Un an après l’explosion du port de Beyrouth, Human Rights Watch accuse les autorités libanaises « de négligence criminelle » – Le Monde

Après l’explosion dans le port de Beyrouth, le 4 août 2020.

Un an après l’explosion de 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium dans le port de Beyrouth, l’ONG Human Rights Watch (HRW) publie, mardi 3 août, un rapport dans lequel elle accuse les autorités libanaises « de négligence criminelle » et d’entrave à l’enquête locale.

Le document, basé sur des entretiens et des centaines de correspondances officielles, parfois inédites, recense les erreurs, manquements et dissimulations des autorités libanaises. Celles-ci irriguent toutes les instances politiques et sécuritaires, du gouvernement jusqu’aux douaniers, en passant par l’armée et les responsables censés enquêter sur la catastrophe.

« Les preuves suggèrent avec force que certains responsables gouvernementaux étaient conscients du [risque de] mort que la présence de nitrate d’ammonium au port pouvait entraîner et ont tacitement accepté [de prendre] ce risque. »

A partir de là, note l’ONG, l’explosion, qui a fait plus de 200 morts, 6 500 blessés et 300 000 sans-abri, pouvait potentiellement être assimilée, d’après la loi libanaise, à un meurtre prémédité ou à un « homicide ».

« Il y avait des désastres tous les jours »

La chronologie établie par l’ONG commence en 2013, avec l’arrivée dans le port de Beyrouth du Rhosus, un navire poubelle sous pavillon moldave. Il était parti de Géorgie pour rejoindre le Mozambique, mais a finalement échoué dans la capitale libanaise, où il a été abandonné dans un hangar avec sa cargaison explosive de produit pour engrais.

Les premiers manquements dans la chaîne de responsabilité apparaissent alors, selon HRW. « Les responsables du ministère des travaux publics et des transports ont décrit de manière inexacte les risques de la cargaison dans leurs demandes à la justice de décharger la marchandise », lit-on dans le rapport, qui les accuse d’avoir « sciemment stocké le nitrate d’ammonium dans le port de Beyrouth avec des matériaux inflammables ou explosifs pendant près de six ans », même après avoir reçu des rapports les avertissant de son caractère « extrêmement dangereux ».

Les douanes, alertées dès 2014, n’ont quant à elles pris aucune mesure adéquate pour s’en débarrasser, tout comme l’armée libanaise, qui « n’a pris aucune mesure apparente pour sécuriser » le stock. Selon la loi libanaise, les militaires doivent approuver l’importation et l’inspection de matières classées comme utilisables dans la fabrication d’explosifs.

Enfin, la Sécurité de l’Etat, chargée de l’enquête sur le stock de nitrate avant l’explosion, a tardé à signaler la menace potentielle aux responsables politiques. L’ONG l’accuse même d’avoir relayé des informations incomplètes. Le premier ministre de l’époque, Hassan Diab, a par exemple reçu des informations sur la cargaison seulement à partir de juin 2020, soit deux mois avant l’explosion. Interrogé par HRW, il a déclaré :

« Je l’ai ensuite oublié et personne n’a assuré le suivi. Il y avait des désastres tous les jours. »

Lire le décryptage : Au Liban, la deuxième mort des martyrs du 4 août

Marchandages politiques et absence de gouvernement

Des débris dans le port de Beyrouth, le 13 juillet 2021.

Constatant que l’enquête libanaise est « incapable de rendre justice de manière crédible », HRW préconise la création d’une mission d’investigation indépendante de l’ONU et des sanctions internationales contre les hauts responsables libanais. Cette demande avait déjà été formulée, dès 2020, par le président français, Emmanuel Macron, et plus récemment par une cinquantaine d’ONG, qui la justifiaient par « des ingérences politiques flagrantes, l’immunité des hauts responsables politiques, le manque de respect des normes d’un procès équitable ».

Dès le lendemain de l’explosion, le président libanais, Michel Aoun, rejetait la possibilité même d’une enquête internationale, et sa position n’a pas évolué depuis.

Le triste anniversaire de l’explosion coïncidera aussi avec la tenue d’une troisième conférence internationale pour aider financièrement le Liban, sous l’égide de la France et de l’ONU. Elle a pour objectif de réunir au moins 350 millions de dollars sous la forme d’aide urgente pour la population, selon la présidence française.

Les précédentes conférences, qui se sont tenues les 9 août et 2 décembre 2020, ont permis de lever 280 millions d’euros. Cette aide structurelle reste conditionnée à la formation d’un gouvernement capable d’engager des réformes profondes. La conférence du 4 août, selon l’espoir de l’Elysée, « sera l’occasion une fois de plus d’envoyer un message politique très clair : en dépit de l’engagement des différents leaders politiques libanais, le Liban n’a toujours pas de gouvernement ».

Le nouveau premier ministre désigné, Najib Mikati, a confirmé cette semaine qu’un gouvernement ne serait pas désigné avant le 4 août, contrairement à ce qu’il « souhaitait ». Selon lui, les marchandages politiques sont, encore une fois, en cause.

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Le Monde avec AFP et Reuters

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