Coronavirus : pourquoi le gouvernement a décidé de mettre la France à l’arrêt – Le Parisien

« Enfin… » Au téléphone, Marie-Paule Kieny, ancienne sous-directrice générale de l’OMS et virologue de renom, pousse un ouf de soulagement. Il est 20h15 ce samedi soir et, à la veille du premier tour des élections municipales, le Premier ministre vient d’annoncer un renforcement des mesures de confinement en France. Cafés, bars, restaurants, discothèques, salles de cinéma … tout « ce qui n’est pas indispensable » ferme à compter de minuit. « Je le dis avec gravité : nous devons tous ensemble montrer plus de discipline dans l’application de ces mesures », insiste même Edouard Philippe.

Inédit, jamais-vu… le stade 3 de l’épidémie de coronavirus est acté. « Il le fallait. La seule fermeture des écoles ne suffisait pas. Sans ces annonces, le même scénario qu’en Italie était inévitable », répète la médecin. Les chiffres lui donnent raison. Yeux rapetissés, air grave, c’est Jérôme Salomon, le n°2 du ministère de la Santé qui les a annoncés, juste après la prise de parole d’Edouard Philippe. 4500 malades du Covid-19 sont désormais recensés en France – un nombre qui a doublé en soixante-douze heures.

Mais ce qui inquiète le plus les experts, c’est la proportion importante de ses formes sévères, qui attaquent le système pulmonaire. Hormis les 91 décès, plus de 300 personnes sont en réanimation, dont la moitié a moins de soixante ans. Le système hospitalier, où le « plan blanc maximal » est déclenché, va devoir faire face. Déjà, toutes les opérations non urgentes sont reportées. Les malades sans ou avec de légers symptômes sont appelés à rester « enfermés une semaine » chez eux, avec conjoint et enfants. Ceux qui respirent mal, peuvent (et doivent) évidemment continuer à appeler le Centre 15.

Ce fameux scénario à l’italienne tant redouté

Mais à quel moment ce nouveau dispositif, non envisagé la veille, s’est-il dessiné? L’idée de renforcer le dispositif de prévention a été envisagée dès la mi-journée au plus haut sommet de l’État. En fin de matinée, Emmanuel Macron et Édouard Philippe sont effectivement alertés que le virus continue de se propager rapidement, et partout dans le territoire, malgré les mesures déjà prises. Et puis, on le voit bien : les gens continuent de sortir, de fréquenter les cafés et les restaurants, malgré les préconisations.

Depuis Le Havre, où il doit voter dimanche pour les municipales, Édouard Philippe décide de rentrer en urgence à Paris. Un conseil de suivi scientifique est alors convoqué en visioconférence pour le tout début d’après-midi « afin de faire le point sur la situation et réfléchir à de nouvelles mesures », dit-on. Faut-il reporter le premier tour des élections? La question est à nouveau posée aux expert s. Mais comme jeudi dernier, ils renvoient la même réponse : pas d’interdiction, à partir du moment où les électeurs appliquent à la lettre les recommandations, comme celles de venir avec un stylo, de respecter le mètre d’écart avec les autres, etc.

Puis le sujet de mesures plus drastiques concernant le rassemblement des personnes fait aussi l’objet d’un long moment de discussion, comme celui du confinement général de la population. Ce fameux scénario à l’italienne que tout le monde redoute désormais. Les avis tergiversent. Certains poussent pour ne plus attendre. « De toute façon, on y viendra dans les prochains jours. On n’est plus du tout dans l’hypothétique », assure un participant. Posant de facto le doute sur la tenue du second tour dimanche prochain.

« La pandémie inexorable, le confinement inéluctable »

Les conclusions du conseil scientifique arrivent finalement vers 16 heures sur le bureau d’Emmanuel Macron et d’Édouard Philippe, qui auront passé toute leur journée avec le téléphone vissé à l’oreille, notamment avec le ministre de la Santé Olivier Véran et le président de l’Assemblée nationale Richard Ferrand. Décision est notamment prise de fermer les « lieux recevant du public non indispensable à la vie du pays », le télétravail encore plus encouragé pour minimiser la propagation du virus.

Concerne-t-il aussi les membres du gouvernement? « Non, ils sont considérés comme des personnels essentiels à la vie de la Nation, donc ils restent aux commandes de leurs administrations », assure un proche du chef de l’État. Le conseil des ministres aura donc lieu comme chaque semaine, mercredi, sans Brune Poirson, testée positive. En revanche, plus au salon des Ambassadeurs, comme c’est de coutume, mais au salon Murat qui dispose, lui, d’une table plus large le mètre entre chaque membre du gouvernement assis.

« Tout comme la pandémie est inexorable, le confinement est inéluctable », nous confiait plus tôt dans la journée le spécialiste de la gestion de crise, Alain Bauer. Mais forcément une autre question se pose : pourquoi ne pas avoir pris ces mesures avant, comme le demandaient depuis plusieurs jours des infectiologues et réanimateurs dont les services se remplissaient de nouveaux, et parfois jeunes, patients? Pourquoi ne pas avoir entendu l’appel des Italiens qui nous exhortaient cette semaine à ne pas être dans la demi-mesure et à ne pas commettre « les mêmes erreurs » qu’eux?

« Personne ne sait ce qui se passera pour le second tour »

« Le seul et unique élément qui a perturbé le processus de confinement collectif en France est la tenue des élections municipales. Emmanuel Macron a eu le courage d’essayer de les suspendre, mais la classe politique a été unanime pour lui refuser cette option », selon Alain Bauer. « Il faut sortir de chez soi uniquement pour faire les courses essentielles, faire un peu d’exercice ou pour voter », a résumé Edouard Philippe.

Pourtant la polémique enfle. Plusieurs présidents de régions, comme Carole Delga (Occitanie) ou Gilles Simeoni (Corse) réclamaient dès samedi soir le report du premier tour. « Je trouve bizarre que le Premier ministre ait annoncé tout cela dès ce samedi soir. Ça brouille le message que de dire : aller voter n’est pas pire que d’aller acheter son pain à la boulangerie », renchérit Philippe Laurent, maire de Sceaux et secrétaire général de l’association des maires de France (AMF). François Bayrou lui-même aurait, selon nos confrères de RTL, réclamé l’annulation. Une tribune d’une quinzaine de médecins, urgentistes, réanimateurs publiée samedi soir sur Atlantico.fr implorait Emmanuel Macron de repousser le scrutin.

Les transports, eux, vont continuer de fonctionner mais « il faut diminuer les déplacements », enjoint le Premier ministre.

Une configuration dont certains hauts placés pensent déjà qu’elle pourrait évoluer la semaine prochaine avec une mise à l’arrêt de certaines gares ou aéroports. Et pour l’acte deux des municipales dimanche prochain ? « Personne aujourd’hui n’est capable de savoir ce qui se passera pour le second tour », tranche un proche du Président de la République. Selon nos informations, Emmanuel Macron est resté au Touquet, où il doit voter ce dimanche.

« Attention, le confinement est une mesure mais il n’est pas la panacée, prévient le professeur d’infectiologie François Bricaire. Il y a des mesures qui peuvent avoir un effet délétère sur la vie sociale et économique. Je ne parle pas du CAC 40, cela je m’en fiche mais quid des gens dont la boîte va couler, quid des syndromes dépressifs ? Il est difficile de mettre 100 % d’un pays à l’arrêt quand 98 % des malades guérissent », reprend le médecin qui tente de ne pas sombrer dans le catastrophisme. Mais Jérôme Salomon a tranché hier : Le virus ne circule pas. Ce sont les hommes et les femmes qui le font se répandre. « Nous devons faire bouclier de la nation. »

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