Directive SMA : l’état d’urgence

Cette première semaine du mois de juillet a été marquée par deux événements : d’abord l’audition de Franck Riester par la Commission Culture du Sénat à propos du « projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique, et les modalités de transposition de la directive Services de médias audiovisuels » et ensuite la publication par la Commission Européenne des lignes directrices « concernant le calcul de la part des oeuvres européennes dans les catalogues des services de médias audiovisuels à la demande et la définition d’une faible audience et d’un chiffre d’affaires peu élevé.» 

Transposer, et vite 

Le 1er juillet, devant la Commission de la Culture, de l’Education et de la Communication, du Sénat, Franck Riester est allé droit au but en déclarant : « Plus vite nous transposerons, plus vite nous fixerons la bonne façon de le faire, dans le sens que nous souhaitons. » En effet, le principal enjeu de la transposition de la directive SMA est de pouvoir obliger les plateformes de SVOD à contribuer au système de financement français à l’heure même où il a du plomb dans l’aile en raison du repli du chiffre d’affaires publicitaire des chaînes de télévision, ce que justifie par ailleurs Franck Riester : « Les chaînes de télévision sont favorables à l’imposition d’obligations aux plateformes afin qu’elles ne soient pas contraintes à donner elles-mêmes encore plus pour financer la création. Nous voulons les aider à traverser la crise en allant chercher l’argent où il est. Il est légitime de rééquilibrer les contraintes. »

Il y a donc le feu au lac, comme l’explique le ministre : « Aujourd’hui, nous nous rencontrons pour déterminer s’il est possible d’aller vite sur la transposition via le dépôt d’un amendement du Gouvernement au texte Ddadue (projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière) . L’autre possibilité serait l’examen en septembre à l’Assemblée nationale d’un projet de loi classique avec un temps de discussion court, mais cela ne nous permettrait pas d’être prêts au 1er janvier pour imposer à Netflix ou à Disney des obligations de financement de la création française et européenne et ne nous laisserait pas beaucoup de temps pour discuter du reste du texte. »

L’arme des décrets

Le scénario initial donnait la part belle à une négociation interprofessionnelle, mais le COVID-19 est passé par là, à quoi s’ajoute le remaniement ministériel qui pourrait également modifier le nouveau calendrier proposé le 1er juillet par le locataire de la rue de Valois. Au temps de la négociation se substitue la gestion de l’urgence, voire de la précipitation comme le rappelle le ministre : « En ce qui concerne la directive SMA et les obligations de financement qu’elle comporte, nous souhaitions donner la primeur à la négociation professionnelle pour parvenir à des accords avec chaque acteur financier, les chaînes de télévision et, demain, les plateformes. Cependant, ce nouveau calendrier nous force à changer de stratégie : nous allons donc nous doter par décret des moyens de fixer des obligations aux plateformes et déterminer les règles pérennes plus tard, dans le cadre de la discussion du projet de loi, à partir du résultat de la négociation entre les professionnels concernés, entériné par un décret-cadre. Aucune transposition n’est donc prévue pour cette partie du texte, afin de donner la primeur à la négociation en laissant au Gouvernement la possibilité de fixer les obligations par décret. » Selon la Lettre A, c’est la DGMIC (direction générale des médias et des industries culturelles) qui a la responsabilité de la négociation avec les plateformes américaines.

Une question d’argent

Derrière la transposition de la Directive, prévue de longue date, se cache désormais la nécessité de sauver le secteur audiovisuel, en déplaçant le poids de la charge du financement : là aussi, pas de secret, Franck Riester va droit au but : « La directive SMA assujettit les services qui opèrent depuis l’étranger aux mêmes obligations que ceux qui se trouvent en France ; le principe est bien d’harmoniser les règles entre les chaînes de télévision et les services de médias audiovisuels à la demande (SMAD) dans un décret-cadre. Nous pouvons réfléchir à rendre ce principe plus visible dans le texte, mais il s’agit bien d’un principe fondateur.»

Quelle chronologie des médias ?

Qui dit transposition de la Directive SMA, dit inévitable refonte de la chronologie des médias. A une question du sénateur Jean-Pierre Leleux qui s’interroge sur les modalités de révision de la chronologie, le ministre de la culture répond : « Une clause de revoyure à dix-huit mois avait été prévue en la matière, nous y sommes. Il est aujourd’hui nécessaire de revoir les règles, car si l’on impose des obligations de financement aux plateformes, il faut également faire évoluer la contrepartie à ces participations ; pour autant, il s’agit bien de rééquilibrer le fonctionnement, ce qui ne se fera donc pas au détriment des acteurs traditionnels. Les partenaires devront d’abord discuter entre eux, puis le Gouvernement prendra ses responsabilités pour conclure, en faisant en sorte que les acteurs traditionnels ne soient pas pénalisés, bien au contraire. » Plusieurs professionnels soulignent le difficile exercice qui attend le nouveau gouvernement : imposer les mêmes contraintes et obligations à la SVOD qu’à la télévision payante impose d’offrir les mêmes fenêtres d’exploitation. 

La loi des quotas 

Dans le même temps, la Commission européenne a précisé les lignes directrices de la directive SMA sur le sujet du poids des catalogues européens dans les offres des plateformes. Avec l’arrivée de nouvelles plateformes américaines, très peu fournies en programmes de catalogue d’origine européenne et encore mois de nouvelles productions, il est essentiel de savoir comment la directive apprécie ce point. Pour rappel la directive SMA établit des règles renforcées en matière de promotion des oeuvres européennes. Son article 13, paragraphe 1, dispose que les fournisseurs de services de médias audiovisuels à la demande doivent proposer une part d’au moins 30 % d’oeuvres européennes dans leurs catalogues et mettre ces oeuvres en valeur». Compte tenu des modes de consommation des programmes VOD et SVOD, « la Commission considère qu’il est approprié de calculer la part de 30 % des oeuvres européennes dans les catalogues à la demande en se fondant sur le nombre (total) de titres contenus dans le catalogue. » 

Consciente que cette disposition vise quasi-exclusivement les services non européens, « la Commission estime que cet objectif ne peut être atteint de manière efficace que si la part de 30 % des oeuvres européennes est garantie dans chacun des catalogues nationaux proposés par les fournisseurs multinationaux de services de VOD. Cela garantira que, dans chaque État membre où le fournisseur offre des catalogues nationaux, ces derniers présentent aux spectateurs la proportion requise d’oeuvres européennes. Cette approche présente également l’avantage d’être susceptible d’encourager la circulation et la disponibilité des oeuvres européennes dans l’Union. »

Enfin, la Commission permet aux états membres de choisir le mode de mesure du respect de l’obligation : « Cela soulève la question du moment auquel le respect de la proportion de 30 % devrait être garanti. On peut imposer aux fournisseurs de se conformer à cette obligation à tout moment ou bien en moyenne, sur une période prédéterminée. Cette dernière approche permettrait des fluctuations temporaires. »

Plateformes contre gouvernement : le bras de fer peut commencer

L’étau se resserre donc au fil des semaines pour les plateformes américaines. A ce stade, quatre services sont particulièrement concernés : Netflix bien sûr, Amazon Prime Video, Disney+ et AppleTV+. On peut aussi ajouter Quibi, qui en devenant payant, vient compléter la liste des plateformes américaines visées à la fois par la Directive SMA et la réglementation française. 

Le bras de fer va entrer dans sa phase décisive. Ce n’est donc pas un hasard si le patron des contenus de Netflix, Ted Sarandos, a publié une tribune dans le Monde, dans laquelle on peut lire : « Nous ne sommes jamais aussi forts que lorsque nos partenaires réussissent. Notre succès est né de collaborations avec certains des plus grands réalisateurs, scénaristes, acteurs et producteurs du monde entier. C’est à leurs côtés que nous produisons des films, séries et documentaires, notamment dans de nombreux pays européens, qui sont regardés et salués à travers le monde. Notre engagement européen est fort. Il se renforce chaque jour et va de pair désormais avec une responsabilité croissante. » Le remaniement ministériel ne va pas arranger les choses car la probable arrivée d’une nouvelle équipe rue de Valois risque de ne pas s’inscrire dans la stricte continuité de ce qui a été fait jusqu’à maintenant.

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