Avec Jean-Luc Mélenchon, la gauche pro-européenne en voie de disparition – Libération

Élections législatives 2022dossier

Si La France insoumise parvient à ses fins dans les négociations en vue des législatives, cela signerait la fin de la gauche europhile et libérale. Pas sûr que les électeurs qui ont voté pour le leader insoumis pour faire barrage à Le Pen s’y retrouvent.

Il y a toujours eu deux gauches en France, l’une pro-européenne, incarnée par les socialistes, l’autre souverainiste, incarnée par les communistes, la première ayant petit à petit réduit à la portion congrue la seconde. A l’issue des élections présidentielles de 2017 et 2022, le rapport de force s’est durablement inversé : La France insoumise (LFI), qui domine désormais de la tête et des épaules la gauche, est un parti europhobe (et bien sûr allergique au couple franco-allemand).

Or, la «coalition» en cours de négociation avec Europe Ecologie-les Verts (EE-LV) et, peut-être, ce qui reste du Parti socialiste, braque le projecteur sur les projets européens de LFI, jusque-là restés dans l’ombre. En effet, le député européen et directeur de campagne de Jean-Luc Mélenchon, Manuel Bompard, affirme, sur France Inter, lundi matin, que c’est l’un des «marqueurs décisifs» et donc non négociables. Dès lors, la question se pose : va-t-il rester à gauche une force pro-européenne ?

Certes, tout comme le RN, LFI ne prône pas un Frexit brutal ou un abandon de l’euro, mais elle avance, elle aussi, masquée, pour aboutir au même résultat. Ainsi, elle appliquera un «principe de désobéissance européenne quand c’est nécessaire pour appliquer notre programme», explique Manuel Bompard. Le programme de Jean-Luc Mélenchon explicite ce que fera LFI si elle obtient une majorité : la France cessera «d’appliquer unilatéralement les normes incompatibles avec nos engagements écologiques et sociaux telles que la directive sur le détachement des travailleurs, les règles budgétaires, les règles de la concurrence, la libre circulation des capitaux», elle prendra en otage sa participation au budget communautaire, elle suspendra la «participation (opt-out) de la France à certains programmes comme l’Europe de la défense» (ce qui est cohérent avec sa volonté de sortir de l’Alliance atlantique, autre point commun avec le RN). Enfin, elle réaffirmera «la supériorité des principes fondamentaux inscrits dans la Constitution de la VIe République sur le droit européen», autrement dit remettra en cause la supériorité du droit européen.

«C’est la fin de l’UE»

Il s’agit donc de violer les traités européens pour créer de facto une «Europe à la carte» en espérant que les vingt-six partenaires de la France accepteront un nouveau traité européen qui ne pourra être écrit que par LFI, puisque le compromis ne semble pas être dans la culture du parti. Evidemment, cette «désobéissance européenne» est juridiquement impossible : ne pas appliquer les traités, c’est s’exposer à des sanctions – amendes et suspensions des aides européennes. Mais rien ne peut obliger un pays à respecter la loi européenne s’il ne le veut pas. En pratique, les institutions communautaires seront petit à petit paralysées et l’Union vidée de sa substance.

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Cette politique de desperados risque d’inspirer d’autres pays, comme l’a expliqué mardi, toujours sur France Inter, Yannick Jadot, le candidat malheureux d’EE-LV : «Chaque pays va choisir les thèmes sur lesquels il est prêt à avoir de la souveraineté partagée. La Pologne va dire sur l’Etat de droit ou le climat, on ne veut pas”, les paradis fiscaux vont dire “nous on ne veut pas sur la fiscalité et la finance”, donc c’est la fin de l’UE.» De plus, en refusant de respecter les règles budgétaires communes, la France s’exposera à des mesures de rétorsion de la Banque centrale européenne qui pourrait décider de l’exclure de son programme d’achat d’actifs, ce qui se paiera comptant par une augmentation des taux d’intérêt, d’autant que les marchés ne voudront plus prêter à la France sans une conséquente prime de risque.

Plafond de verre de l’europhobie

En clair, la dette deviendra rapidement insoutenable. A terme, c’est la sortie de l’euro qui se jouera puisque le pays ira droit à la banqueroute sauf à accepter d’être mis sous tutelle de l’UE… Bref, si les vingt-six Etats membres ne s’alignent pas sur le programme de LFI, c’est la fin de soixante-dix ans de construction communautaire avec les conséquences économiques que l’on devine. Quant à la sortie de la France de l’Alliance atlantique au profit d’un fumeux «non-alignement», cela signera son isolement sur la scène occidentale en pleine guerre en Ukraine.

Est-il imaginable qu’un tel programme puisse rallier EE-LV, mais aussi le PS qui abandonnerait dans l’affaire tout son héritage mitterrandien ? Pour Yannick Jadot, c’est exclu, mais il n’est pas certain que son parti le suive. Si LFI parvient à ses fins, cela signerait la fin de la gauche pro-européenne et libérale, la seule qui, rappelons-le, ait réussi à parvenir au pouvoir. Il n’est pas sûr que les électeurs qui ont voté Jean-Luc Mélenchon pour faire barrage à Marine Le Pen s’y retrouvent. En outre, on a vu avec le RN que l’europhobie constituait un plafond de verre dans un pays profondément attaché à l’Europe (d’où les contorsions pour aboutir à un Frexit sans le dire). Cette règle s’est d’ailleurs vérifiée dans tous les pays européens, même en Hongrie et en Pologne, le Brexit ayant vacciné les opinions publiques contre les mirages du «chemin solitaire» ou Sonderweg en allemand.

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