“Je veux retourner dans mon pays, mais je ne peux pas” : les réfugiés ukrainiens se préparent à un Noël en Fra – franceinfo

Pour ces Ukrainiens rencontrés par franceinfo, il s’agit du premier Noël depuis que leur pays a été attaqué par la Russie. La distance avec leur famille pèse sur leur moral.

“Me dire que je vais fêter Noël sans mes proches cette année, c’est difficile. Pour moi, c’est vraiment une fête familiale.” Vita fait partie des plus de 106 000 réfugiés ukrainiens en France qui seront loin des leurs pour les fêtes. La jeune femme de 29 ans a sept frères et sœurs, dont six sont restés dans le pays en guerre. Lorsqu’elle évoque sa famille, son sourire s’efface. “Ce sera la première fois que je passerai Noël loin d’eux et loin de chez moi, explique-t-elle au cours d’un échange en “visio” avec franceinfo.

Originaire de Bila Tserkva, dans la région de Kiev, Vita est arrivée, en juin avec Nikol, sa fille de 5 ans, chez Caroline et Tanguy Cottenceau, un couple de Français qui réside près de Saint-Gaudens (Haute-Garonne). Pour mettre un peu de baume au cœur de Vita, ses hôtes ont fait venir sa sœur Anna, installée aux Pays-Bas, début décembre. “Le père Noël est passé un peu plus tôt cette année”, sourit Tanguy Cottenceau. Sur la vidéo de leurs retrouvailles, on peut voir l’explosion de joie des deux sœurs, réunies le temps d’un week-end après avoir été séparées pendant plusieurs mois.

Vita pose avec Nikol, sa fille, en Espagne, en octobre 2022. (CAROLINE COTTENCEAU BUTEAU / FRANCEINFO)

Sa famille d’accueil a également prévu un double Noël : d’abord à la française, le 25 décembre, puis à l’ukrainienne, le 7 janvier, date à laquelle cette fête est traditionnellement célébrée en Ukraine par les orthodoxes, majoritaires dans le pays. L’Eglise orthodoxe d’Ukraine a d’ailleurs autorisé cette année les fidèles à fêter Noël le 25 décembre. Cette mesure symbolique permet de se différencier des orthodoxes russes, selon The Guardian (article en anglais).

Quand Vita raconte ses souvenirs de réveillon, la joie se manifeste sur son visage. Elle dépeint des moments conviviaux, où “les chants traditionnels” résonnent. Elle décrit les traditions, chères aux Ukrainiens, notamment lorsque, la veille de Noël, les familles se réunissent pour le dîner. Au menu figurent 12 plats, soit le nombre d’apôtres du Christ) sans viande, dont la fameuse koutia, spécialité régionale à base de graines de pavot avec des noix et du miel. A la fin du repas, les convives laissent les plats et 12 cuillères sur la table pour que leurs proches décédés puissent profiter, eux aussi, du dîner.

Mais cette année, forcément, la guerre est dans tous les esprits. Les Ukrainiens du monde entier ne sont pas d’humeur festive, lâche Vitalina Ustenko. Cette psychologue réfugiée en France et présidente de l’ONG ukrainienne Psychologues sans frontières l’assure : les patients réfugiés qui se tournent vers elle se montrent particulièrement émotifs à l’approche des fêtes. Le danger permanent auquel s’exposent leurs proches occupe leurs pensées, d’autant que Vladimir Poutine a assuré le 14 décembre qu’il n’y aurait pas de trêve sur le front. “Noël est un moment de joie, mais dans ce contexte, c’est compliqué de faire la fête. Avec toutes leurs familles qui sont restées en Ukraine, c’est l’angoisse permanente”, se désole Grégory Philippe, secrétaire de l’association Maison ukrainienne.

Sa famille a permis à 14 réfugiés ukrainiens de loger presque gratuitement dans un immeuble de cinq appartements à Villeneuve-la-Garenne (Hauts-de-Seine). L’un d’eux est habité par Valentina Petlyk, une retraitée arrivée cet été. Elle s’est résignée à fuir son pays, alors que les bruits des bombes se rapprochaient de chez elle. Sa fille, Anna, installée à l’étage du dessus depuis avril, la pressait de venir la rejoindre. “Ça devenait trop dangereux dans la région où elle vivait et c’était dur de ne pas la voir”, se souvient-elle. Le logement que partage sa mère avec deux autres réfugiés est spartiate, mais coquet. Des tableaux ont été accrochés au mur, une jolie couverture colorée orne le lit et un portant avec des vêtements chauds trône dans un coin de la chambre. 

Pour le dîner, la “maman de la maison” a convié sa fille et Maryna Holub, une autre habitante. Elle sert aux invitées du bortsch en entrée, un plat slave typique en Ukraine, dans des assiettes dépareillées. Entre deux cuillerées de ce potage à base de betteraves, Anna Petlyk confie sa peur constante pour ses proches restés au pays, dont son père, qui n’a pas le droit de quitter l’Ukraine.

“Je suis très inquiète, je leur envoie des messages plusieurs fois par jour pour m’assurer que tout le monde va bien.”

Anna Petlyk, réfugiée ukrainienne en France

à franceinfo

A défaut de pouvoir faire la fête avec son père, la trentenaire a décidé de le gâter. “Fromages, saucissons, sucreries… Je vais lui envoyer deux colis de produits français”, s’amuse-t-elle. Le transport se fait par marchroutki, des camionnettes qui transportent des marchandises de Paris à Kiev. Maryna Holub a elle aussi prévu d’expédier un paquet à sa mère, mais moins festif. “Ce sera surtout des vêtements chauds et des couvertures”, pour compenser le manque de chauffage et le froid hivernal, précise-t-elle. 

Anna Petlyk et Maryna Holub, deux réfugiées ukrainiennes à Villeneuve-la-Garenne (Hauts-de-Seine), le 7 décembre 2022. (ZOE AUCAIGNE / FRANCEINFO)

Cette année, Noël se fêtera le 24 décembre au soir dans “cette grande famille ukrainienne”, comme Anna Petlyk aime la surnommer. “L’ambiance est super ici, on s’entend tous très bien”, assure-t-elle. Pendant le dîner, les autres locataires n’hésitent pas à toquer à la porte pour passer le bonsoir à leurs voisines, devenues des amies. Anna Petlyk se dit reconnaissante d’être avec sa mère pour les fêtes, mais être loin de chez elle reste trop lourd à supporter. “Hier, je suis allée à l’aéroport chercher une amie [également locataire de la maison] qui revenait de Kiev en passant par la Pologne. J’ai vu qu’il n’y avait aucun vol direct pour l’Ukraine et je me suis mise à pleurer. Je veux retourner dans mon pays, mais je ne peux pas. Je suis en colère contre cette guerre”, livre Anna Petlyk.

En Ukraine, Noël sera encore moins joyeux. “Mon frère et mes sœurs habitent à plusieurs kilomètres de chez mes parents. Avec les coupures d’électricité, les déplacements sont difficiles, raconte Vita, qui craint que sa famille restée au pays ne puisse se réunir. De nombreuses pannes de courant ont en effet été provoquées ces dernières semaines par les attaques russes visant les infrastructures énergétiques.

Pour ceux qui pourront se retrouver, les conditions ne sont pas propices à un moment chaleureux. “Chez mon père et mes sœurs, il y a beaucoup de coupures d’eau et d’électricité. En plus, les prix sont très élevés maintenant. Leur repas ne sera donc pas très copieux et il fera froid chez eux”, prévoit Lilyia Petrychenko, originaire de Kiev et réfugiée avec son fils de 7 ans et sa mère dans deux familles d’accueil à Granville (Manche). En un an, le coût de la vie a augmenté de 26,6% dans le pays en guerre, selon les derniers chiffres de la Banque nationale d’Ukraine en octobre. En comparaison, cette hausse s’élevait à la même période en France à 6,2%, d’après l’Insee.

Lilyia Petrychenko (à gauche), son fils Denys, et madame Glevarek, qui les accueille à Granville (Manche), le 2 août 2022. (LILYIA PETRYCHENKO)

Malgré tout, Lilyia Petrychenko garde espoir : “C’est triste de ne pas pouvoir fêter Noël avec les membres de ma famille restés dans mon pays. Mais pour tous les Ukrainiens, le jour où nous ferons vraiment la fête sera celui de la victoire de notre pays. Ce sera la plus grande fête de nos vies.”

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