Attentats du 13 Novembre : les cyniques confidences de Salah Abdeslam en prison – Le Parisien

Incarcéré depuis près de quatre ans à Fleury-Mérogis (Essonne), Salah Abdeslam attend, sous l’œil des caméras de surveillance, la tenue de son procès. L’unique survivant des « commandos » du 13 novembre 2015 à Paris, qui ont tué 131 personnes et fait plus de 450 blessés, devrait être renvoyé dans les prochaines semaines devant la cour d’assises spéciale pour « meurtres et tentatives en relation avec une entreprise terroriste », ainsi que l’a requis le Parquet national antiterroriste le 21 novembre. Le rôle exact du djihadiste français de 30 ans né à Bruxelles sera au cœur des débats.

Un document de neuf pages, versé au dossier juste avant la clôture de l’enquête, éclaire d’un jour nouveau son parcours. Il s’agit d’écoutes réalisées par la sûreté de l’Etat belge — l’équivalent d’un service de renseignement intérieur —, au printemps 2016 alors qu’il se trouve incarcéré à Bruges.

Déclassifiées le 16 octobre 2019, elles lèvent les dernières interrogations sur l’implication du djihadiste qui, au début de l’affaire, pouvait apparaître comme un homme ayant fait défection au dernier moment par peur de mourir. Lui s’est très peu expliqué. Au cours de l’instruction, le détenu n° 444806 a opposé le mutisme aux questions des juges, sortant à de rares occasions de son silence pour dénoncer ses conditions de détention, dédouaner un complice présumé ou se lancer dans une diatribe anti-Occident. Ces échanges avec ses complices, enregistrés à son insu, montrent le vrai visage de Salah Abdeslam.

Sur un ton léger

Loin d’être mutique, le détenu s’épanche sur le déroulé des attaques. Et de raconter « son » 13 Novembre. Le fugitif vient d’être arrêté en Belgique. À la prison de Bruges, il a pour voisin… Mehdi Nemmouche, auteur de l’attentat du musée juif de Bruxelles en mai 2014 et Mohamed Bakkali, soupçonné d’être un logisticien des commandos du 13 Novembre. Les trois détenus parviennent à communiquer, écoutés par les agents du renseignement belge entre le 22 mars et le 17 avril 2016.

Le 14 avril 2016 après-midi, Abdeslam raconte dans un mélange de français et d’arabe à Bakkali comment, le soir des attentats de Saint-Denis et de Paris, il a fui vers Châtillon (Hauts-de-Seine) après avoir déposé trois kamikazes au Stade de France et abandonné sa Clio dans le XVIIIe arrondissement. Et comment il s’est débarrassé de son gilet explosif. Le tout sur un ton léger.

Attentats du 13 Novembre : les cyniques confidences de Salah Abdeslam en prison

« T’avais déjà jeté la truc (la ceinture explosive) ? », demande Mohamed Bakkali. « Oui évidemment, t’es ouf ou quoi ? [rires] En fait, j’ai demandé un renseignement à un type. Il m’a regardé de la tête aux pieds : il regardait ma veste. Il voyait qu’il y avait quelque chose de bizarre », se souvient Abdeslam. Le logisticien du 13 Novembre réalise la raison d’une telle incrédulité : « On dirait que je faisais 90 kg, mon frère. Avec la sacoche et tout, on dirait que j’avais de grosses fesses. C’était trop voyant, je savais que je devais m’en débarrasser. »

La « sacoche », en réalité le fameux gilet explosif, a été retrouvée abandonnée à Montrouge. Les expertises techniques n’ont pas permis de savoir si le jeune homme avait cherché à activer le dispositif de mise à feu. Mais il est prouvé que le système était défaillant. Ce qui a sans doute évité un nouveau carnage. Le communiqué de revendication de Daech évoque d’ailleurs, outre les attentats au stade de France, sur les terrasses et au Bataclan, une attaque dans le XVIIIe arrondissement. L’endroit où Salah Abdeslam a abandonné sa Clio.

Il suit les attaques de ses complices… sur le téléphone d’un groupe de jeunes

Sur un ton toujours aussi léger, le détenu décrit la fin de la soirée du 13 Novembre puis son exfiltration, à l’aube, par deux complices vers la Belgique. L’enquête a prouvé qu’il avait passé la nuit dans la cage d’escalier d’un immeuble de Châtillon (Hauts-de-Seine)

– Je me suis caché dans un bâtiment des HLM, près du MacDo, là, tu vois ?

– Et t’as rien mangé ?, l’interroge Mohamed Bakkali

– Je suis parti au Mac Donald’s.

– T’as acheté un petit truc ?

– Au drive, tu vois, au drive ? J’ai pris un Menu Fish ».

– [rires] T’es un tueur hein ! »

Alors que ses complices sèment la mort au Bataclan, Salah Abdeslam sympathise avec un groupe de jeunes dans l’immeuble. « Vraiment des petits gamins. Ils étaient en train de fumer des joints, raconte-t-il à son voisin de cellule. J’ai parlé avec eux parce qu’en fait, ils avaient un appareil et, tu vois, il y avait les actualités. Ça me permettait d’être à jour. Eux ils parlaient de ce qui se passait, moi je leur parlais des filles, de l’école, des métiers. »

Selon son récit, Salah Abdeslam s’endort sur les marches en attendant l’arrivée de ses deux amis qui doivent l’exfiltrer vers la Belgique au petit matin. Le 14 novembre, Abdeslam quitte la France avec eux en voiture. Et de décrire un épisode à peine croyable. L’état d’urgence décrété, les contrôles se multiplient aux frontières. Au « troisième barrage », selon le djihadiste, ils sont interviewés par… une équipe de télévision belge ! « Elle [la journaliste] me dit Vous trouvez normal qu’il y ait des barrages comme ça ? J’ai dit : Oui c’est normal, vu les circonstances, il faut bien renforcer les barrages hein ! J’étais à l’arrière. »

Il s’inquiète d’une lettre tombée de sa poche lors de son arrestation

Salah Abdeslam dit avoir pris peur devant le déploiement des forces de l’ordre. « Ils étaient avec leurs mitraillettes. Ils avaient entouré la voiture, c’était choquant […] J’ai dit Ça y’est c’est la fin. J’ai compris qu’il n’y avait plus d’issue. » Mais à ce moment-là, le jeune djihadiste n’est pas encore identifié si bien que le trio réussit à gagner la Belgique sans encombre…

Dans une écoute du 29 mars 2016, Salah Abdeslam revient cette fois sur son interpellation à Bruxelles quatre mois après sa fuite. Il s’inquiète à l’idée qu’une lettre rédigée par ses soins puisse tomber entre les mains de la police. « Le jour, où ils [les policiers] m’ont attrapé […] Elle est tombée de ma poche. […] Je dois me méfier ou bien? », demande-t-il en arabe à Mohamed Bakkali. « J’ai pas mis mon nom dessus, tu crois qu’ils savent [peuvent] savoir si c’est la mienne? », ajoute-t-il à l’adresse de Mehdi Nemmouche, qui lui conseille de garder le silence face aux enquêteurs.

Si Abdeslam s’inquiète autant c’est que dans cette missive, il a « fait une bay’ah » : il a prêté allégeance au calife de Daech. Il s’est engagé par écrit à « faire la el harb’ [la guerre, NDLR] et la catastrophe ». Envisageait-il de commettre un attentat sur le sol belge, comme ses complices présumés à l’aéroport et le métro de Bruxelles, le 22 mars 2016?

La lettre égarée par le logisticien présumé du 13 Novembre n’a jamais été retrouvée. Mais, dans son testament, Salah Abdeslam glorifie ses actions mortifères : « J’ai pensé dans un premier temps de venir dans la terre du Sham (NDLR : en Syrie), mais en réfléchissant j’ai conclu que c’était une idée de shaytan [diable] et que la meilleure chose était de finir le travail ici avec les frères. » Ni remord. Ni regrets.

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