
VIDEO. Grenelle des violences conjugales : « Rien n’est prévu pour l’accompagnement des proches des victimes de féminicide » – 20 Minutes

- Ce lundi, le gouvernement a présenté une trentaine de mesures destinées à lutter contre les violences conjugales, à l’occasion de la conclusion du Grenelle dédié à cette question.
- Création de centres régionaux de prises en charge des auteurs de violences, formation des forces de l’ordre ou déploiement des bracelets anti-rapprochement comptent parmi les mesures phares annoncées par Edouard Philippe.
- Mais pour Sandrine Bouchait, présidente de l’Union nationale des familles de féminicide (UNFF), le plan présenté « n’est pas assez ambitieux, et ne prévoit aucune mesure d’accompagnement des proches des victimes de féminicide ».
Provoquer un « électrochoc » pour endiguer le fléau des violences conjugales. Voici ce qu’espère le chef du gouvernement Edouard Philippe, qui a clos ce lundi le Grenelle des violences conjugales en présentant un ensemble de mesures. Création de centres régionaux de prise en charge des agresseurs, introduction de l’emprise dans le Code pénal, renforcement du numéro 3919 et de la formation des policiers et gendarmes, ou encore déploiement de bracelets anti-rapprochement comptent parmi les mesures phares.
Le gouvernement l’assure : les financements sont « là », « massifs », confirmant le chiffre de 360 millions d’euros dédiés à la lutte contre les violences faites aux femmes « en une année ». Mais pour Sandrine Bouchait, présidente de l’Union nationale des familles de féminicide (UNFF) et dont la sœur est décédée, brûlée vive par son compagnon, « le compte n’y est pas ».
Les annonces faites ce lundi par le Premier ministre, en conclusion du Grenelle des violences conjugales, répondent-elles à vos attentes ?
Non, d’abord parce que certaines mesures annoncées existaient déjà. C’est le cas des bracelets anti-rapprochement, et dont les conditions de mise en œuvre sont scandaleuses ! Ce dispositif a vocation à protéger la femme victime de violences conjugales de son compagnon ou ex qui est violent. Or, ce qu’Edouard Philippe a oublié de souligner dans ses annonces, c’est que ce dispositif, qui pourrait constituer un outil efficace de protection, ne peut être déployé que si l’homme violent accepte de le porter. Est-ce une plaisanterie ? A-t-on demandé à toutes ces femmes qui sont mortes si elles acceptaient les violences subies ? Cet accord préalable de l’auteur des violences est une aberration.
Quant à la formation des forces de l’ordre, évidemment que c’est une bonne chose tant l’accueil fait aux victimes ou à leur proche peut parfois être catastrophique. Mais le renforcement de leur formation ne suffit pas. Si policiers et gendarmes ne font pas bien leur travail lorsqu’ils prennent en charge une femme qui vient porter plainte, ou qu’ils annoncent sans aucun tact la mort d’une femme à ses proches, que se passent-il pour eux ? Rien ! Or, ils devraient dans ce cas faire l’objet de sanctions financières.
Edouard Philippe a annoncé la création, dans chaque région, de deux centres de prise en charge des hommes auteurs de violences conjugales d’ici à la fin du quinquennat. Cette mesure, longtemps absente de ce Grenelle, vous satisfait-elle ?
Deux centres par région, qui pourront chacun héberger et assurer le suivi psychologique de quelques dizaines d’hommes violents… Imaginez, donc, deux centres pour l’Ile-de-France, qui compte huit départements et plus de 12 millions d’habitants ! Dire que c’est largement insuffisant est trop faible. La mesure phare, c’est l’éviction du conjoint violent du domicile. On entend qu’il faut créer plus de places d’hébergement d’urgence pour les victimes et leurs enfants. Il faut aussi créer plus de places d’hébergement pour les hommes violents, et ainsi permettre aux victimes et leurs enfants de rester chez eux.
Et quand j’entends que ces centres – qui seront en nombre largement insuffisants – verront le jour « d’ici à la fin du quinquennat », cela me met en colère. Combien de femmes vont mourir d’ici là ? Nous demandons des mesures concrètes, efficaces et immédiates, quel qu’en soit le coût financier. Face à ce plan pas suffisamment ambitieux, nous allons devoir continuer à compter nos mortes, et c’est insoutenable. Alors, pour résumer ce que je pense : non, je ne suis pas satisfaite, je suis très en colère !
Qu’est-ce qui, selon vous, permettrait de lutter efficacement contre les violences conjugales ?
Il faudrait s’appuyer sur trois piliers majeurs. D’abord en privant les hommes violents de liberté, en généralisant le recours au bracelet anti-rapprochement, évidemment sans leur demander leur avis, et en les évinçant du domicile familial. Ensuite, en les atteignant au porte-monnaie, en leur faisant porter la charge financière du foyer dans lequel ils n’ont plus le droit de vivre. Et enfin, en les privant totalement de leur autorité parentale dès que les premières violences sont commises.
Vous déplorez que la question de la prise en charge des proches des victimes ait été absente des débats. Qu’aurait-il fallu mettre en œuvre sur ce terrain ?
Rien, dans les mesures annoncées, n’est prévu pour prendre en charge les proches des victimes de féminicide, pour les parents, frères et sœurs, et surtout pour les enfants de ces femmes tuées par un compagnon ou ex violent. C’est inadmissible. Nous, les familles de victimes, étions ce samedi en tête du cortège de la marche lancée par le collectif féministe #NousToutes. Mais nous avons le sentiment que pour le gouvernement, nous n’existons pas. Notre traumatisme est nié, comme s’il n’était pas réel ou ne comptait pas. En cas d’attentat, des cellules psychologiques sont créées pour apporter un soutien et un accompagnement psy dès les premiers instants. Pourquoi cette prise en charge n’existe-t-elle pas pour les proches de victimes de féminicide ? Pourquoi n’a-t-il pas des psychiatres ou psychologues dans les commissariats pour annoncer aux proches que leur fille ou leur sœur a été tuée dans ces circonstances dramatiques ?
Ma nièce a vu sa mère brûler vive, immolée par le feu par son père. Elle a assisté à une scène de guerre traumatisante. Pourtant, aucun dispositif spécifique de prise en charge n’existait pour elle. J’ai dû solliciter moi-même les centres médico-psychologiques (CMP) pour qu’elle bénéficie d’une prise en charge psychologique. Et obtenir une place dans l’une de ces structures – qui étaient toutes complètes – a été très difficile. Or, à ce jour, il existe en Seine-Saint-Denis un « protocole féminicide » pour les enfants des victimes, qui prévoit une prise en charge complète et un suivi psychologique au long cours. Pourquoi ce dispositif n’a-t-il pas été étendu à tout le territoire ?