YouTube devient comme la télévision, et ce n’est pas forcément négatif

En 2005, l’un des fondateurs de YouTube postait la première vidéo de l’histoire de la plateforme américaine. D’une durée de vingt secondes, les images montrent Jawed Karim devant des animaux du zoo de San Diego. À l’heure où nous écrivons ces lignes, la vidéo comptabilise plus de 76,1 millions de vues.

Pour rappel, YouTube devait initialement être un site de rencontre basé sur l’utilisation de la vidéo, mais le projet a vite été abandonné au profit du service que l’on connaît aujourd’hui. Un an à peine après que la première vidéo de la plateforme ait été mise en ligne, Google s’intéresse de près au service et décide de le racheter pour 1,65 milliard. En 2006, il s’agit alors de la quatrième plus grosse acquisition de la firme américaine.

C’est en 2007 que YouTube fera son arrivée en France, puis dans d’autres pays européens. Très vite, la plateforme séduit et prend le pas sur son concurrent… Dailymotion, que l’on ne prend plus vraiment la peine de mentionner aujourd’hui.

En quelques années, des adeptes du web s’approprient la plateforme en France et décident d’y partager de courtes vidéos filmées dans leur chambre avec la webcam de leur ordinateur. C’est entre 2009 et 2011 que l’on voit apparaître les premières vidéos de ceux qui sont aujourd’hui les plus gros YouTubeurs français, et la première génération : Cyprien, Norman Fait des vidéos, Enjoyphoenix, Squeezie… En 2011, Norman partage effectivement sa première vidéo sur YouTube, un contenu de quelques minutes dans lequel il évoque les gens croisés à son club de ping-pong.

Peu après, Norman publie un autre sketch intitulé Les Bilingues. En quelques semaines, il atteint le million de vues, chose qui n’est jamais arrivée sur YouTube en France auparavant. Rappelons tout de même que Norman Fait des vidéos avait déjà partagé plusieurs vidéos sur Dailymotion quelques années auparavant, accompagné par le YouTubeur Hugo Tout Seul.

L’apparition de la monétisation sur YouTube

En parallèle, c’est en 2007 que la publicité fera son arrivée sur YouTube, un modèle économique qui permet à Google de rentabiliser son investissement conséquent. Mais ce n’est pas tout, puisque l’arrivée de la publicité sur la plateforme permet aussi de donner naissance à la monétisation des créateurs de contenu. Des vidéos apparaissent donc en pré-roll avant le début de la vidéo, tandis que les internautes peuvent choisir (ou non) de les regarder jusqu’au bout, sinon, celles-ci durent cinq secondes. Des bandeaux publicitaires débarquent aussi en bas des vidéos, avec la possibilité de fermer ceux-ci.

L’apparition de la publicité sur YouTube est particulièrement importante pour comprendre l’évolution de la plateforme car elle est à l’origine de la monétisation des YouTubeurs. En effet, celle-ci permet aux créateurs de contenu de gagner de l’argent grâce à ce qu’ils postent sur le service. C’est donc peu à peu que le loisir se transforme en métier pour ces créateurs de contenus qui, à cette époque, travaille encore seuls autour de leur vidéo. Depuis leur chambre, ils se chargent alors du scénario, du cadrage, du montage et de la mise en ligne. L’on peut également leur attribuer la communication qui se transforme elle aussi puisque les réseaux sociaux commencent à faire leur arrivée en France, à l’exemple de Facebook en 2013.

Cette année là, Squeezie dispose alors d’un demi-million d’abonnés sur la chaine YouTube qu’il a créée deux ans plus tôt à l’âge de 15 ans. Celui-ci s’associe avec Cyprien, qui dispose alors d’environ trois millions d’abonnés sur sa propre chaîne. Les deux YouTubeurs français partagent plusieurs contenus portant sur les jeux vidéo.

De son coté, Enjoyphoenix a crée sa chaîne en 2011 avant d’atteindre rapidement les 100 000 abonnés suite à sa première vidéo. En 2014, elle passe alors le cap symbolique du millions d’abonnés.

Quant à Amixem, il lance sa chaîne en 2012 et propose alors des vidéos portant sur le jeu vidéo.

« J’fais des placements de produits parce que j’ai besoin de YouTube money »

Peu à peu, les marques voient également en YouTube un autre moyen de gagner de l’argent sans passer directement par la plateforme. Rapidement, celles-ci saisissent en effet que les créateurs de contenu sont un très bon moyen d’atteindre une audience qualifiée. En ce sens, les placements de produits font leur apparition sur la plateforme, ce qui signifie que les marques payent un YouTubeur pour évoquer un produit dans leurs vidéos. Il peut alors s’agir de jeux vidéo, de maquillage, de vêtements, de smartphones… Des partenariats entre les marques peuvent également concerner des services comme la couverture d’un événement médiatique ou le fait de faire découvrir un lieu touristique.

En 2017, Squeezie et Maxenss dévoilent une chanson parodique qui évoque les placements de produits. Au milieu des noms de marques, ils évoquent la « YouTube money », l’argent gagné grâce à leur vidéo partagée et à leur partenariat avec les marques. À la fin de la chanson, ils indiquent arrêter les placements de produits pour « retrouver leur dignité ». La vidéo a l’avantage de disposer de tous les codes propres au service et aux internautes, ne serait-ce que le fait qu’il s’agisse d’une chanson parodique.

Quand YouTube devient comme la télévision

Si la monétisation a largement contribué à ce que les YouTubeurs partagent des vidéos plus régulièrement, elle a aussi certainement joué dans le fait que ceux-ci s’approprient certains codes propres à la télévision. Le plus évident est le fait que beaucoup de YouTubeurs fixe un rendez-vous régulier à leur communauté, répétant régulièrement quel jour de la semaine ils partageront la prochaine vidéo.

Ces dernières années, ce sont certainement les YouTubeurs McFly et Carlito qui ont contribué à démocratiser cette pratique avec le fait de diffuser une vidéo tous les dimanches matins à la même heure. Comme beaucoup d’autres, ils indiquent également les dates auxquelles ils partiront en vacances puis reviendront avec leur prochaine vidéo. L’on assiste donc à des rendez-vous réguliers, parfois hebdomadaires, qui ne sont pas sans rappeler ceux des séries ou des émissions diffusées à la télévision à une heure précise. De la même façon qu’une émission, l’on suit donc les YouTubeurs durant une certaine période de l’année avant, puis après, les traditionnelles vacances annuelles de l’été.

L’autre élément qui laisse fortement à penser que YouTube et la télévision s’éloignent beaucoup moins qu’il y a quelques années, c’est également la qualité de la production des vidéos YouTube. En effet, celle-ci s’améliore d’année en année, au point que l’on perd cet aspect webcam que l’on associait à YouTube.

Cette augmentation non négligeable de la qualité de production des vidéos, tant dans l’image que dans le son, permet également de nouveaux formats que l’on retrouve à la télévision. En ce sens, YouTube accueille de nombreux documentaires ou séries. L’on peut par exemple citer l’excellent documentaire d’Anil Brancaleoni (ex-Wartek) sur la catastrophe de Tchernobyl. Partagée en 2017, la vidéo d’une trentaine de minutes cumule à ce jour plus de deux millions de vues. Dans celle-ci, le YouTubeur retourne sur les lieux du drame, tout en racontant l’histoire et la chronologie des événements. Il y interroge également des personnes présentes non lieu du fameux réacteur 4, à la façon d’un reportage télévisé. Pour ce qui est de la production, le YouTubeur a sélectionné avec soin la musique qui accompagne ses plans larges, parfois en drones, du lieu. Le YouTubeur y apparait également face caméra, à la façon d’un journaliste, en train de revenir sur les conséquences de Tchernobyl.

L’on peut également citer, plus récemment, L’Expédition polaire partagée successivement sur les chaînes YouTube d’Amixem et Cyril. Au travers de quatre vidéos, les deux YouTubeurs accompagnés d’une voix off rappelant celle de la série Les Désastreuses aventures des orphelins Baudelaire nous font embarquer dans le brise-glace qui les mènera jusqu’au Pôle Nord. Une fois de plus, le format est novateur est-ce qu’il est à fois informel et documentaire. L’on y trouve des informations géographiques, écologiques, mais aussi le quotidien des deux créateurs de contenu. Une fois de plus, la production et les plans de drones y sont de qualité. Comme pour une série télévisée, les quatre vidéos ont été postées chaque semaine. Dix jours après la mise en ligne de la dernière vidéo, la série comptabilisait quelque 10 millions de vues.

Quant aux documentaires, c’est le YouTubeur français Cyrien qui se plie souvent à ce format, partageant de temps en temps des contenus de ce type. En mai 2019, il partage un court-métrage intitulé Minori, tourné au Japon. Dans une autre vidéo, il explique les difficultés du tournage inhérent à un projet aussi conséquent, dont le fait que lui et son équipe ont du réserver des créneaux horaires dans certains lieux pour pouvoir tourner leurs plans, une problématique propre au cinéma et à la télévision.

L’on notera également que le rapport à la publicité a changé sur les réseaux sociaux, mais aussi sur YouTube. Depuis 2016, il est effectivement possible pour les créateurs de contenu de partager un encart en début de vidéo « Inclus une communication commerciale ». De cette façon, ils signalent un partenariat ou un placement de produit avec une marque. Malgré l’apparition de cette fonctionnalité il y a trois ans, celui-ci n’apparait pas dans tous les contenus sponsorisés.

Au-delà des contenus YouTube en eux-mêmes, l’on peut mettre en avant les liens directs entre la plateforme web et la télévision. Beaucoup de YouTubeurs français sont reliés à des studios de création. Pour sa part, la société de production Golden Moustache appartient au groupe M6, tandis que Studio Bagel est la propriété de la chaîne de télévision Canal+. Chez ce dernier, l’on peut retrouver des YouTubeurs comme Jerome Niel, Monsieur Poulpe, Natoo, Marion Seclin ou encore Alison Wheeler. Pour leur part, Julien Gosselin, Justine Le Pottier et Freddy Gladieux sont chez Golden Moustache, qui compte des anciens membres comme FloBer ou McFly et Carlito.

Outre ces deux studios derrière lesquelles se trouvent des chaînes de télévision, l’on retrouve des initiatives semblables sans lien avec celles-ci, à l’exemple de la RedBox. Le studio rassemble des YouTubeurs français comme Amixem, Mastu, VodK, Neoxi, Cyril et Joyca. Sur place, chaque YouTubeur dispose de son propre studio de tournage, mais aussi d’espaces communs dédié au streaming ou au live par exemple.

Si YouTube a donc de plus en plus de points communs avec la télévision, il semblerait que le mélange des deux dispositifs ne soit pas toujours réussi. Outre les interventions et le traitement des YouTubeurs à la télévision, l’on peut évoquer la mini-série Presque adultes, qui regroupe Natoo, Norman et Cyprien. Dévoilés en 2017, les 10 épisodes ont été partagés sur TF1 et ont fait leur apparition sur les chaines respectives de chacun. Malgré le talent des scénaristes Julien Josselin et FloBer, la série s’est plutôt apparentée à un flop, une tentative de traitement d’un sujet qui aurait pu prêter à rire, la trentaine, mais qui ne prend pas.

YouTube et les codes de la télévision, c’est positif ou non ?

D’une part, le fait que YouTube s’approprie certains codes de la télévision peut avoir des côtés positifs, dont la multiplicité des formats et du potentiel créatif doublés à une production de qualité.

Mais d’autre part, cela signifie que l’on se détache aussi de ce qui a constitué l’ADN de YouTube à ses débuts, c’est-à-dire un aspect plus spontané et certainement plus insouciant.

Rappelons aussi les règles de modération de YouTube, qui se sont durcis avec le temps, si bien que les créateurs de contenu se retrouvent parfois à biper certains mots comme le font certains reportages télévisés. Certains l’évoquent dans leurs vidéos depuis quelques mois, glissant une allusion au fait qu’ils doivent rester polis pour éviter de se faire démonétiser leurs vidéos. Avec le temps, les créateurs de contenu se retrouvent donc à s’auto-censurer par peur des règles de la plateforme de vidéos… Il ne serait pas étonnant que le vocabulaire et le contenu des vidéos finissent pas se lisser au point de s’apparenter à celui que l’on peut retrouver à la télévision lors de reportages, de journaux télévisés et autres émissions.

Sue le sujet de la démonétisation, Mastu a récemment réalisé une vidéo d’une vingtaine de minutes dans laquelle il explique ses actuels problèmes de monétisation et la réaction de YouTube. Cela met aussi en lumière la relation complexe et dépendante qui lie la plateforme à ses créateurs de contenu.

Plus globalement, l’on peut donc attribuer des éléments positifs au fait que YouTube s’approprie certains codes de la télévision. Mais de l’autre côté, l’on peut aussi craindre une dépendance trop forte qui mènera les YouTubeurs à se plier aux règles de la plateforme. L’on peut aussi craindre que cette dernière perde ce qu’elle était lors de ces premières années en termes de contenu, c’est-à-dire un espace de spontanéité, mais aussi de libertés.

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