Attaque de l’Hyper Cacher : «Ce jour-là, je suis morte avec Philippe» – Le Parisien

Une souffrance brute, intense, bouleversante. Ce mardi matin, Valérie Braham, « veuve à 39 ans », a livré à la barre de la cour d’assises spéciale qui juge les attentats de janvier 2015 un témoignage poignant sur la mort de son mari, Philippe, abattu par Amedy Coulibaly lors de la prise d’otages de l’Hyper Cacher le 9 janvier 2015. Cet homme « droit » avait 45 ans. « Ce jour-là, je suis morte avec lui, souffle cette femme aux longs cheveux de jais, la voix entrecoupée de sanglots. Mon mari, c’était un pilier dans ma vie. »

Quand elle apprend, juste après avoir récupéré ses deux plus jeunes enfants à la crèche et à l’école maternelle, qu’une prise d’otages se déroule au magasin de la porte de Vincennes (Paris XXe), Valérie Braham n’est pas très tranquille. L’assassinat, la veille, de Clarissa Jean-Philippe à Montrouge (Hauts-de-Seine), où sont scolarisés ses enfants, l’avait ébranlé.

Elle contacte donc directement son mari. « On avait un deal entre nous, détaille-t-elle. Je suis une femme anxieuse, il savait qu’il devait me répondre, même si c’était pour dire oui et raccrocher. Il n’a pas répondu et j’ai tout de suite eu très peur. J’ai senti que quelque chose n’allait pas. J’ai fait un malaise, j’ai compris que mon mari se trouvait là-bas. » Philippe Braham fait partie des quatre victimes de cet attentat, tuées car de confession juive.

Son épouse se réfugie immédiatement chez son beau-frère, où débute une insupportable attente. « Quand l’assaut a été donné, je regardais l’écran pour le chercher partout. J’ai même cru le voir à un moment », se souvient-elle. Elle appelle les hôpitaux, en vain. C’est quand elle aperçoit par la fenêtre un membre de sa communauté venu lui annoncer la nouvelle qu’elle comprend. « Je n’y croyais pas, pleure-t-elle à la barre. Je ne savais pas quoi dire à mes enfants. J’avais deux bébés avec moi, plus notre fille de 8 ans. Le monde s’est écroulé. Je me suis demandé : Comment je vais faire ? Qu’est-ce qu’on va devenir ? »

«J’ai appris à ne plus dormir»

Depuis ce funeste vendredi de janvier 2015, Valérie Braham est envahie par le chagrin et l’angoisse qu’il lui arrive quelque chose et que ses enfants se retrouvent seuls. Elle a fait jurer à sa petite sœur qu’en cas de malheur la fratrie ne soit pas séparée. « Je ne dors plus. En fait, j’ai appris à ne plus dormir, glisse-t-elle en se triturant les mains. J’ai besoin de vérifier plusieurs fois que les enfants sont là. J’ai peur de l’avenir. »

Son obsession, aujourd’hui, c’est de perpétuer la mémoire de ce mari et père dont elle a souhaité faire diffuser des photos dans la salle d’audience. On y voit un homme jovial, souriant auprès de son épouse, un bébé dans les bras, cette petite fille alors âgée de 20 mois qui, cinq ans et demi plus tard, ne se souvient plus de son papa. « Mon mari est très présent à la maison. J’ai peur que mes enfants l’oublient, insiste-t-elle. J’ai l’impression que je ne vais pas être capable d’élever mes enfants. C’est trop lourd à porter, je suis fatiguée. »

VIDÉO. Attentat à l’Hyper Cacher : «Ce jour-là, je devais mourir»

Avec beaucoup de courage, elle lutte pour remplir sa mission. Comme lors de la dernière célébration de la Pâques juive, vécue confinée en famille pour cause de Covid-19. « Mon mari savait parfaitement raconter la sortie d’Egypte. Il donnait plein d’anecdotes, ajoutait des chansons, il captivait les enfants, explique-t-elle. Alors, cette année, j’ai posé un cadre de lui au milieu de la table et, du mieux que j’ai pu, j’ai raconté l’histoire. Je sentais qu’il était là. J’ai réussi à le faire dans la joie, j’ai besoin que les enfants soient heureux. »

Malgré tous ses efforts, la vie de Valérie Braham s’est figée ce 9 janvier 2015. « Les gens ont repris le cours de leur vie, leur travail… Mais moi, c’est fini tout ça, poursuit-elle, toujours aussi émue. J’ai tenté deux ou trois fois de reprendre le travail mais ce n’est plus possible. Pour les enfants c’est fini les parcs, Disneyland, les anniversaires avec les copains. Je n’en suis pas capable. »

Eric Cohen, le père de Yohan, tué à l’Hyper Cacher, ce mardi au procès avec Zarie Sibony, une rescapée. LP/O.L.
Eric Cohen, le père de Yohan, tué à l’Hyper Cacher, ce mardi au procès avec Zarie Sibony, une rescapée. LP/O.L.  

Eric Cohen non plus n’a jamais réussi à reprendre sa vie d’avant et son activité professionnelle. Les armes d’ Amedy Coulibaly lui ont enlevé son fils, Yohan, ce garçon de 20 ans « altruiste et respectueux de ses parents », mort après avoir agonisé dans ce magasin où il travaillait comme employé.

« J’ai commencé à travailler quand j’avais 15 ans mais, du jour au lendemain, en une minute, j’étais incapable de faire quoi que ce soit. J’ai perdu confiance en moi. Je ne suis plus moi », se dévoile à la barre cet homme à la carrure massive. Son épouse aussi s’est effondrée. « On est des survivants, on n’arrivera plus à vivre normalement, c’est impossible. On nous a volé notre chair », ressasse ce père qui vit désormais pour sa fille, la petite sœur de Yohan.

«Pourquoi cette haine du juif ?»

Dans sa déposition, on sent toute la colère rentrée et les efforts consentis pour se maîtriser face à la folle absurdité du crime. « Ce n’est pas possible d’enlever la vie à un enfant de 20 ans. Nous, on a toujours été des gens droits. La facilité avec laquelle on a enlevé mon fils et trois autres personnes, je ne pardonnerai jamais », répète-t-il à quatre reprises.

« Pourquoi cette méchanceté gratuite ? Pourquoi cette haine du juif ? Je n’arrive toujours pas à la cerner », ajoute-t-il en s’adressant sans les regarder aux accusés, soupçonnés d’avoir apporté à des degrés divers un soutien logistique au preneur d’otages : « J’aimerais bien qu’ils m’expliquent comment on peut aider quelqu’un à enlever la vie de gens. »

Valérie Braham, qui, comme les parents de Yohan Cohen, vit désormais en Israël, ne comprend pas davantage cet acte terroriste. « Oui il y a des conflits entre pays, mais moi je n’y suis pour rien. Mon mari n’y était pour rien », lance-t-elle, vibrante. A leurs trois enfants, elle a expliqué qu’un « méchant » était responsable de la mort de leur père. « Mais ils ne comprennent pas pourquoi un méchant voulait tuer papa. Parce que c’était le plus gentil du monde. »

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