Ukraine: cet argument de Poutine repris par des candidats à la présidentielle – Le HuffPost

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Ukraine: cet argument (discutable) de Poutine repris par des candidats à la présidentielle (Collage Photos: Eric Zemmour, Vladimir Poutine, Jean-Luc Mélenchon. Sara Meyssonnier/Reuters// Thibault Camus/Pool/Via Reuters// Sara Meyssonnier/Reuters)

UKRAINE – En diplomatie, gare aux promesses non écrites. Et même à celles qui le sont. Tous les regards sont rivés à l’Est depuis que Vladimir Poutine a choisi de défier les Occidentaux en reconnaissant le 21 février l’indépendance des séparatistes prorusses en Ukraine et en ordonnant à ses troupes d’entrer dans les territoires séparatistes.

Si les soutiens au Kremlin sont plutôt timides, en France certains candidats à la présidentielle ont tenté de justifier cette stratégie agressive en faisant remarquer que si l’Occident, et plus particulièrement l’Otan, avait “tenu sa promesse” faite en 1990 de ne pas s’étendre à l’Est, on n’en serait pas là. Un argument qui, en réalité, prête à débat.

L’argument de la promesse non tenue 

“Quand l’URSS s’est effondré, il a été promis aux Russes que l’OTAN ne s’étendrait pas à l’Est. Cette promesse n’a pas été respectée”, a dénoncé Jean-Luc Mélenchon lors d’une conférence de presse le 22 février. “Quoiqu’on pense des arrière-pensées ou des logiques de situation, il n’empêche que c’est bien la Russie qui a pris la responsabilité” d’une “escalade” qu’il faut “condamner”, a-t-il toutefois assuré

Même reproche du côté d’Eric Zemmour sur CNews le 20 février: “il y a un problème géostratégique majeur. L’extension de l’Otan à l’est depuis 30 ans contrairement à toutes les promesses de Georges Bush père à Gorbatchev est vue légitimement comme une agression par la Russie”, explique-t-il, reconnaissant néanmoins qu’Emmanuel Macron “a raison de tenter d’éviter la guerre”. 

Un argument directement repris de la bouche de Vladimir Poutine, dans un premier temps avancé le 18 mars 2014 pour justifier l’annexion de la Crimée par la Russie: “Ils nous ont menti à plusieurs reprises, ils ont pris des décisions dans notre dos, ils nous ont mis devant le fait accompli. Cela s’est produit avec l’expansion de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan) vers l’est, ainsi qu’avec le déploiement d’infrastructures militaires à nos frontières”.

Une charge qu’il a renouvelée le 1er février dernier lors d’un discours. “Nous avons été escroqués, trompés. On nous avait promis que l’infrastructure de l’Otan ne s’avancerait pas d’un pouce vers l’est. Ils ont dit une chose et fait le contraire”. 

La vraie promesse du secrétaire d’État américain

Les Occidentaux ont-ils réellement manqué à leur parole et floué le géant russe?

Pour mieux comprendre la situation, revenons en 1989 à la chute du Mur de Berlin. L’avenir de l’Allemagne réunifiée est alors en discussion et l’une des grandes questions est notamment de savoir si elle sera neutre ou intégrée à l’Otan. Le président russe, Mikhaïl Gorbatchev, a de grandes réserves et craint un déséquilibre militaire et stratégique en Europe

Pour que l’URSS accepte, le secrétaire d’État américain, James Baker, assure à Mikhaïl Gorbatchev que “la juridiction militaire actuelle de l’Otan ne s’étendra pas d’un pouce vers l’est”. C’est ce qu’attestent en effet des documents déclassifiés (en anglais), des comptes-rendus de réunions provenant aussi bien des archives américaines, soviétiques, allemandes, britanniques et françaises. La fameuse promesse a donc bien été formulée. Des déclarations similaires ont même été faites à plusieurs reprises au cours de ces négociations. 

La grande “erreur” de Gorbatchev

L’Otan a-t-elle menti? C’est là que les opinions divergent. En effet, il y a plusieurs facteurs à prendre en compte. D’une part, cette assurance faite par Baker à Gorbatchev de ne pas s’étendre à l’Est a été faite dans le cadre d’une discussion sur l’Allemagne et la RDA et seulement dans ce cadre-là. Le texte final, le Traité de Moscou signé le 12 septembre 1990, mentionne effectivement “l’interdiction du déploiement de forces armées autres que les forces allemandes sur le territoire de l’ex-RDA”. 

Cette promesse ne pouvait pas concerner les pays de l’Est, puisqu’ils auraient pu difficilement prévoir à l’époque la chute de l’URSS et l’éparpillement des pays du Bloc soviétique. ”À l’époque, c’était logique. L’URSS et ses alliances ne s’effondreraient qu’à partir de 1991. L’idée d’élargir l’Otan à l’Europe centrale et orientale était hors de propos, on parlait uniquement de la RDA”, explique à Franceinfo Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur associé à l’Institut Thomas More.

Enfin, et c’est surtout là que le bât blesse pour la Russie: cette promesse de ne pas “avancer d’un pouce vers l’Est”, ne figure sur aucun texte officiel. Elle est seulement visible sur des “mémorandums”, c’est-à-dire des comptes rendus de discussions entre les Soviétiques et leurs principaux interlocuteurs occidentaux. “L’erreur de Gorbatchev a sans doute été de ne pas exiger la confirmation par écrit de ces engagements”, note Charles Thibout, chercheur associé à l’IRIS.

L’Otan joue sur les mots, Moscou fulmine

Et ça, Vladimir Poutine le sait très bien. En juillet 2015, alors qu’il fait face au réalisateur américain Oliver Stone, la question est évoquée. Le président russe “esquisse” alors “un rictus” et dit:

“Rien n’avait été couché sur le papier. Ce fut une erreur de Gorbatchev. En politique, tout doit être écrit, même si une garantie sur papier est aussi souvent violée. Gorbatchev a seulement discuté avec eux et a considéré que cette parole était suffisante. Mais les choses ne se passent pas comme cela!”

Un entretien publié dans Conversations avec Poutine, écrit par Olivier Stone (Albin Michel, 2017) et cité par Le Monde Diplomatique

C’est également sur cela que repose aussi l’argumentaire de l’Otan. En 2014, face aux reproches de Poutine qui vient d’annexer la Crimée, la Revue de l’Otan, écrite par écrit Michael Rühle, chef de la section sécurité énergétique, dénonce dans un plaidoyer un “mythe”, une ”prétendue promesse”: “Il n’y a jamais eu, de la part de l’Ouest, d’engagement politique ou juridiquement contraignant de ne pas élargir l’Otan au-delà des frontières d’une Allemagne réunifiée”. La grande nuance étant le “juridiquement contraignant”.

Si l’Otan ne tient pas une promesse non écrite, la Russie viole ses engagements signés

Quand bien même la promesse faite à Gorbatchev n’a pas été dite dans le but de le duper, il reste que la chute de l’URSS et l’éclatement de la Yougoslavie a rebattu totalement les cartes et ouvert de nouvelles perspectives. D’autant que, depuis 1975, la charte d’Helsinki garantit à tout pays le droit de choisir sa propre alliance, rappelle l’IRIS. 

Toutefois la chute du Bloc soviétique ne signifiait pas pour autant la disparition de la Russie, devenue alors la Fédération de Russie, ni la rupture des engagements moraux pris par les membres de l’Otan envers elle. 

Pour ce qui est de ne pas tenir ses promesses, si du côté de l’Otan la question mérite débat, du côté de la Russie elle ne se pose même pas. Vladimir Poutine a violé ses propres engagements, qui eux étaient bien écrits, dans le mémorandum de Budapest, signé en 1994. Ce dernier garantissait l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Une promesse foulée aux pieds avec l’annexion de la Crimée en 2014 et qu’il a fini d’achever le 21 février 2022, à l’instar des accords de Minsk. 

À voir également sur Le HuffPost: En Ukraine, des blindés entrent à Donetsk après les déclarations de Poutine

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