Violences conjugales : les adolescentes et les jeunes femmes, des victimes qui passent sous les radars – franceinfo

Manon* a 16 ans lorsqu’elle rencontre son premier petit copain “sérieux”. Elle aime Harry Potter, fait du théâtre avec sa troupe. Elle rêve de raccourcir ses longs cheveux bruns. Mais Antoine*, lycéen lui aussi, le lui interdit. Pour “éviter sa colère”, l’adolescente renonce aussi à porter des vêtements courts ou moulants, coupe progressivement les ponts avec ses amis. “C’était comme si je me retenais de respirer en sa présence”, se souvient Manon, aujourd’hui âgée de 25 ans. La veille d’une épreuve du bac, une violente dispute éclate entre eux. Antoine se rend devant chez les parents de Manon et menace de se suicider si elle le quitte. “C’était sa façon de me tenir en otage”, résume la jeune femme.

“C’était ma première vraie relation et je m’y sentais comme dans une prison.”

Manon*, 25 ans

à franceinfo

Les violences conjugales n’épargnent pas les adolescentes et jeunes adultes, au commencement de leur vie affective et sexuelle. Parmi les femmes qui déclarent avoir été victimes de violences de la part d’un conjoint ou d’un ex-conjoint, 29% étaient âgées de 18 à 29 ans sur la période 2011-2018, selon le rapport “Cadre de vie et sécurité”, du ministère de l’Intérieur. Pourtant, seuls 11% des appels au 3919, numéro national de référence pour les femmes victimes de violences, émanaient des 18-25 ans, d’après une étude du Centre Hubertine Auclert de 2016.

Alors que se tient vendredi 25 novembre la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, le collectif NousToutes dénombre 120 féminicides (conjugaux et non conjugaux) depuis le début de l’année. Emma, la plus jeune victime de féminicide conjugal en 2022, a été poignardée à 14 ans. Plus récemment, le 9 novembre, Hélana, 19 ans, a été tuée de plusieurs coups de couteau à Ronchin (Nord). Son conjoint a avoué les faits au père de la jeune fille et une enquête est en cours.

“Elles sont les premières à subir les violences conjugales, mais sont les moins présentes dans les dispositifs mis en place pour leur venir en aide”, résume Sophie Barre, membre de la coordination nationale de l’association féministe NousToutes. Pour protéger ces jeunes filles et intervenir en amont du danger, un lieu spécialisé a ouvert en 2019 à Bagnolet (Seine-Saint-Denis). Le lieu d’accueil et d’orientation (LAO) baptisé Pow’her prend en charge les victimes de violences sexistes et sexuelles de 15 à 25 ans.

“Les jeunes femmes isolées n’ont souvent pas de revenus et ne sont pas prioritaires au 115 [qui permet d’avoir accès à un hébergement d’urgence], ce qui fait d’elles les proies rêvées des auteurs de violences”, regrette la directrice du LAO, Amandine Maraval. D’autant que la majorité des jeunes filles qui frappent à la porte du centre ont déjà subi ou été témoins de violences intrafamiliales depuis l’enfance.

“Le schéma s’est répété dans ma famille”, confirme Anna*. Enfant, cette infirmière scolaire de 29 ans a été témoin des violences subies par sa mère. Plus tard, elle a à son tour été victime de son conjoint pendant quatre ans. A 16 ans, la jeune fille rencontre Thomas*, de trois ans son aîné. “Au bout de quelques mois, les premiers reproches sont arrivés, puis les insultes.” La violence physique ne tarde pas à suivre. D’abord, une gifle. “Puis, ça a été des mises au sol, des coups de pied”, relate-t-elle, brièvement interrompue par les gazouillis de son enfant. Les violences s’intensifient encore lorsque, à 18 ans, Anna s’installe chez son compagnon. “J’étais isolée, je n’avais plus que lui et sa famille”, se remémore la mère de famille. Comme beaucoup d’autres jeunes femmes, elle ne sollicite pas l’aide d’associations et ne porte pas plainte, à l’époque.

“Les filles craignent de ne pas être crues, c’est un des freins très forts qui les empêche de parler. Il est partagé par toutes les femmes, mais la capacité de discernement des jeunes femmes est davantage remise en question”, analyse Ynaée Benaben. Pour améliorer la prise en charge de cette catégorie d’âge, la militante féministe a fondé l’association “En avant toutes”. Dans le tchat dédié “Comment on s’aime”, lancé en 2016, les jeunes filles peuvent poser leurs questions de manière anonyme.

Lors de ces échanges, l’association a observé l’existence de représentations tronquées chez les ados. “Dans l’imaginaire de quelqu’un de 17 ans, les violences conjugales concernent uniquement les femmes de 35 ans, mariées et avec des enfants”, détaille Ynaée Benaben. Cette vision stéréotypée complique la reconnaissance des signaux d’alerte par les victimes et se conjugue à une banalisation, voire à une romantisation des violences. “Elles nous disent que cette situation s’explique parce que c’est passionnel entre eux”, déplore la directrice générale de l’association, face à l’ampleur du chantier qui vise à briser le plus tôt possible les schémas de violence au sein des jeunes couples.

“On veut leur donner une chance d’avoir des relations saines dans le futur.”

Ynaée Benaben, directrice générale de l’association “En avant toutes”

à franceinfo

Une motivation partagée par Agathe Breton, 27 ans, salariée de la Fédération nationale solidarité femmes et autrice du livre C’est pas ça l’amour. “Quand on est victime, on a l’impression que ça n’ira plus jamais, que la tristesse est là pour toujours. Ce n’est pas le cas”, insiste-t-elle. De ses 16 ans à ses 19 ans, l’autrice a elle-même quotidiennement subi les violences verbales et psychologiques de son conjoint de l’époque.

“Je n’identifiais pas du tout que ce que je vivais était anormal.”

Agathe Breton, autrice du livre “C’est pas ça l’amour”

à franceinfo

“Au début, lorsqu’il me demandait constamment où j’étais, je trouvais même ça mignon et protecteur”, témoigne-t-elle. Les premiers gestes de violences interviennent après trois ans de relation. “Ce soir-là, juste pour un message que je n’ai pas voulu lui montrer, il m’a soulevée et m’a étouffée”, se souvient Agathe, qui décide alors de mettre fin à la relation. Il faudra un stage au Québec au sein d’une unité dédiée à l’accueil des femmes victimes, pour poser des mots sur ces trois années. “J’ai ressenti beaucoup de colère : je n’avais jamais entendu parler de violences conjugales chez les jeunes jusqu’ici. Comment est-ce possible ?” s’interroge-t-elle. A l’occasion de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, Agathe interviendra une nouvelle fois dans un lycée pour raconter son histoire et expliquer que ce n’est pas ça, l’amour.

* Les prénoms ont été modifiés à la demande des intéressées.


Le numéro d’appel d’urgence 3919 est disponible 24h/24 et sept jours sur sept. Il est gratuit et n’apparaît pas sur les factures téléphoniques.

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