Vaccin : la leçon pour l’Europe – Le Monde

Editorial du « Monde ». « Premier arrivé, premier servi » : l’adage, cela n’étonnera personne, sied assez bien au président Trump, fortement soupçonné de vouloir appliquer sa doctrine « America First » au vaccin contre le Covid-19, sur lequel plusieurs laboratoires pharmaceutiques travaillent d’arrache-pied. Le rôle crucial de cet hypothétique vaccin, seul outil véritablement capable de permettre aux sociétés de revivre et à l’économie mondiale de redémarrer, nourrit aujourd’hui tous les fantasmes – et toutes les craintes d’accaparement par un pouvoir nationaliste ou un géant pharmaceutique avide de profits.

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Dans ce contexte, les propos de Paul Hudson, directeur général du laboratoire Sanofi, rapportés, mercredi 13 mai, par l’agence Bloomberg, sur une priorité donnée aux Américains lorsque ce vaccin serait mis au point, n’ont pu qu’enflammer les esprits français. Jeudi, alors que la polémique montait, la présidence de la République a souligné que tout vaccin anti-Covid-19 devait être « un bien commun mondial, extrait des lois du marché » et a sommé les dirigeants de Sanofi, firme pharmaceutique française devenue largement internationale, de venir s’expliquer à l’Elysée la semaine prochaine.

Rétropédalages

Qu’avait dit exactement Paul Hudson ? Que les Etats-Unis « avaient droit à la plus grosse commande [de vaccins] parce qu’ils ont investi dans la prise de risque ». En effet, l’Etat fédéral américain, au travers d’une structure dévolue à la lutte contre le bioterrorisme et les pandémies, l’Autorité de développement et de recherche avancée biomédicale (Barda), a investi 1 milliard de dollars dans un partenariat public-privé avec plusieurs laboratoires travaillant sur des vaccins contre le Covid-19, dont Sanofi.

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La recherche et le développement des vaccins coûtent cher, surtout si le projet s’avère un échec ; la participation financière du secteur public permet aux laboratoires pharmaceutiques d’aller plus vite et plus loin. Il faut reconnaître à Donald Trump, malgré toutes ses erreurs dans cette crise, le mérite d’avoir compris très tôt la valeur du vaccin.

Jeudi, les dirigeants de Sanofi ont multiplié rétropédalages et éclaircissements dans les médias : il « n’a jamais été question de choisir entre les Etats-Unis et l’Europe » pour la distribution du vaccin, a assuré Paul Hudson. Si l’un des vaccins sur lesquels travaille Sanofi se révèle le bon, a-t-il dit, la firme aura besoin de toutes ses capacités manufacturières, y compris en France – où elle a bénéficié de 150 millions d’euros de crédit d’impôt –, pour en produire assez, face à la demande mondiale.

Le patron de Sanofi a aussi rappelé qu’il avait, en vain, fait campagne à Bruxelles pour que l’Union européenne crée l’équivalent du Barda américain. Or c’est bien là que se situe la question essentielle : l’Europe découvre douloureusement, à la faveur de cette pandémie, qu’elle ne s’est pas donné les instruments de la souveraineté.

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Qu’il s’agisse de l’application numérique de traçage, pour laquelle elle est en butte à la domination de Google et Apple, ou du vaccin, l’Europe est largement dépendante de l’extérieur. Certes, l’UE a lancé – tardivement – un appel de fonds mondial pour la recherche sur le vaccin, qui, grâce à elle, a réuni 7,4 milliards d’euros. Les Européens ont raison de continuer à défendre le multilatéralisme. Mais cela ne doit pas les empêcher de s’organiser pour défendre leurs intérêts, face à la compétition de plus en plus rude que se livrent la Chine et les Etats-Unis, et dont la course mondiale au vaccin est le dernier enjeu.

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