Un orphelin nommé Web3

Un orphelin nommé Web3

Ce billet est le troisième qui explore le Web 3.0, ce nouvel espace de l’Internet. Il partage les analyses et la vision de GreenSI sur l’ébullition médiatique et stratégique actuelle autour de ce sujet.

Les billets précédents ont montré que le Web 3.0 était finalement un concept, exploitant quelques technologies fondatrices (VR, blockchain, NFT, … intégrées au réseau mondial Internet). Un concept parfois appelé “Métavers” dont s’étaient emparées récemment quelques entreprises, à coup de milliards d’investissements, pour assoir leur présence dans l’Internet de demain, plus que pour porter une nouvelle mission au web mondial.

Mais cette itération trois de l’évolution du Web, un des composants majeur d’Internet, n’a pas toujours été celle-ci. 

On a commencé à parler du web 3.0 en 2006, dans un article de Jeffrey Zeldman sur son blog.

Puis avec Tim Berners Lee, le créateur du World Wide Web, qui rappelons-le, est le système hypertexte utilisant le protocole http (hypertext transfer protocol), permettant de visiter des pages sur le réseau Internet.

Jusqu’en 2010, au niveau des infrastructures il était question du rapprochement de trois réseaux, ou trois mondes de l’Internet : l’Internet depuis un PC fixe, et celui depuis un terminal mobile ou depuis des objets connectés. D’une certaine façon, le monde virtuel de l’Internet rencontrait le monde réel, où se déplaçaient les individus avec un terminal dans la main, et où des lieux physiques ou des objets étaient associés à des URL. On était encore loin de PokemonGo (2016) et du Métavers. Mais n’oublions pas que la bande passante des réseaux et les performances des terminaux ne l’aurait pas permis.

Au niveau du Web, il visait à organiser sa masse d’informations, notamment en fonction du contexte, pour tenter de donner plus de sens aux données. On parle de Web sémantique. Si vous cherchez “une casserole”, selon que vous souhaitez cuisiner ou jouer de la musique, le sens change et même la connotation positive ou négative de l’instrument. Aujourd’hui, cette idée de recherche personnalisée et de compréhension du contexte de l’utilisateur, a disparu des radars, au grand regret d’une communauté du web sémantique toujours active. Peut-être parce que les cookies l’ont (mal) simulé, par intrusion dans les données personnelles et sans l’accord des utilisateurs.

Tim Berners-Lee, interviewé ce début d’année à la conférence Fujitus ActivateNow sur l’état du Web, a répondu qu’il n’avait pas confiance dans le potentiel du Web 3.0 pour éviter une centralisation de l’Internet. Il s’est également posé la question de l’utilité du concept actuel, pour poursuivre sa mission initiale, qui était d’être accessible et utile à tous et à tout.

Dans les évolutions qu’il appelle de ses vœux, il y a bien sûr la reprise du contrôle de leurs données numériques par les utilisateurs. Il avait d’ailleurs pu déjà le dire en 2018 dans une tribune pour les 29 ans du Web, et proposait de s’attaquer à leur stockage en silos sur les plateformes privés des géants de l’Internet. C’est une décentralisation des données qui devrait caractériser le Web 3.0, mais de là à penser que la blockchain, intégrée à l’architecture du Web, résoudra le problème, il y a un énorme pas qu’il ne franchit pas.

On a compris que Tim Berners-Lee prenait ses distances avec le Web 3.0 actuel. Ses opposants lui reprochent cependant d’avoir vendu un NFT avec le code original du Web, et ainsi donné du crédit à cette vision actuel.

Pour l’évolution du Web, il propose néanmoins une vision différente, qu’il pousse avec la société Inrupt qu’il a fondé. Inrupt, qui suggère “Internet Rupture”, développe le projet de web décentralisé open source Solid qui veut d’empêcher l’utilisation de nos données à des fins non sollicitées. Il permet également d’offrir des possibilités de partage de nos informations, par exemple pour des projets de recherche ou citoyens. Le père du Web croit toujours que son enfant devenu adulte peut revenir à sa mission initiale…

Une autre position indirecte récente qui a attiré l’attention de GreenSI est celle d’un groupe de personnes influentes à la maison Blanche. Le “Council on Foreign Relations“, conseil à but non lucratif et non partisan qui analyse la politique étrangère américaine, a publié une tribune il y a deux semaines.

Leur démonstration est que l’ambition américaine vieille de plusieurs décennies de favoriser un Internet mondial, ouvert, sécurisé et interopérable ne s’est pas concrétisée. Comme se fut présenté dans le premier billet, le cyberespace est plus fragmenté, moins libre et plus dangereux. Et la conclusion qu’ils en tirent est que les États-Unis sont en train de perdre la course au cyberespace !

Ils pointent la responsabilité sur la vision d’un Internet construit sur des valeurs américaines traditionnelles, telles que l’ouverture mondiale, au détriment de la législation nationale sur la protection de la vie privée. Elle a permis aux adversaires de l’Internet d’exploiter cette faiblesse, et de facilement déployer leur pouvoir et leur influence sur ce monde numérique. Une démonstration pragmatique qui reconnait que l’absence de régulation ne peut être une régulation. D’une certaine façon, ils donnent raison à l’Europe.

Ce conseil pense que la fragmentation de l’Internet se poursuivra alors que les gouvernements de tous types rechercheront la souveraineté des données. D’ailleurs, ce ne sera pas toujours dans l’intérêt de l’internaute, comme le prône Tim Berners-Lee, mais plus pour sa surveillance, comme on le voit se déployer en Chine. 

Ils appellent notamment la Maison Blanche à intervenir sur le plan international pour associer les États-Unis dans une coalition pour élaborer des règles internationales régissant la manière dont les secteurs public et privé collectent, utilisent, protègent, stockent et partagent les données. 

Dans ce contexte, une vision du Métavers “à la Mark Zuckerger”, qui va collecter des données encore plus précises que les clics d’une souris, sur les émotions des visiteurs de son Horizon World, avec des équipements immersifs comme des casques, parait complexe à déployer. 

Le Web 3.0 est donc orphelin de son créateur, mais également de la puissance mondiale qui a le plus aidé à le développer. Ce n’est pas une nouvelle mouture de l’Internet accessible à tous. Le suivi des usages dans chaque partie de l’Internet va de ce fait être important pour les entreprises, afin de décider d’y participer ou pas et comment.

Est-ce qu’en 2030, comme le pense Mark Zuckerberg, il y aura un milliard de personnes dans le Metavers ? Et pour y faire quoi ? C’est ce que nous allons aborder dans le prochain billet, en compilant les études de tous les analystes et en comprenant leurs hypothèses.

Un analyste de Gartner, par exemple, prévoit que 25 % des individus passeront au moins une heure par jour dans le Métavers dès 2026, en cumulant des usages professionnels, loisirs, éducatifs ou sociaux. Et le corollaire, c’est que d’ici à cette même date, 30 % des organisations dans le monde auront des produits et services prêts pour le Métavers.

Cela parait très ambitieux pour ces 4 prochaines années, avec des sociétés qui se préparent à une récession mondiale, mais on va creuser les chiffres et les comparer au développement de l’Internet 1.0 tout simplement. Vous l’avez compris, c’est finalement une question de vitesse d’adoption, pour chaque usage, qui fera la différence. 

Il n’est pas non plus sûr, que les utilisateurs souhaitent tant que cela assumer la responsabilité que leur donne le Web 3.0 avec leurs données personnelles, quand on voit la légèreté avec laquelle ils s’en sont séparées dans le Web 2.0. Il me reste à vous souhaiter bonnes vacances, et on se retrouve à la rentrée.

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