit. Mais le remède n’est-il pas pire que le mal? Ne risque-t-il pas de porter atteinte aux libertés individuelles des Français? 

Aujourd’hui, comme l’explique le site officiel vaccination-info-service.fr, il faut légiférer pour rendre le vaccin obligatoire. Comme en 2018, lorsque onze vaccins ont par exemple été imposés aux enfants après qu’un projet de loi défendu par l’ex-ministre de la Santé Agnès Buzyn a été approuvé par l’Assemblée nationale et par le Sénat. 

Mais pour l’heure, il est encore trop tôt pour avoir un débat sur le vaccin obligatoire, a reconnu le ministre de la Santé Olivier Véran ce mardi sur BFM TV. À Matignon, l’exécutif s’est montré sceptique sur cette option. “Ce n’est pas possible car tout acte médical suppose le consentement”, a affirmé Matignon au Monde ce mercredi, tout en précisant qu’un système de priorisation pour les personnes à risque et les soignants était sur la table, comme pour le vaccin contre la grippe. 

Une prudence partagée par la Haute autorité de santé qui, elle, recommande de ne pas instaurer une obligation de vaccin, mais d’au contraire de “favoriser l’adhésion” et “respecter un principe de transparence” dans une fiche sur le plan de vaccination publiée le 9 novembre 2020. Et de préconiser, comme pour l’exécutif, de “prioriser les personnes à risque” dans la campagne. 

“Qui est prioritaire? s’est toutefois interrogé auprès du HuffPost Olivier Borraz, directeur de recherche au CNRS et co-auteur du livre Covid-19: une crise organisationnelle (ed. Les presses de Sciences Po). Les personnes à risque? Âgées? Celles qui occupent les fonctions essentielles comme le transport, l’énergie ou l’agroalimentaire? Là-dessus, le gouvernement n’a pas encore tranché”. Une fois que les critères auront été définis, lui préconise une vaccination progressive pour les personnes prioritaires, “avec leur consentement, bien entendu”. Car d’après lui, la vaccination obligatoire pour l’ensemble de la population est “une manière de désigner un ennemi pour ignorer les vraies questions, comme l’évaluation du rapport bénéfices-risques”, déplore-t-il.

“Et si les effets secondaires étaient graves? alerte le sociologue. Sur plus de 67 millions de Français, statistiquement, il y aura des effets secondaires. Le vaccin donne un espoir, certes, mais il faut rester très vigilant. Rendre le vaccin obligatoire est risqué”. D’après lui, l’urgence est à la réflexion autour des indemnisations: “Qui de l’État ou des fabricants prendra en charge les indemnités s’il y a des cas graves? Et quel sera le rôle des assureurs?”. Nombre de questions sur l’efficacité du vaccin et ses effets secondaires doivent être posées selon lui avant d’envisager une campagne de vaccination obligatoire. 

Judith Mueller, épidémiologiste rattachée à l’Institut Pasteur interroge elle aussi, l’efficacité d’un vaccin contre le Covid-19. “Nous ne connaissons pas l’efficacité du vaccin sur le long terme. Pour qu’on obtienne une immunité de groupe avec un vaccin obligatoire, il faudrait que l’immunité induite par le vaccin empêche la transmission et persiste quelques temps, plus de 6 mois. Cela permettrait en théorie d’éliminer le pathogène de la population, nous a-t-elle expliqué. Avant de rendre obligatoire pour lutter contre l’épidémie, il faut apporter la preuve que le vaccin ait ses capacités.”

Sans compter que, selon elle, les questions logistiques et organisationnelles rendent “quasi impossible” la mise en oeuvre d’une obligation vaccinale pour la population générale. “Comment vérifier les carnets de santé de 67 millions de Français? Et quid du coût économique? Un vaccin obligatoire pour tous les Français coûterait beaucoup d’argent à l’État”. Et de souligner: “Mise à part la variole, nous ne disposons d’aucun exemple dans le monde de pays qui a rendu un vaccin obligatoire pour toute une population. On a déjà imposé des vaccins pour des groupes professionnels ou une tranche d’âge comme pour les enfants, mais jamais pour tout un pays”

Aujourd’hui, la France a précommandé 90 millions de doses de vaccins anti-Covid. Sachant qu’il faudrait injecter deux doses aux Français pour que le vaccin fabriqué par Pfizer et BioNtech soit efficace, les 90 millions de doses ne permettraient de vacciner que 45 millions de Français, et non l’ensemble de la population.

Par ailleurs, pour l’épidémiologiste, une campagne de vaccination sur la base du volontariat pourrait suffire à protéger une partie de la population et à décharger les hôpitaux. “Si 30% des plus de 65 ans vont se faire vacciner, cela fera baisser les patients en réanimation et pourrait, de plus, avoir un effet vertueux: si les Français réticents au vaccin au départ constatent que le nombre de patients en réanimation baisse grâce au vaccin, ils voudront peut-être, eux aussi, aller se faire vacciner”, a-t-elle conclu. 

Responsabiliser les Français

Une position partagée par Christophe Debout, docteur en épistémologie et philosophie des sciences, membre de l’Institut Droit et Santé. Il recommande de “responsabiliser” les Français plutôt que “de leur imposer quelque chose par le haut”.

La France traverse une double crise selon lui, caractérisée par une défiance à l’égard du vaccin d’une part, et une perte de confiance en l’État de l’autre. “Nous partons avec un handicap assez lourd, a-t-il regretté au HuffPost. Mais il n’est pas trop tard pour responsabiliser les Français et utiliser les leviers dont nous disposons pour informer davantage des Français et leur montrer les bénéfices d’un vaccin pour le collectif. Il faut mettre un pied sur l’accélérateur.”

Une stratégie qui permettrait aux Français de réaliser “un choix éclairé et libre.” “Il suffit de mobiliser les professionnels de santé, les infirmiers, les médecins qui pourraient ainsi informer les Français, débattre avec eux dans le cadre d’assemblées générales par exemple”, poursuit-il. En Europe, la France est d’ailleurs d’après lui, l’un des pays les moins ”éduqués” aux questions de vaccination: d’après le sondage Odoxa Dentsu Consulting, les Britanniques et les Allemands sont beaucoup moins réticents à se faire vacciner (79% et 69% respectivement des populations accepteraient de se faire vacciner, contre 54% en France). 

Outre les effets à court terme, une campagne de vaccination obligatoire pourrait aussi avoir “un impact à long terme sur la perception qu’ont les Français du vaccin”, nous a confirmé Philippe Amouyel, professeur de santé publique. “Il est important d’associer les citoyens aux décisions politiques et de leur faire comprendre que le vaccin permet de réduire considérablement la mortalité plutôt que d’imposer des mesures coercitives qui seraient contre-productives”, a-t-il poursuivi. Lui se montre optimiste: “Je crois à l’intelligence humaine. Cette crise est une occasion unique de réconcilier les Français avec le vaccin”. 

À voir également sur Le HuffPost: Covid: des vaccins à 90% efficaces, ce que ça veut dire…et surtout pas dire

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