Affaire Xavier Dupont de Ligonnès : « Il n’a pas préparé tout ça pour mourir », est convaincu Bruno de Stabenrath, ami du fugitif – 20 Minutes

L’acteur et écrivain Bruno de Stabenrath, ami de Xavier Dupont de Ligonnès. — T.Samson/AFP
  • Agnès Dupont de Ligonnès et ses enfants Arthur, Anne, Benoît et Thomas ont été assassinés entre le 3 et le 5 avril 2011 dans leur maison à Nantes.
  • Xavier Dupont de Ligonnès n’a plus été repéré depuis le 15 avril 2011.
  • Bruno de Stabenrath, écrivain et acteur de profession, était ami avec le fugitif depuis leur adolescence à Versailles.

Il y a dix ans, presque jour pour jour, démarrait l’une des plus grandes affaires criminelles françaises : l’assassinat d’Agnès Dupont de Ligonnès et de ses quatre enfants à Nantes. Xavier, le père de famille, reste, lui, introuvable. Bruno de Stabenrath était l’un de ses amis depuis leur adolescence passée à Versailles. Perturbé par cette affaire, celui qui était acteur de profession jusqu’à un terrible accident de la route a publié à l’automne L’Ami impossible, un récit personnel et d’enquête consacré au fugitif, aux relations d’amitiés et au basculement des vies. Entretien.

Pourquoi avoir écrit ce livre, près de dix ans après les faits ?

Pendant toutes ces années, j’ai noté plein de choses en espérant comprendre. J’ai mené ma propre enquête. Je connais des gens depuis longtemps, j’ai eu les dossiers de police, j’ai eu des éléments non accessibles. A un moment, je me suis dit qu’il fallait remettre tout ça en perspective. Et puis c’était important pour moi de convoquer nos moments en commun avec Xavier, replonger dans une époque, même si c’est un processus douloureux.

L'Ami impossible, publié chez Gallimard

Quels souvenirs gardez-vous de Xavier ?

Toute notre jeunesse… Les soirées à Versailles, les fêtes à Paris, l’été chez cette fille que j’appelle Louise. On avait l’avenir devant nous, on rêvait des USA, on écoutait Elvis, les Beach boys. On n’avait pas vraiment de souci. Xavier avait beaucoup d’humour, on se marrait. Il avait une chaleur un peu méditerranéenne, comme son père. Il était intelligent, il avait de l’esprit critique, il savait comprendre les gens. Après, il a fallu devenir des hommes, avec tout ce que ça implique. Lui est devenu chef de famille, moi j’avais mes tournages. On se voyait moins mais on avait toujours des contacts réguliers. C’était quelqu’un de fidèle en amitié Xavier.

Vous retrouvez-vous dans le portrait que font de lui les médias et le grand public ?

Pas vraiment. Déjà parce qu’il y a une différence entre Xavier de Ligonnès, mon « jumeau mental », et Xavier Dupont, « l’ennemi n°1 », dont je ne connaissais pas toutes les zones d’ombre. Ensuite parce que la grave erreur des médias et boîtes de production c’est de dire que c’est l’histoire d’un homme ordinaire. Mais pas du tout. L’éducation de Xavier dans ce milieu aristocrate, son rapport à la religion, sa personnalité, son parcours, son temps passé sur les routes… Il n’était pas du tout Monsieur tout le monde.

La mère de Xavier, Geneviève, tient une place centrale dans votre récit…

Xavier m’en parlait assez peu. On savait qu’elle était excessive avec ses prières mais on ne se rendait pas compte à quel point elle était toxique. Il baignait là-dedans sans jamais oser l’affronter, lui dire qu’elle était folle. Mais il y a eu un incident en juin 1995 : Geneviève avait réuni du monde à Sainte-Maxime en présence de Xavier qui devait être l’élu, celui qui devait faire ressusciter le  chanoine Ridolfi puis régner sur le monde. Evidemment il n’y a pas eu de miracle. Ça a été une rupture. A partir de là, Xavier répétait qu’il avait perdu la foi. Pourtant on sait que quelques jours avant le drame il était sur des sites catholiques à débattre, à parler du diable… Dans son passage à l’acte, moi j’y vois forcément des racines mystiques, apocalyptiques. C’est lui qui décide de la vie et de la mort de sa famille, comme un être suprême.

A Versailles, vous avez aussi connu Agnès. Vous dites aujourd’hui vouloir lui rendre justice…

Agnès avait quelque part été choisie par la famille de Xavier. Elle était catholique, elle avait de l’argent, c’était l’épouse idéale. Mais Xavier l’a souvent abandonnée. Il met dix ans à l’épouser : il l’a quitte pour une autre, puis revient. Ensuite Xavier passait beaucoup de temps sur les routes de province. Agnès aussi avait envie d’autre chose je pense. C’est pour ça qu’il y a eu cette histoire avec Michel Rétif [un des meilleurs amis de Xavier]. Puis le triolisme. Ça a beaucoup abîmé leur couple.

Comment avez-vous réagi en apprenant le quintuple homicide ?

Quelques jours avant j’avais lu la fameuse lettre de Xavier, celle commençant par « Coucou tout le monde », dans laquelle il explique qu’ils avaient été exfiltrés aux Etats-Unis. Là, déjà, ça ne collait pas. On était très inquiet, surtout les frères Hodanger [la famille d’Agnès]. Ils sentaient qu’un truc grave s’était passé. Et puis arrive ce jour où on retrouve les corps. Et Xavier manque à l’appel. C’est le choc, on ne réalise pas. J’échange avec des policiers, des gendarmes, je découvre le mode opératoire, et je comprends que Xavier a essayé de gagner du temps pour réussir sa fuite et qu’il ne pensait pas qu’on retrouverait les corps aussi vite. Et puis il va à Roquebrune-sur-Argens, avec les montagnes, les cavités, les forêts. Tout est réuni pour que les enquêteurs perdent du temps. Xavier le savait.

Est-il encore vie selon vous ?

Oui, ça ne fait aucun doute. Il n’a pas préparé tout ça pour mourir. Il est quelque part mais il ne coule pas des jours heureux. J’ai un sac qui est prêt pour partir si un jour j’apprends quelque chose. Il y a bien sûr la piste des Etats-Unis, un pays qu’il connaît parfaitement. A un moment il y a eu une piste en Thaïlande. Mais moi je pense plus à l’Australie. Il en parlait beaucoup, à sa famille, dans ses courriers. Le pays est tellement immense. J’y ai été il y a deux ans, personne ne le recherche là-bas.

Mais une cavale aussi longue, c’est compliqué, c’est cher ?

Oui mais quand on dit ça, on se base sur les modèles qu’on connaît. C’est très difficile de se cacher quand on est recherché par tous les services de renseignement, quand on est un narco trafiquant, un cyber délinquant, parce que ta gueule elle est partout. Mais Xavier, dans ces pays-là, tout le monde s’en fout. C’est un mec polyglotte qui sait modifier son apparence. Surtout, il a toute l’intelligence pour créer son propre écosystème : travailler, séduire une femme, inventer des histoires… Depuis qu’il a l’âge de 14-15 ans il voyage. Il est tout à fait à l’aise à l’étranger. Et avec le Covid c’est beaucoup plus facile.

Il pourrait tenir 10 ans sans donner la moindre nouvelle au reste de sa famille ?

Ça, on n’en sait rien… Peut-être qu’il en donne. J’ai vu dans les rapports de police qu’on avait retrouvé chez Christine [sa sœur] et Geneviève six téléphones. Pour quoi faire ? Le problème c’est qu’on a affaire à un milieu qui ne parle pas. Geneviève a créé des liens très forts avec des gens qui la protègent. Je connais un peu leurs façons de fonctionner.

Avez-vous encore des contacts avec cette famille ou celle d’Agnès ?

Un peu. Mais maintenant ils sont fâchés par mon livre. Il y a une partie qui continue de penser que le couple et les enfants ont été exfiltrés, qu’il n’y a pas de sujet, pas de cadavre. Ça, ça m’est insupportable. Et je peux vous dire que ça a provoqué un grand trouble à Versailles. L’autre partie de la famille pense qu’ils ont été tués mais ne veut plus du tout en parler. A Noyers-sur-Serin, le fief des Hodanger, on a incinéré les corps parce qu’il n’y avait pas la place de mettre cinq cercueils mais on n’a pas mis les noms sur la pierre tombale. Les cinq victimes sont anonymes. La famille ne voulait pas que ça devienne un lieu de pèlerinage. Ça aussi c’est difficile à supporter. Ça m’a choqué.

Espérez-vous que Xavier Dupont de Ligonnès lise ce livre ?

C’est à lui que je m’adresse en premier. Il avait une espèce de pudeur sur ses difficultés. Il considérait que moi en fauteuil roulant il ne pouvait pas m’assommer avec ses problèmes. J’aurais tellement voulu pouvoir en parler avec lui directement, lui dire qu’il n’avait pas tout foiré sa vie. Qu’il avait une belle famille, de beaux enfants qui vont grandir et faire des choses formidables. Au moins il avait réussi ça. J’aurais aimé lui dire, s’il m’avait parlé de sa liaison avec Catherine [ancienne petite amie de Xavier retrouvée via Internet en 2009], qu’il pouvait avoir des projets avec elle. J’aurais aimé lui dire tout ça à temps.

Que feriez-vous s’il venait frapper à votre porte ?

Je lui dirais « tu es mon ami, entre, reste un peu, on va discuter, mais après j’appelle la police ». Je lui dirais « comporte-toi comme un homme, assume, ce n’est pas comme ça qu’on a été élevé ».

L’aura-t-on retrouvé dans 10 ans ?

Avant je pense. J’ai la conviction que d’ici cinq ans il va se passer des choses

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