Elections régionales 2021 : on a passé au crible le bilan de Xavier Bertrand à la tête des Hauts-de-France – franceinfo

Il faut remonter le temps pour accéder au précieux document. Le site de la campagne de Xavier Bertrand pour les élections régionales de 2015 n’existe plus, mais quelques clics suffisent à exhumer des entrailles d’internet le projet de l’ex-ministre de Nicolas Sarkozy pour la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie, renommée depuis Hauts-de-France. Long de 132 pages, ce projet est “plutôt un catalogue de grandes intentions qu’un plan d’action détaillé”, selon un ancien participant de la campagne. Il comprend néanmoins des dizaines de propositions, dont plusieurs sortent du périmètre de l’exercice d’un président de région.

Capture d'écran du site de Xavier Bertrand lors de la campagne des régionales de 2015.  (CAPTURE D'ÉCRAN)

“Je veux sans relâche être le VRP de la région, de ses habitants, de ses entrepreneurs, des intérêts de la région”, promettait alors Xavier Bertrand qui se voyait comme “le porte-parole des 6 millions d’habitants” des Hauts-de-France. Sur ce point, la mission est réussie, selon plusieurs interlocuteurs contactés par franceinfo. “Il a su incarner la région, même Wauquiez [président de la région Auvergne-Rhône-Alpes] semble moins en vue”, salue un élu d’un autre bord. Un observateur local souligne aussi sa belle notoriété dans la région.

“En Bretagne, personne ne connaît le nom du président de région. Avoir un président qui s’appelle Xavier Bertrand, ça le fait.”

Un observateur local

à franceinfo

“C’est le roi de la comm’, il est très très fort et fonctionne avec une toute petite équipe, souligne ce même observateur. Il agit par coups.” Et ça paye. Les sondages le désignent comme le grand favori du scrutin, même si le RN est en embuscade. Son bilan est jugé bon, voire excellent, par 69% des interrogés d’un sondage Ispos paru début mai. “C’est un bon résultat, parmi les meilleurs des régions que l’on a pu tester”, décrypte Mathieu Gallard, directeur de recherches de l’institut. Qui met néanmoins en garde contre une lecture trop rapide de ces chiffres : “Les Français jugent sur l’image, ils peuvent avoir le sentiment qu’un président a été actif mais ils n’ont pas de souvenir détaillé de son action. Ils n’ont d’ailleurs pas, dans leur majorité, une connaissance des régions et de leurs compétences.”

Il y a pourtant un domaine où Xavier Bertrand espère avoir marqué les esprits : l’emploi, thème pilier de sa campagne de 2015. A l’époque, le candidat annonce vouloir redonner du travail à 60 000 personnes entre janvier et septembre 2016, rappelle La Voix du Nord. Un objectif manqué de peu, puisque, de l’aveu de Xavier Bertrand, 50 000 personnes sont sorties du chômage pendant ces neuf mois. “Ça m’apprendra à fixer des objectifs chiffrés”, glisse-t-il alors.

Pour lutter contre le chômage, dans cette région très touchée, Xavier Bertrand mise sur un dispositif au nom particulièrement “marketé” : “Proch’emploi”. Sur le papier, l’idée est simple : dès janvier 2016, les demandeurs d’emploi peuvent prendre contact avec les services de la région pour être mis en lien avec les employeurs. Quelque “20 000 solutions ont été trouvées”, vante la page “notre bilan” de son site de campagne 2021. En réalité, la mise en œuvre se révèle laborieuse. “Il est arrivé avec cette idée, mais c’était de la concurrence ou du doublon avec les services de Pôle emploi, lui reproche Vincent Lalouette, secrétaire du syndicat SNU Pôle Emploi des Hauts-de-France. Or, on ne s’improvise pas conseiller à l’emploi. Des salariés du conseil régional se sont vus assigner cette tâche alors que ce n’était pas leur métier.” Pour le syndicaliste, “c’est même allé jusqu’à utiliser les services de Pôle emploi pour Proch’emploi”.

“Le fond du travail c’était Pôle emploi mais la valorisation, c’était Proch’emploi.”

Vincent Lalouette, secrétaire du SNU Pôle Emploi des Hauts-de-France

à franceinfo

D’après Vincent Lalouette, le dispositif serait tombé en désuétude. “On n’entend plus parler de Proch’emploi, ça a duré six mois, c’était beaucoup de comm’ pour pas grand-chose.” Un ancien compagnon de route de Xavier Bertrand tente de nuancer : “Ça a le mérite d’avoir été lancé, c’est sûrement perfectible et ça a été une manière de faire comprendre aux agents de Pôle emploi qu’il fallait se réinventer.”

Ce n’est pas l’avis de la Cour des comptes. La haute juridiction a jugé très sévèrement le dispositif, dans un rapport publié en février 2021 (PDF). Proch’emploi “contrevient aux dispositions du code du travail, qui n’autorise, parmi les collectivités, que les communes à recevoir des offres d’emploi et à assurer le placement de leurs administrés”. Les auteurs du rapport s’interrogent aussi sur l’efficacité de cette mesure qui mobilise “deux millions d’euros de charges salariales et de fonctionnement”. “S’il existe des données, le conseil régional n’est pas en mesure d’apprécier par des indicateurs spécifiques si les dispositifs qui ont été mis en œuvre ont permis un retour à l’emploi pérenne à leurs bénéficiaires”, ajoute la Cour des comptes.

Autre domaine où la région investit beaucoup, celui des transports. Xavier Bertrand assurait vouloir renforcer la sécurité dans les gares et les trains, en investissant dans la vidéosurveillance et dans le personnel de sûreté ferroviaire. Sur ce premier point, les choses avancent petit à petit. Sur les 364 gares de la région, 50 ont été équipées et 40 sont en cours d’équipement. “On est obligé d’agir avec la SNCF, mais aussi avec les villes et communautés de communes”, explique Franck Dhersin, vice-président chargé des transports.

“On ne peut pas tout faire sur un mandat.”

Franck Dhersin, vice-président aux transports

à franceinfo

“On a beau mettre des caméras dans les gares, ça ne remplace pas le personnel”, tacle Xavier Wattebled, de la CGT Cheminots. Justement, le personnel de la sûreté ferroviaire a augmenté de plus de 30%, selon Franck Dhersin, avec une présence importante de la gendarmerie le soir. Un chiffre que franceinfo n’a pas pu se faire confirmer auprès de la SNCF, qui évoque son “devoir de réserve” en période électorale.

Pas davantage de réponse sur le triple A (“A l’heure, assis, averti”), promis par Xavier Bertrand en 2015. “Des trains à l’heure, des passagers assis dans les trains, des passagers avertis en cas de retard”, écrivait-il. “Le triple A n’est pas appliqué, entre les suppressions de trains et les retards, mais la région n’a pas la main dessus”, regrette Gilles Laurent, président de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (FNAUT) des Hauts-de-France.

“Je n’ai qu’une seule manière d’agir vis-à-vis de la SNCF, je lui applique des pénalités. Sur les fameux A, on n’a pas atteint l’objectif, ils ne sont pas bons, et c’est pour ça qu’on l’ouvre à la concurrence. Les trains ne sont pas à nous, le rail n’est pas à nous, le personnel n’est pas à nous. Quelle est ma marge, à part payer ?” soupire Franck Dhersin qui déplore sa propre “impuissance, par moment”, sur le sujet.

S’engager sur des dossiers qui ne sont pas de son ressort : un grand classique en politique. Xavier Bertrand n’y a pas manqué. Exemple probant : les éoliennes. “Les éoliennes, ça suffit. Il y a eu trop d’installations ces dernières années dans notre grande région ; cela n’est plus possible”, tonnait-il. Problème : c’est le préfet qui est compétent en la matière. “Il n’aime pas les éoliennes, sa mobilisation peut être justifiée en terme d’impact sur les paysages mais ce n’est pas dans sa compétence, soupire un élu. Le seule action opérationnelle qu’il a mise en place, c’est la création d’un observatoire de l’éolien pour alimenter le débat.” Ce qui n’a pas empêché la région de devenir, durant son mandat, la première région de France en nombre de parcs éoliens et en production.

La santé ne relève pas non plus à proprement parler des compétences des régions. Pourtant, l’ancien ministre de la Santé a fait plusieurs promesses et son bilan en la matière est plutôt salué par Isabelle Lambert, la présidente de l’ordre des médecins de la région. “Il a fait tout ce qu’il pouvait faire, compte tenu de ce qui est possible pour un conseil régional, qui n’est pas non plus l’administration de la santé”, confie-t-elle.

Un exemple : le développement de la télémédecine avec le lancement en juillet 2019, de Prédice, une plateforme pilotée par l’ARS et gratuite pour les professionnels de santé. “Ça a été fortement activé depuis la crise Covid”, précise Isabelle Lambert. La plateforme a ainsi hébergé près de 170 000 consultations depuis son lancement, assure l’entourage de Xavier Bertrand, ajoutant avoir investi “beaucoup d’argent” dans ce projet.

Un acteur important du secteur de la santé, qui préfère rester anonyme, déplore néanmoins la politique de la région sur le sujet. “Nous avions des partenariats forts et cela s’est arrêté avec Bertrand, il y a eu beaucoup d’arrêts de financement”, assure-t-il, citant en exemple la suppression de formations sur le risque amiante. “On aurait aimé continué”, dit-il.

“Ils veulent des actions qui se voient même si elles sont moins efficaces que des actions moins visibles.”

Un acteur régional du monde de la santé

à franceinfo

S’il y a bien un domaine, en revanche, où la région est compétente, c’est celui des lycées. “Il me paraît nécessaire qu’il y ait un responsable de l’orientation référent pour chaque lycée, qui connaisse les métiers et les entreprises de la région”, écrivait le candidat en 2015. En mai 2019, la région a mis en place le dispositif “Proch’orientation” qui délivre des informations sur l’orientation et permet aux élèves de rencontrer des “ambassadeurs des métiers”, des professionnels venant raconter leur expérience en classe.

“Depuis août 2020, la mission a lancé 600 actions et 11 300 jeunes ont été touchés”, se réjouit Manoëlle Martin, vice-présidente en charge des lycées et de l’orientation. Sur le terrain, les choses sont un peu moins claires, selon Thierry Quétu, secrétaire régional de la Fédération syndicale unitaire (FSU) des Hauts-de-France. “Dans les faits, il n’y a pratiquement rien, ça se fait à certains endroits mais ce n’est pas excessivement développé”, dit-il, tout en reconnaissant que le Covid-19 et le distanciel “n’a rien arrangé”.

Xavier Bertrand avait annoncé la couleur dès 2015. “Il faudra appliquer ces solutions au niveau national. Ce qui fonctionnera pour 6 millions de personnes fonctionnera pour 66 millions de Français”, prévenait celui qui est désormais candidat à l’élection présidentielle de 2022. Avant d’affronter Emmanuel Macron ou Marine Le Pen, l’ancien assureur va devoir convaincre les électeurs de sa région de lui faire à nouveau confiance. Car il l’a promis : s’il perd, sa vie politique est terminée.

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