Ukraine-Russie : une “désescalade” qui arrange les affaires de Moscou ? – FRANCE 24

Le président russe, Vladimir Poutine, a confirmé, mercredi, le retrait “partiel” des troupes russes à la frontière ukrainienne. Signe d’un début de désescalade ? Encore faut-il savoir quelle est l’ampleur de ce retrait, et, par ailleurs, prendre en compte les cyberattaques contre l’Ukraine attribuées à des pirates informatiques russes.

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Un pas de botte en arrière, deux cyberattaques en avant ? L’Ukraine et les pays de l’Otan ne savent pas sur quel pied danser après les annonces russes, mercredi 16 février, concernant le retrait “partiel” des troupes à la frontière ukrainienne. 

D’un côté, des vidéos publiées par Moscou montrent des véhicules militaires s’éloignant de la frontière, suggérant que le “risque d’une invasion de l’Ukraine par la Russie a bel et bien diminué”, a estimé John Sawers, l’ex-patron du MI6, le service britannique de renseignement extérieur, interrogé par la BBC.

En attendant le retrait des troupes russes

De l’autre, ces quelques vidéos ne rassurent pas du tout Washington, Londres ou encore l’Otan – qui a affirmé, mercredi en fin d’après-midi, que des images satellite prouvaient l’absence de retrait russe à la frontière. Surtout que certains gouvernements, à commencer par l’administration américaine, estimaient que Moscou était prêt à lancer une offensive mercredi.

Les capitales occidentales ont donc demandé des preuves supplémentaires du retrait effectif des soldats russes. D’autant plus que, depuis mardi, des cyberattaques attribuées à des pirates informatiques russes ont visé plusieurs institutions ukrainiennes, dont des banques. Ce n’est ainsi que du bout des lèvres que les responsables occidentaux acceptent de prononcer le mot “désescalade”.

En effet, l’ampleur du retrait semble, pour l’heure, encore limitée. “Pour l’instant, je n’ai pu confirmer que quelques mouvements au sud de la Crimée et aux alentours de Koursk”, précise Gustav Gressel, spécialiste des questions militaires russes au Conseil européen des relations internationales, contacté par France 24.

Des choix militaires russes qui ne sont pas synonymes de désescalade majeure. “En Crimée, il y avait de toute façon trop de soldats russes par rapport aux capacités des véhicules amphibies d’invasion présents dans la région”, explique ce spécialiste. Les troupes qui semblent partir de la région de Koursk “étaient positionnées en retrait de la frontière et servaient de réserve”, note Gustav Gressel. 

Selon lui, ces mouvements ne changent pas le tableau d’ensemble : “La Russie est toujours parfaitement capable de lancer une opération militaire d’envergure à n’importe quel moment.” 

Sauf si ces retraits ne sont que le début d’un mouvement plus large dans les semaines à venir. C’est ce que pense Jeff Hawn, spécialiste de la Russie à la London School of Economics, contacté par France 24. “Le but de Moscou est de revenir à une présence militaire similaire à celle de novembre dernier, c’est-à-dire avec moins de 100 000 hommes”, estime-t-il.

La Russie consciente des limites de sa stratégie

La raison de cet optimisme tient au fait que “Vladimir Poutine estime avoir obtenu tout ce qu’il pouvait de l’escalade militaire et se trouve en bonne position pour donner une chance aux négociations diplomatiques”, souligne Jeff Hawn. Le plus important pour Moscou étant que “les inquiétudes sécuritaires russes [par rapport à la présence de l’Otan en Europe de l’Est] sont revenues tout en haut de l’agenda diplomatique international”, confirme à la BBC John Sawers, l’ex-directeur du MI6.

Ce serait aussi un bon moment pour le maître du Kremlin d’appuyer sur la pédale de frein militaire. “Washington et d’autres puissances occidentales ont, depuis quelques jours, des discours très alarmistes quant au risque de conflit. La décision de plusieurs pays de retirer leur personnel diplomatique d’Ukraine peut donner l’impression que l’Occident est dans une logique d’escalade. Face à ça, l’annonce russe d’un retrait permet à Vladimir Poutine d’apparaître comme un dirigeant mature qui sait garder son calme”, analyse Jeff Hawn.

“C’est sûr que Moscou cherche actuellement à changer son image de grand méchant de l’histoire”, estime Gustav Gressel. Si cet expert du Conseil européen des relations internationales est moins convaincu, pour sa part, d’un retrait progressif, il estime cependant que la Russie a conscience des limites de sa stratégie. 

Le problème est que le bruit des bottes russes étouffe complètement “les voix de ceux qui, en Europe, cherchent à plaider la cause de Vladimir Poutine, tout en renforçant le camp de ceux qui plaident pour des sanctions exemplaires contre Moscou. En mettant en scène un retrait même partiel, le président russe espère donner quelques munitions à ses relais d’influence à Bruxelles afin de gagner du temps pour organiser la suite des événements”, note Gustav Gressel. Autrement dit, ces manœuvres de soldats russes doivent permettre à Gerhard Schröder, l’ex-chancelier allemand devenu lobbyiste de la cause russe, et à d’autres, d’être plus audibles lorsqu’ils assurent que Moscou ne veut pas la guerre.

Des cyberattaques comme moyen de pression alternatif

Les récentes cyberattaques contre l’Ukraine attribuées à la Russie représentent, paradoxalement, un autre signe d’une mise entre parenthèses, pour l’heure, de l’option militaire. “Si la Russie avait voulu préparer une offensive armée, les attaques informatiques auraient visé des infrastructures comme des centrales électriques ou les réseaux de communication”, souligne Jeff Hawn.

En l’occurrence, le type d’attaques perpétrées ces derniers jours – rendre inaccessible des sites de banques et d’institutions – représente “le b.a.-ba de ce que peuvent faire des cybercriminels. C’est un peu l’équivalent, en matière de dommages, d’un graffiti sur un mur”, souligne l’expert de la London School of Economics.

Mais c’est aussi “un avertissement”, a affirmé Adam Meyers, vice-directeur de CrowdStrike, une des principales sociétés américaines de sécurité informatique, sur l’antenne anglophone de France 24. Ces hackers russes n’ont pas choisi leurs cibles par hasard. “Ils s’en sont pris à deux banques dans lesquelles les deux tiers des Ukrainiens ont un compte sur lequel est versé leur salaire. C’est une façon de faire comprendre qu’ils savent où frapper pour infliger d’importants dégâts économiques”, estime Gustav Gressel.

Ces cyberattaques représentent “un moyen pour la Russie de maintenir la pression sur l’Ukraine tout en jouant la carte de la désescalade”, résume Jeff Hawn. C’est peut-être le signe que la Russie entre dans une nouvelle phase du conflit, où elle montre qu’elle a d’autres atouts dans sa manche que la simple menace d’envoyer des tanks à Kiev. 

La Douma a voté, mardi, une loi qui “permet à Vladimir Poutine de reconnaître n’importe quand l’indépendance des régions prorusses en Ukraine [essentiellement la région du Donbass, NDLR]”, note Jeff Hawn. C’est encore une autre arme que le Kremlin peut brandir pour tenter d’arracher des concessions de Kiev et de l’Otan. “Le président russe va maintenant essayer de voir quelles sont les options qui lui rapportent le plus pour un coût diplomatique le moins élevé possible”, estime Gustav Gressel. Finalement, il se peut très bien que tous les soldats fassent leur réapparition à la frontière si le reste ne fonctionne pas. 

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