Dans l’Aisne, Emmanuel Macron cherche à s’inspirer de « l’esprit de résistance » du général de Gaulle – Le Monde

Les champs de betteraves et d’oignons s’étendent à perte de vue, horizon seulement crevé par la ronde des éoliennes. Une stèle, surmontée de la tourelle d’un char d’assaut, a été érigée au milieu de ce paysage aride, le long d’une étroite route de campagne qui relie La Ville-aux-Bois-lès-Dizy et Clermont-les-Fermes, deux villages des confins de l’Aisne, au nord de Laon. Elle commémore la mémoire des combattants de la 4e division cuirassée qui, en mai 1940, « tentèrent désespérément d’arrêter l’invasion allemande », comme dit le message gravé dans la pierre. Le nom de leur commandant est inscrit, lui aussi : « colonel de Gaulle ».

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Emmanuel Macron est venu célébrer, en ce dimanche 17 mai, la mémoire de celui qui, « ici même, sur les champs de bataille de l’Aisne, rencontra son destin ». Il y a quatre-vingts ans jour pour jour, Charles de Gaulle, alors inconnu du grand public, freinait l’avancée des Panzer allemands lors de la bataille de Montcornet, du nom d’un village voisin. Il venait d’être nommé à la tête de cette division composée à la hâte, réunion d’unités disparates qui se distingua encore une fois, dix jours plus tard, lors de la bataille d’Abbeville (Somme), rare succès au milieu de la débâcle contre l’ennemi allemand. « Au moment même où l’ombre de la résignation et du renoncement s’étendait sur notre pays, l‘esprit de la résistance se leva », souligne Emmanuel Macron, installé derrière son pupitre, au milieu des champs.

« L’espérance avait jailli »

Ces jours furent fondateurs pour de Gaulle, élevé durant cette période au grade de général de brigade, puis nommé sous-secrétaire d’Etat à la défense nationale. Autant de titres qui l’aideront à construire son statut de héraut de la France libre, quelques semaines plus tard. L’intéressé, une fois devenu président de la République, résuma la chose d’une formule lors d’une visite à Montcornet, le 12 juin 1964 : « L’espérance avait jailli. » « J’étais avec une grande unité par hasard rassemblée et qui a ramassé ici des lauriers, alors qu’il n’y en avait guère », déclara-t-il ce jour-là.

Cette commémoration était inscrite de longue date sur l’agenda de l’Elysée, mais elle a bien failli ne pas se tenir pour cause d’épidémie due au coronavirus. Espérée comme une grande réunion populaire, prélude à « l’année de Gaulle », qui voit se succéder le 80anniversaire de l’appel du 18-Juin, le 130anniversaire de la naissance et le 50anniversaire de la mort du Général, cette journée d’hommage a dû être ramenée à des proportions plus modestes. Pas de foule en liesse sur les bords de la route, juste quelques élus et descendants de combattants, placés à un mètre les uns des autres. Mais, comme le dit un proche du chef de l’Etat, « la mémoire, c’est ce qui fait encore écho en nous ». Il ne faut donc pas manquer une occasion de la réveiller.

Emmanuel Macron a cherché à mettre en valeur « l’esprit de résistance » qui selon lui anime ses compatriotes

Emmanuel Macron s’y est employé en un quart d’heure de discours, sans jamais faire référence explicitement à la crise sanitaire qui secoue la France, ni aux polémiques qui assaillent l’Etat et le gouvernement sur leur impréparation à y faire face. Le locataire de l’Elysée n’a eu de cesse que de louer « l’invincible espérance [qui] a jailli dans le cœur d’un homme », son « audace » et son esprit de « conquête » comme autant de réponses à ceux qui lui reprochent de promettre « les jours heureux » avant même d’avoir gagné la « guerre » contre le Covid-19.

Il a surtout cherché à mettre en valeur « l’esprit de résistance » qui, selon lui, anime ses compatriotes. « Il est toujours bon de rappeler aux Français quelles sont leurs qualités », sourit-on à l’Elysée. Cette détermination à se relever, « qui jamais ne meurt, même quand le pays est vaincu », Emmanuel Macron veut même en faire un mantra pour l’après-coronavirus. Explicite, il prévient : « De Gaulle nous dit que la France est forte quand elle sait son destin, quand elle se tient unie, qu’elle cherche la voix de la cohésion au nom d’une certaine idée de la France. » Un écho au slogan « la France unie » que le chef de l’Etat promeut depuis plusieurs semaines pour tenter de répondre à la crise.

Querelles d’héritage

Pendant ce temps-là, le président de la région Hauts-de-France, Xavier Bertrand, se tient debout face à lui, les bras croisés et le visage à moitié recouvert par un masque remonté jusque sur le haut du nez. Personne n’en porte autour de lui. Dans une tribune au Journal du dimanche publiée le matin même, l’ancien du parti Les Républicains se réclame du général de Gaulle, lui aussi, mais pour mieux critiquer en creux Emmanuel Macron. « Pour de Gaulle, un chef ne doit pas parler en permanence, à tort et à travers. Il doit mener son pays d’une main ferme sans se préoccuper de sa popularité et être capable d’assumer seul les bonnes décisions », écrit-il. Une fois son discours achevé, le chef de l’Etat vient à sa rencontre pour le saluer. « Les gens ont souffert. Ils ont hâte que l’économie reprenne », lui lance Xavier Bertrand.

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A quelques mètres de là, Yves de Gaulle, petit-fils du Général, observe le ballet avec distance ; il ne veut pas commenter les querelles d’héritage. Le discours d’Emmanuel Macron, en revanche, qui souligne le sacrifice de « ceux de 40 » – 60 000 soldats ont perdu la vie pendant les deux mois de la bataille de France – l’a « ému ». « La France ne fut pas la victime consentante de son effondrement, a souligné le chef de l’Etat. Nos armées furent battues mais elles luttèrent. » « La France du bas, qui s’accroche, qui se défonce, qui fait son boulot, c’est celle-là qui compte, pas celle des corps intermédiaires, des partis politiques. C’est un thème résolument gaulliste », estime Yves de Gaulle, tirant un fil entre cette époque et la nôtre.

Dans ses Lettres, notes et carnets, le général de Gaulle, pour sa part, cherchait à puiser dans la mémoire de la bataille de Montcornet une leçon d’espoir. « Avec les morceaux épars, on peut faire quelque chose de puissant, pour peu qu’on les rassemble – ce fut là toute l’histoire de notre 4e division cuirassée », écrivait-il. Mais cet homme sans cesse tiraillé par le démon de la dépression ajoutait à ce constat une conclusion plus sombre : « Nous sommes un pays qui passe sa vie à traverser des drames et à en tirer de temps en temps des leçons sans que toujours malheureusement ces leçons suffisent à éviter le drame suivant. »

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