Tunisie : début du référendum sur un nouveau projet de Constitution controversé – Le Monde

Un projet hyperprésidentialiste qui fait craindre une dérive autoritaire. Les Tunisiens sont appelés aux urnes, lundi 25 juillet, afin de se prononcer par voie référendaire sur un projet de nouvelle Constitution. Cette réforme controversée, portée par le chef de l’Etat, Kaïs Saïed, vise à renforcer les pouvoirs du président et pourrait faire rebasculer le pays vers un régime dictatorial similaire à l’avant 2011.

A travers le pays, plus de 11 000 bureaux de vote ont ouvert leurs portes dès 7 heures heure française pour accueillir les électeurs d’après l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE), l’autorité électorale tunisienne, organisatrice de cette consultation. Ils fermeront à 23 heures heure française. Le taux participation atteignait 6,3 % à 10 h 30 heure française a fait savoir le président de l’ISIE, Farouk Bouasker, le qualifiant d’« encourageant ».

Episode 1 Article réservé à nos abonnés « La bataille du référendum est décisive » : en Tunisie, la Constitution de la discorde

Selon l’ISIE, 9 296 064 électeurs ont été inscrits volontairement ou automatiquement pour participer à ce référendum, rejeté par la majorité des partis politiques et critiqué par les défenseurs des droits. Les 356 291 Tunisiens de l’étranger ont commencé à voter samedi et ont jusqu’à lundi pour s’exprimer.

Une réforme qui pourrait « ouvrir la voie à un régime dictatorial »

Après avoir voté dans le quartier bourgeois de Cité Ennasr, accompagné de son épouse, Ichraf Chebil, le président s’est exprimé. Evoquant un « choix historique », Kaïs Saïed a appelé le peuple tunisien à se rendre aux urnes pour « établir une nouvelle République fondée sur la vraie liberté, la vraie justice et la dignité nationale ».

La participation est le principal enjeu du référendum pour lequel aucun quorum n’est requis et où le oui est donné favori, puisque l’opposition à M. Saïed a pour l’essentiel appelé à ne pas se rendre aux urnes.

Le projet de Constitution est censé, selon M. Saïed, mettre fin à la crise politique provoquée par son coup de force d’il y a exactement un an. Il instaure un régime ultraprésidentiel accordant de vastes pouvoirs au chef de l’Etat, en rupture avec le système plutôt parlementaire en place depuis 2014, auquel Kaïs Saïed impute les conflits récurrents entre le Parlement et le gouvernement des dix dernières années.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Tunisie : « Kaïs Saïed pose les jalons d’une orientation idéologique de type nationaliste arabe »

Dans le nouveau texte, le président, chef suprême des armées, exerce le pouvoir exécutif avec l’aide d’un chef de gouvernement qu’il désigne et peut révoquer selon son bon vouloir, sans nécessité d’obtenir la confiance du Parlement. Il entérine les lois et peut aussi soumettre au Parlement des textes législatifs qui ont « la priorité ».

Une deuxième chambre devant représenter les régions sera établie pour contrebalancer l’Assemblée des représentants actuelle, celle où siègent les députés tunisiens. Sadok Belaïd, le juriste chargé par M. Saïed d’élaborer la nouvelle Constitution, a désavoué le texte final, estimant qu’il pourrait « ouvrir la voie à un régime dictatorial ».

Boycott des urnes par la majorité des partis d’opposition

L’opposition et les ONG ont dénoncé un texte « taillé sur mesure » pour M. Saïed, et une concentration excessive des pouvoirs entre les mains d’un président n’ayant de comptes à rendre à personne.

Les plus grands partis s’opposant à la réforme, notamment le mouvement d’inspiration islamiste Ennahdha, bête noire de M. Saïed, ont ainsi appelé au boycott du scrutin, invoquant un « processus illégal » et ne découlant d’aucune concertation. La puissante Union générale tunisienne du travail (UGTT), qui se tient à distance de la vie politique sur laquelle elle avait une forte influence depuis la révolution de 2011, n’a, elle, pas donné de consigne de vote.

Episode 2 Article réservé à nos abonnés En Tunisie, l’impuissance d’une opposition émiettée

Personnage insondable et complexe, le président, Kaïs Saïed, exerce le pouvoir de manière de plus en plus solitaire depuis un an. Agé de 64 ans, le chef de l’Etat tunisien depuis 2019 considère, en effet, sa refonte de la Constitution comme le prolongement de la « correction de cap » engagée le 25 juillet 2021.

Arguant de blocages politico-économiques, il avait alors limogé son premier ministre et gelé le Parlement avant de le dissoudre en mars 2022, mettant en péril la démocratie issue du « printemps arabe ».

Grave situation économique du pays

Pour le chercheur Youssef Cherif, « le fait que les gens puissent encore s’exprimer librement, qu’ils puissent aller voter non [au référendum] sans aller en prison montre que nous ne sommes pas dans le schéma traditionnel de la dictature ».

Mais la question pourrait se poser, selon lui, dans l’après-Saïed, avec une Constitution qui « pourrait construire un régime autoritaire ressemblant aux régimes que la Tunisie a connus avant 2011 », la dictature de Zine El-Abidine Ben Ali et le régime autocratique du héros de l’indépendance, Habib Bourguiba.

Au lendemain du vote, le principal défi du président restera la situation économique avec une croissance poussive (autour de 3 %), un chômage élevé (40 % chez les jeunes), une inflation galopante, accentuée par la guerre en Ukraine et l’augmentation de la pauvreté, touchant 4 millions de personnes.

La Tunisie, qui connaît une profonde crise financière avec une dette supérieure à 100 % du PIB, négocie depuis des mois un nouveau prêt avec le Fonds monétaire international (FMI) qui a fait état, avant le référendum, de « progrès satisfaisants » en vue d’un accord, mais exigera en retour des sacrifices, susceptibles de provoquer des réactions dans la rue.

Sommaire de la série « La Tunisie de Kaïs Saïed »

Le Monde avec AFP

Leave a Reply

Discover more from Ultimatepocket

Subscribe now to keep reading and get access to the full archive.

Continue reading