Chirac et «le bruit et l’odeur» : les dessous d’une phrase polémique – Le Parisien

C’est peut-être la « petite phrase » la plus polémique de Jacques Chirac. En évoquant le « bruit et l’odeur » dans un discours sur les immigrés en 1991, l’ancien président décédé ce jeudi a suscité de nombreuses critiques, toujours vivaces aujourd’hui.

La scène se passe le 19 juin 1991, à Orléans. Chirac, président du RPR et maire de Paris, assiste à une réunion-débat avec des militants du parti gaulliste. Pour illustrer son discours sur les immigrés, il lâche : « Le travailleur qui habite à la Goutte-d’Or et travaille avec sa femme pour gagner environ 15 000 francs. […] Sur son palier d’HLM, ledit travailleur voit une famille entassée avec le père, trois ou quatre épouses et une vingtaine de gosses, qui touche 50 000 francs de prestations sociales sans, naturellement, travailler. […] Si vous ajoutez à cela le bruit et l’odeur, le travailleur français, sur le palier, il devient fou. »

« Quelques sourires, mais personne n’a semblé choqué »

Sur le moment, on entend une partie de la foule applaudir et rigoler à cette évocation du « bruit » et de « l’odeur ». Michel Brisson, conseiller général du département à l’époque, était l’un des quelques élus locaux présents dans la salle. Interrogé par Le Parisien, il se souvient d’un discours « assez enflammé ». Sur le moment, « ça a entraîné quelques sourires, mais personne n’a semblé choqué par cette phrase », poursuit l’ancien élu, âgé aujourd’hui de 85 ans.

Mais les premières critiques arrivent très vite, de la part de certains médias et responsables politiques. Chirac est notamment accusé d’électoralisme. À l’époque, le Front national (devenu aujourd’hui Rassemblement national) de Jean-Marie Le Pen est en progression à chaque élection, jusqu’à atteindre 14,39 % au premier tour de la présidentielle de 1988. « Le langage de Monsieur Chirac ressemblait beaucoup à celui de Le Pen », tacle le lendemain la Première ministre socialiste, Édith Cresson.

Également présente dans la salle, Lydie Gerbaud, la fidèle attachée de presse de l’ancien président pendant plus de vingt ans, est interrogée par de nombreux journalistes à l’issue du discours. « C’est une phrase qui lui a échappé, et ça ne correspondait absolument pas à son état d’esprit. C’est d’ailleurs ce que je répondais à la presse », nous raconte aujourd’hui cette femme âgée de 90 ans.

Chirac et ses proches se défendent de tout racisme

Certains accusent Jacques Chirac de racisme. « Ce n’est pas d’être raciste que d’être cela », s’était lui-même défendu l’ancien président juste après sa phrase polémique.

Ses soutiens le défendent toujours en chœur. « Cette petite phrase pouvait laisser penser qu’il était raciste, mais je suis persuadé que non », estime Michel Brisson. Alain Juppé a lui assuré sur BFMTV ce jeudi : « C’était tout simplement la vérité! J’ai été élu de ce quartier [de la Goutte-d’or, NDLR], et j’ai fait la même constatation. Est-ce que ça veut dire qu’on est racistes? S’il y avait quelque chose qui était profondément étranger à Jacques Chirac, à ses idées, à ses convictions profondes, c’était le racisme et l’antisémitisme. ».

Selon Lydie Gerbaud, cette référence au « bruit » et à « l’odeur » colle mal avec Chirac, « l’homme le plus ouvert qui soit et qui aimait tout le monde ». « Il avait l’habitude de parler très librement. Il s’est rendu compte de cette phrase immédiatement après, quand on lui a fait remarquer. Il a répondu qu’il n’avait pas utilisé les bons mots », ajoute-t-elle avec de l’émotion dans la voix, près de 30 ans plus tard.

Entre-temps, « Le Bruit et l’Odeur » est aussi devenu le titre d’un album du groupe Zebda, en 1995. Et Jacques Chirac regrettera lui-même et publiquement une « erreur », mais bien plus tard. « C’est un propos malheureux, que je n’aurais pas reproduit, qui m’est venu spontanément. C’est une bêtise, voilà », confiait-il en novembre 2009, au micro d’Europe 1.

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