Doctolib : pourquoi le succès viral du leader du rendez-vous médical suscite aussi l’inquiétude – Le Parisien

Pour 45 millions de Français, le geste est presque devenu banal. Avant d’aller consulter son médecin généraliste, son kiné ou son podologue, on lance l’application Doctolib à la recherche d’un jour et d’un créneau horaire disponibles. Une démarche qui en dit long sur la place occupée dans le domaine de la santé par cette application cofondée en 2013 par Stanislas Niox-Château, Jessy Bernal, Ivan Schneider et Steve Abou Rjeily. Et la campagne vaccinale pour laquelle l’Etat (d’ailleurs présent au capital via Bpifrance, la banque publique d’investissement) s’est largement reposé sur Doctolib n’a fait qu’ancrer un peu plus le phénomène.

« C’est la plus belle réussite de ces dernières années parmi les start-up tricolores », selon Gilles Babinet, expert en économie numérique et actuellement coprésident du Conseil national du numérique. L’application s’est installée dans la vie des Français, avec pas moins de 40 millions de rendez-vous mensuels pris auprès des 140 000 professionnels de santé utilisant le logiciel de gestion de leur cabinet fourni par l’entreprise.

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La jeune pousse, qui emploie désormais 1 600 personnes, est devenue entre-temps licorne (c’est-à-dire valorisée à plus d’un milliard d’euros) donnant au passage quelques rides à notre carte Vitale. Elle a surtout permis au secteur de la santé d’effectuer un gigantesque bond en avant technologique. « L’application est arrivée au bon endroit au bon moment pour faciliter la relation patient-soignant », résume un ophtalmologue des Hauts-de-Seine, utilisateur depuis quatre ans en lieu et place de son secrétariat téléphonique. « Elle me décharge de toute la partie administrative qui n’est pas mon cœur de métier, complète Christophe Roumier, kinésithérapeute dans le Finistère et membre du comité médical de Doctolib. Auparavant je prenais les rendez-vous par téléphone, ce qui au bout de la journée me prenait bien une heure. Je suis plus disponible pour mes patients, j’ai pu ouvrir de nouveaux créneaux et mon chiffre d’affaires progresse. »

Paramétrable à souhaits, l’appli satisfait le corps médical aussi par son prix. « Il m’en coûte 129 euros par mois », résume Christophe Roumier. Une somme modique quand on la compare à celle d’un secrétariat médical classique. Du côté des patients, l’utilisation simplissime et gratuite de l’outil fait aussi l’unanimité. « Nous sommes une jeune entreprise française qui a répondu à un énorme besoin dans un secteur qui était très inégalitaire, complexe et opaque, résume Stanislas Niox-Château, 34 ans, qui évoque notamment les délais pour trouver un praticien. De cette attente, on en fait un service du quotidien. On a rendu l’accès aux soins plus égalitaire, plus rapide et réduit les rendez-vous ratés. » Les détracteurs avancent de leurs côtés que le service favorise le nomadisme médical et permet à certains spécialistes de ne sélectionner que les actes les plus rentables.

La téléconsultation offerte au premier confinement

Bien implanté avant la crise sanitaire, Doctolib aurait pu être secoué par le premier confinement et la baisse d’activité de moitié enregistrée chez les généralistes ou de 70 % chez les spécialistes, quand les cabinets de dentiste et de kinés ont tout bonnement fermé. La société a su se montrer là encore indispensable pour venir à la rescousse d’un Etat désemparé. « Il y avait un problème de continuité des soins. On a décidé de déployer la téléconsultation gratuitement », indique le cofondateur de Doctolib. Avec à la clé une multiplication par 100 (!) du nombre des téléconsultations, passé désormais à un million par mois.

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Partenaire incontournable, la start-up l’a encore plus été au lancement de la campagne de vaccination contre le Covid-19 en janvier. Comment gérer les millions de rendez-vous qui n’allaient pas manquer d’être pris ? L’assurance maladie et les agences régionales de santé (ARS) se trouvaient face à un défi numérique colossal. Et, là encore, Doctolib est arrivé pour développer, « avec 200 ingénieurs mobilisés nuit et un jour », un logiciel capable de gérer une prise de rendez-vous massive. Pressé, le gouvernement a tranché et désigné sans passer par un appel d’offres Doctolib mais également ses concurrents Maiia et Keldoc pour gérer les demandes de consultation dans les 1 500 centres répartis dans l’Hexagone. Sans le trio, on peut se demander comment l’Etat serait parvenu à mener une campagne qui patinait par ailleurs sur le plan logistique et l’approvisionnement en vaccins.

Des données de santé bien mal protégées ?

Tout irait pour le mieux pour le leader de la santé en ligne si son omniprésence ne commençait pas à susciter quelques inquiétudes. Le 25 mars, devant des parlementaires, le Dr Jean-Paul Hamon s’emporte. « En donnant les mails et les portables des Français, on fait en ce moment des cadeaux à Doctolib », dénonce le président d’honneur de la Fédération des médecins de France. Des déclarations similaires à celles entendues quelques semaines plus tôt au Conseil d’Etat. Saisie en référé par plusieurs plaignants dénonçant le partenariat vaccin contre le Covid-19 entre Doctolib et le ministère de la Santé, la plus haute juridiction administrative du pays a débouté ces derniers. « C’était circulez, y’a rien à voir, dénonce leur avocate Juliette Alibert. Alors que des questions cruciales se posent sur l’hébergement des données et la nature même des données stockées. »

Stanislas Niox Chateau PDG Doctolib

Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), le 11 février 2020. Pas moins de 40 millions de rendez-vous sont pris chaque mois à l'aide de Doctolib, la start-up cofondée par Stanislas Niox-Château en 2013.
Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), le 11 février 2020. Pas moins de 40 millions de rendez-vous sont pris chaque mois à l’aide de Doctolib, la start-up cofondée par Stanislas Niox-Château en 2013. LP/Yann Foreix

Le collectif de plaignants sait que l’ordonnance a été prise dans un contexte d’urgence sanitaire mais pointe surtout l’identité de l’hébergeur : Amazon Web Services qui, en tant que société américaine, est soumise à la législation de ce pays. « Or, les autorités des Etats-Unis ne reconnaissent pas le Règlement général sur la protection des données (RGDP) européen », ajoute Me Laurence Huin, spécialisée dans le domaine de la santé. « D’ailleurs, le Conseil d’Etat lui-même a reconnu en octobre 2020, dans une autre affaire, qu’il existait un risque de voir les services de renseignement américains demander l’accès à des données hébergées en Europe auprès d’acteurs soumis au droit américain. »

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Doctolib ne serait donc pas assez précautionneux avec des données qui constituent un véritable tas d’or ? Le procès en intention fait bondir Stanislas Niox-Château. « Le Conseil d’Etat n’a fait que confirmer qu’on les protégeait efficacement. Les données appartiennent aux patients. Ils peuvent nous quitter du jour au lendemain en les récupérant. Idem pour les professionnels de santé. » Quant à la sécurisation, le gérant estime qu’on « agite un chiffon rouge ». « La protection à 100 % n’existe pas, ceux qui disent le contraire mentent. Mais on a un niveau de sécurité parmi les plus hauts au monde, assure le dynamique trentenaire, ancien tennisman de haut niveau diplômé d’HEC. Plusieurs chiffrements ont lieu au moment du transit ou du stockage (repos). Quant aux clés de déchiffrement, elles se trouvent chez un autre hébergeur, français celui-là (NDLR : Atos). Enfin, il existe un chiffrement de bout en bout pour les documents médicaux et les logiciels de cabinet. »

La réussite de Doctolib fascine et inquiète en même temps. « Je comprends les critiques, admet son président. Il faut une transparence absolue et claire. Mais je ne comprends pas la désinformation qui vise à jeter en pâture un entrepreneur qui crée 100 emplois par mois et une société présente dans les territoires avec un impact social positif. » Pas de quoi freiner pour l’instant la progression du champion européen de l’e-santé, qui a pris pied en Allemagne depuis bientôt quatre ans, où elle organise actuellement… la vaccination pour la ville de Berlin.

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