Trump et les masques : ce que cache la réticence du président – Paris Match

Au-delà de la coquetterie personnelle du milliardaire, le port du masque est devenu un sujet politique aux Etats-Unis. Donald Trump semble vouloir éviter de froisser certains de ses partisans.

Va-t-il oui ou non porter un masque? Depuis plusieurs semaines, chaque déplacement du président des Etats-Unis suscite la même interrogation. Au pied de Marine One, l’hélicoptère présidentiel, ou de l’avion Air Force One, les reporters qui le suivent lui posent toujours la question avant que Donald Trump ne s’envole vers sa destination du jour. Jusqu’à présent, il a toujours refusé de se montrer avec un masque, même en visite dans des usines fabricant des équipements de protection. Jeudi, la comédie du masque s’est jouée à nouveau à Ypsilanti, dans le Michigan. Dans une usine Ford qui fabrique des respirateurs et des masques, le milliardaire n’a pas voulu se plier à la demande du constructeur automobile, qui l’avait prié de porter un masque, ni aux exigences de l’Etat du Michigan imposant le port du masque. Devant la presse, il a assuré en avoir porté un hors de la vue des journalistes -ce qu’ont confirmé des clichés diffusés sur les réseaux sociaux- tout en assumant de ne pas vouloir donner l’exemple devant les caméras. «Je voulais pas que la presse ait le plaisir de le voir», a-t-il déclaré, cité par le «Washington Post». Tout juste a-t-il consenti à poser avec une visière de protection, sans pour autant la porter. Début mai, il avait déjà prétendu avoir porté un masque hors de la vue des journalistes. «J’y peux rien si vous ne l’avez pas vu», avait-il rétorqué le 6 mai, au lendemain d’une visite dans l’Arizona.

Le feuilleton des masques est particulièrement révélateur du double message en provenance de la Maison-Blanche. Le 3 avril, déjà, alors que les Centers for disease control (CDC), une des principales autorités en matières d’épidémies, venaient de recommander le port du masque, Donald Trump prenait déjà ses distances. «Alors avec les masques, ça va être, en fait, quelque chose de volontaire. Vous pouvez le faire, vous n’êtes pas obligés de le faire. Je choisis de ne pas le faire, mais certains pourraient vouloir le faire, et c’est leur droit. Peut-être que c’est bien. Sans doute. Ils font une recommandation. C’est juste une recommandation. C’est volontaire», avait insisté le président, qui avait avoué une forme de malaise à porter un masque dans le Bureau ovale et pour recevoir «des présidents, des Premiers ministres, des dictateurs, des rois, des reines». Quelques jours plus tard, la première dame Melania Trump avait de son côté adressé un message contradictoire, encourageant au port du masque. Depuis ces hésitations initiales, l’administration n’a pas tranché. Le vice-président Mike Pence s’est dispensé du port du masque fin avril lors d’une visite dans un hôpital, mais l’entourage du président est désormais sommé de se couvrir le visage depuis l’apparition de plusieurs cas de Covid-19 parmi des personnes en contact avec Donald Trump.

La réticence du milliardaire à se montrer avec un masque est singulière. Parmi les dirigeants de la planète, le Canadien Justin Trudeau, le Japonais Shinzo Abe ou le Français Emmanuel Macron n’ont pas hésité à montrer l’exemple. Au delà de la coquetterie personnelle de l’ex-star de «The Apprentice», des facteurs politiques expliquent son ambivalence. Le président a manifesté à plusieurs reprises son soutien aux manifestants anti-confinement, lorsque ceux-ci défilaient dans des Etats démocrates. Parmi cette frange radicale et minoritaire, Donald Trump a reconnu certains de ses partisans. En jouant sur les divisions partisanes, le président a transformé la pandémie en objet politique. Un sondage Change Research pour CNBC dans six Etats clés pour l’élection présidentielle de novembre en témoigne. Certes, une écrasante majorité de sondés (68%) déclarent porter un masque en public. Mais la proportion est de 94% pour les démocrates et de 45% seulement pour les républicains. «Les républicains sont bien moins susceptibles de prendre des précautions», note Change Research, qui a aussi testé, entre autres, les attitudes concernant le renoncement aux bars et restaurants (88% des démocrates, 40% des républicains) ou le fait d’éviter les foules (94% des démocrates, 49% des républicains).

Les masques dénoncés par des stars des médias conservateurs qui ont l’oreille de Trump

Pour certains conservateurs et partisans de Donald Trump, le port du masque est une privation intolérable de liberté, sinon une marque d’infamie. Cette charge symbolique n’a pas échappé au président, qui a par exemple retweeté la semaine dernière un de ses partisans haranguant les «communistes» des Etats démocrates qui voudraient empêcher «les Floridiens de prendre du bon temps dans des bars, sans masque».

La fronde contre les masques, encore peu audible, espère gagner en visibilité. Ces derniers jours, les mots-clés #NoMask et #NoMasks ont fortement progressé, selon les statistiques disponibles sur l’outil Buzz Insights de Digimind, obtenues par Paris Match. Parmi les mots les plus associés à ces deux mots-clés, on trouve des références à la théorie du complot Q Anon et des slogans anti-vaccins. On y lit aussi un rejet déterminé du «new normal», la «nouvelle normalité», qui impose selon les experts le maintien des mesures de précaution pour combattre la pandémie, et que les anti-masques refusent d’accepter.

Il faut souligner que les volumes de tweets pour les mots-clés #NoMask et #NoMasks restent faibles en regard d’un phénomène véritablement populaire, comme la nouvelle chanson de Lady Gaga «Rain On Me», qui figure dans les sujets les plus discutés ce vendredi et qui avait déjà généré plus de 700 000 messages à la mi-journée. Néanmoins, les anonymes sur Twitter ne sont pas les seuls à reprendre le refrain anti-masques.

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Sur la chaîne conservatrice Fox News, certains animateurs ont fait part de leur scepticisme. Laura Ingraham, fervente partisane de Trump, a déclaré après la polémique déclenchée par Mike Pence que les masques sont un instrument «de contrôle social sur de larges populations», «obtenu grâce à la peur, l’intimidation et la suppression d’une pensée libre». Elle reprenait les arguments développés fin avril par Rush Limbaugh, un autre admirateur de Trump attentivement écouté par le président. «Le masque est le symbole de la peur, le signe que vous êtes en danger, le signe que rien n’ira jamais mieux», avait déclaré l’animateur radio. Pour le «Federalist», une publication ultra-conservatrice, le masque pose un problème d’image : «Le président Trump doit montrer force et leadership dans cette crise, il ne peut pas le faire caché derrière un masque».

Pour les CDC, toutefois, il est recommandé «de porter des masques en tissus dans les lieux publics où les mesures de distanciation sociales sont difficiles à appliquer (par exemple, les épiceries et les pharmacies)».
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