Vaccins contre le Covid-19 : pourquoi les laboratoires s’opposent-ils à une levée des brevets ? – franceinfo

L’idée d’une levée des brevets sur les vaccins anti-Covid est relancée, après le soutien des Etats-Unis à cette mesure. Mais ce projet est globalement rejeté par les entreprises pharmaceutiques. “L’impact sur le long terme est dangereux”a argué sur franceinfo le PDG de Moderna, Stéphane Bancel. Le patron de Pfizer, Albert Bourla a renchéri, affirmant n’être “pas du tout” en faveur d’une telle décision. 

Pourtant, les profits de l’industrie pharmaceutique ne seraient pas affectés “spécialement dans les mois à venir”, assure Ian Gendler, du cabinet de recherche Value Line. Alors pourquoi les fabricants de vaccins s’opposent-ils à cette suspension de leur droit de propriété intellectuelle ? Eléments de réponse. 

Parce que les fabricants de vaccins perdraient leur monopole

Pour l’heure, les brevets sur les vaccins contre le Covid-19 sont détenus par quelques laboratoires, notamment américains, qui les ont découverts ou qui se sont associés à des laboratoires qui les ont découverts. Si ces brevets étaient levés, cela signifierait que d’autres fabricants dans le monde pourraient produire et commercialiser ces vaccins, sans que les firmes qui les ont mis au point n’y puissent rien, souligne Le Monde.

Les fabricants craignent donc d’être privés du retour sur l’important investissement qu’ils ont dû faire lors de la phase de recherche. Mais ils “ont bénéficié de milliards d’euros d’aides publiques pour développer leurs vaccins, rétorque dans Le Monde Maurice Cassier, chercheur au CNRS. Aucun n’est purement le fruit des recherches industrielles, tous ont profité de décennies de recherches académiques.”

Parce que ça n’accélérerait pas la production, d’après eux

La levée des brevets n’aurait pas d’effet “à court et moyen termes”, a argumenté le laboratoire allemand BioNTech, car la protection des brevets n’est pas le facteur limitant la production et l’approvisionnement de son vaccin mis au point avec l’américain Pfizer. “Donner aux pays qui en ont besoin un livre de recettes sans les ingrédients, les garanties et la main d’œuvre qualifiée n’aidera pas les gens qui attendent le vaccin”, a aussi souligné Michelle McMurry-Heath, patronne du lobby des sociétés de biotechnologie BIO.

Maîtriser la technologie de l’ARN messager, à la base des vaccins Pfizer-BioNTech et Moderna, acheter les machines, mener les essais cliniques, lancer la fabrication à grande échelle, “ne se fait pas en 6, 12 ou 18 mois”, a défendu le PDG de Moderna, Stéphane Bancel. La technologie inédite de l’ARN messager suppose un processus “très long” et une “expertise technique” pointue pour mettre sur pied un site de fabrication, abonde Albert Bourla. Comme ces vaccins “n’avaient encore jamais été produits, le problème est qu’il n’existe pas de telles usines dans le monde en-dehors de celles que nous avons construites”, souligne-t-il.

Un élargissement de la production nécessiterait donc la mise en place de “tout un régime de collaboration entre les groupes qui ont développé les vaccins et les laboratoires amenés à les reproduire”, décrit France 24, qui cite le conseiller médical de la Maison Blanche et immunologue Anthony Fauci : “Cela nécessiterait d’innombrables allers et retours, avec l’intervention d’avocats à chaque étape. Cela prendrait beaucoup de temps.” L’immunologue défend plutôt “des accords de coopération avec [de nouveaux] centres de production”.

Parce que ça créerait un précédent

Pour le patron de la biotech new-yorkaise Acorda Therapeutics, Ron Cohen, en soutenant la levée temporaire des brevets, “Joe Biden s’engage sur une pente dangereuse et glissante”. “Quels seront les prochains brevets sur la liste à ne plus être protégés une fois que ce précédent aura été institué ?” s’alarme-t-il sur Twitter en remarquant que le cancer ou la maladie d’Alzheimer peuvent aussi être considérés comme des “crises mondiales”.

Le système de propriété intellectuelle tel qu’il existe n’est pas fondamentalement menacé, nuancent plusieurs experts interrogés par l’AFP. Mais lever des brevets pour le Covid-19 “crée un précédent pour les crises sanitaires à venir”, abonde Farasat Bokhari, économiste spécialisé dans les questions de concurrence et de santé à l’université britannique d’East Anglia. Les laboratoires pharmaceutiques, aidés ou non par les fonds publics, “n’auraient plus d’incitation à investir la prochaine fois qu’il y a une urgence”.

Parce que les labos craignent une pénurie de matière première

Pfizer met aussi en avant le goulot d’étranglement pour les matières premières des composants vaccinaux. “Actuellement, le moindre gramme de matière première produite dans le monde arrive directement à nos usines, et ne reste pas un jour en entrepôt avant d’être transformé en vaccin – et chaque dose, une fois la qualité contrôlée, n’est pas entreposée un jour avant d’être livrée”, plaide Albert Bourla, le patron de Pfizer. “Cela signifie que si d’autres endroits commencent à commander également de la matière première, celle-ci risque de rester stockée dans leurs entrepôts en attendant qu’ils trouvent un moyen de la convertir en doses de vaccin”, prévient-il.

Stephen Ubl, le président de la fédération des entreprises de recherche pharmaceutique américaine (PhRMA), soutient lui aussi qu’une telle décision pourrait “davantage affaiblir les chaînes d’approvisionnement déjà tendues et favoriser la prolifération des vaccins contrefaits”. En guise d’alternative à la levée des brevets, Pfizer-BioNTech privilégie les transferts de technologie et la délivrance de licences ciblées pour augmenter la production de son vaccin. Il souligne être en étroite collaboration avec plus de 15 partenaires, dont les laboratoires Merck, Novartis, Sanofi et Baxter.

Leave a Reply

Discover more from Ultimatepocket

Subscribe now to keep reading and get access to the full archive.

Continue reading