Coronavirus : comment le discours des autorités sur les masques a largement changé – Le Monde

C’était il y a une éternité. En France, le SARS-CoV-2 n’était alors qu’un virus lointain qui n’avait pas encore de nom. A Wuhan, là où il a frappé en premier, le port du masque a été massivement adopté par la population dès les premiers jours de 2020. Il a fallu attendre des milliers de morts en France et ailleurs, ainsi qu’une connaissance accrue du nouveau virus pour que celui-ci s’impose en France, lentement, comme une solution pour limiter la circulation du virus. Samedi 2 mai, le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, a même confirmé son intention de le rendre obligatoire dans les transports en commun.

Retour sur l’évolution du discours des autorités sanitaires de janvier à maintenant, au gré des ravages du Covid-19.

  • Agnès Buzyn, ministre de la santé, le 26 janvier :

« Les masques chirurgicaux (…) sont uniquement utiles quand on est soi-même malade, pour éviter de contaminer les autres. »

Agnès Buzyn, qui est alors encore ministre de la santé et pas encore candidate à la Mairie de Paris, relaie le credo des autorités sanitaires, qui elles-mêmes suivent les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui vient alors seulement d’officialiser que la maladie pouvait se transmettre entre humains. Mais l’institution sanitaire de référence conseille uniquement le port du masque aux malades avérés. Des conseils repris un peu partout, dans un contexte de méconnaissance du virus.

Depuis le 21 janvier, la Chine, principale fournisseuse de l’Etat français, a pourtant cessé d’exporter des masques pour les garder pour son usage interne. En France, où l’on minore leur utilité, la question d’une possible pénurie n’est pas sur la table. « Nous avons des dizaines de millions de masques en stocks en cas d’émergence de virus ou de bactéries. En cas d’épidémie, nous distribuerions des masques, il n’y aurait pas besoin d’aller en pharmacie », déclare Mme Buzyn au Figaro.

  • Olivier Véran, nouveau ministre de la santé, le 24 février :

Le port du masque est recommandé aux « personnes ayant séjourné en Chine, à Singapour, en Corée du Sud, en Lombardie, en Vénétie, pendant les quatorze jours suivant leur retour » et il « est également plus que recommandé pour les malades afin d’éviter la diffusion de la maladie par voie aérienne ».

La doctrine évolue lentement du côté des autorités françaises. Le gouvernement assure, par la voix de son nouveau ministre de la santé, Olivier Véran, disposer de « stocks massifs de masques chirurgicaux ». Sur les réseaux sociaux circulent des scènes très impressionnantes filmées à Wuhan, où les services municipaux travaillent en combinaison intégrale.

Du point de vue scientifique, la maladie est encore relativement mal connue, avec des périodes d’incubation très variables et une épidémiologie avançant à tâtons. Il a fallu attendre une étude hongkongaise publiée le 24 janvier dans The Lancet pour que soit prouvée l’existence de cas asymptomatiques, et surtout le bilan de l’analyse de 565 Japonais rapatriés de Wuhan, publiée le 17 février, qui estime à 41 % leur nombre. En somme, la menace est beaucoup plus insidieuse qu’initialement estimée.

Or, à cette date, l’OMS n’a pas encore déclaré la pandémie, et le virus ne circule pas en France, croient savoir les autorités médicales en se basant sur les admissions hospitalières. Mais le diagnostic des autorités françaises est erroné : en réalité, le SARS-CoV-2 est déjà présent, probablement depuis plusieurs semaines déjà. Et sa diffusion est déjà en train de s’accélérer, portée entre autres par un rassemblement religieux massif à Mulhouse le 17 février.

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  • Edouard Philippe, à l’Assemblée nationale, le 19 mars :

« S’agissant des masques, (…) je peux d’ores et déjà vous répondre que notre objectif est de faire en sorte que cette ressource rare soit bien utilisée, ce qui n’est pas facile, en fixant une doctrine et en veillant à ce que chacun la respecte. Nous cherchons aussi à garantir les sources d’approvisionnement – nationales et internationales – de ces masques.

Pendant très longtemps, nous nous sommes reposés sur des approvisionnements venant principalement de Chine, un pays qui a utilisé une bonne part de sa production récente pour ses propres besoins. À cet égard, il y aura des choses à corriger. »

Le nombre de cas explose début mars. Alors que la région Grand-Est puis l’Ile-de-France sont frappées de plein fouet par le virus, la France découvre que, à la suite de politiques drastiques de réduction des coûts, son stock de masques s’est réduit à rien. Lors de cette même séance du 19 mars à l’Assemblée nationale, Olivier Véran fait état d’un stock de 150 millions de masques chirurgicaux et aucun masque FFP2. Les besoins en masques sont pourtant estimés à 24 millions par jour.

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Résultat, tandis que les malades engorgent les services d’urgences, les soignants sont sous-équipés et des plans de rationnement sont mis en place. Le corps médical est furieux. Jérôme Salomon, directeur général de la santé, regrette un « raté (…) lié à la réquisition » du stock. Roselyne Bachelot, qui avait doté la France d’un stock de 1,7 milliard de masques en 2009 et été critiquée pour sa gestion jugée dispendieuse, devient « la ministre qui a eu raison trop tôt ».

« J’ai besoin de vous !!! Si votre entreprise dispose de masques de type FFP2 et si dans un geste citoyen vous pouvez nous aider à équiper les médecins et infirmières libéraux, laissez-nous un message sur masques@grandest.fr. »

Face à l’incapacité de l’Etat à fournir des masques, les collectivités locales – et notamment la région Grand-Est, particulièrement touchée – demandent de l’aide. Petites et grandes entreprises font don des leurs. Selon les chiffres du gouvernement du 21 mars, la France produit 8 millions de masques par semaine, et vingt-quatre entreprises françaises viennent d’être homologuées pour en fabriquer, mais la production demeure insuffisante.

Les besoins urgents au niveau régional sont l’indice d’une pénurie au niveau mondial, au point de devenir un sujet diplomatique. Tandis que la Chine livre de manière ostentatoire 1 milliard de protections respiratoires à l’Italie, la République tchèque est accusée d’avoir détourné des livraisons destinées à celle-ci, les Etats-Unis sont accusés d’avoir détourné celles destinées à la France, et la France celles de la Suède, pendant que la France et l’Allemagne s’écharpent en coulisses sur le partage de leurs stocks avec les autres pays européens. Le port du masque devient obligatoire dans des pays qui n’en ont pourtant pas la culture, comme en Europe centrale.

  • Communiqué de l’Académie nationale de médecine, le 2 avril :

« L’Académie nationale de médecine recommande que le port d’un masque “grand public”, aussi dit “alternatif”, soit rendu obligatoire pour les sorties nécessaires en période de confinement. »

Début avril, les doctrines officielles commencent à évoluer. Coup sur coup, deux articles dans la prestigieuse revue Nature font évoluer les positions : le premier fait état du vif débat scientifique sur la possible contagiosité du virus par les voies aériennes, hypothèse qui est de moins en moins écartée ; tandis que l’autre établit que le port d’un masque réduit bel et bien les chances de transmission du coronavirus.

S’appuyant sur la progression de la connaissance du virus, Jérôme Salomon infléchit lui aussi sa position en « encourageant » le grand public, de manière optionnelle, à s’en doter, tandis qu’Olivier Véran ouvre la voie dans les jours qui suivent à une possible généralisation.

  • Emmanuel Macron, le 13 avril, lors d’une allocution télévisée :

« L’État, à partir du 11 mai, en lien avec les maires, devra permettre à chaque Français de se procurer un masque grand public. Pour les professions les plus exposées et pour certaines situations, comme dans les transports en commun, son usage pourra devenir systématique. »

Dans cette allocution, le chef de l’Etat esquisse les contours de la stratégie de déconfinement qui commencera, annonce-t-il alors, le 11 mai.

La semaine suivante, Edouard Philippe confirme qu’il sera probablement obligatoire dans les transports publics. Certains édiles veulent le rendre par ailleurs obligatoire dans la rue, comme Gérard Collomb à Lyon, et certaines enseignes commerciales, comme Zara, dans leurs boutiques.

  • Edouard Philippe à l’Assemblée nationale, le 28 avril :

« Réserver les masques aux soignants, c’était, mécaniquement, refuser de les distribuer à d’autres : c’est un choix difficile, c’est un choix contesté, c’est un choix que j’ai estimé nécessaire. »

Dans un discours devant les députés, Edouard Philippe reconnaît avoir dû gérer « le risque d’une pénurie » et avoir durant plusieurs semaines opté pour la mise à disposition en priorité pour le personnel soignant.

Fin avril, à la faveur de l’amélioration des stocks, la vente de masques redevient autorisée dans les pharmacies, tandis que plusieurs enseignes de grande distribution communiquent sur leur mise en vente. Une évolution de la situation qui ne satisfait toutefois pas tout le monde, et notamment les professionnels de la santé, toujours confrontés à un manque de masques.

  • Christophe Castaner, le 2 mai, en présentant le projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire

« Le port du masque sera rendu obligatoire dans les transports en commun. »

Lors d’une conférence de presse commune avec le ministre de la santé, le ministre de l’intérieur confirme ce qui n’était encore qu’une hypothèse. Sans parler explicitement d’amende, Christophe Castaner propose tout de même que les pouvoirs de verbalisation soient étendus à des agents de l’Etat qui ne sont pas policiers pour qu’ils puissent « constater et sanctionner le non-respect des règles de l’état d’urgence sanitaire ».

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