TRIBUNE. “Son geste est révélateur de la souffrance au travail” : la lettre ouverte du collectif des direct… – franceinfo
Christine Renon a été retrouvée morte lundi 23 septembre dans le hall de son établissement. Un acte qui suscite émotion et indignation chez les directeurs d’école de Pantin.
Après le suicide de Christine Renon, directrice d’une école maternelle de Pantin (Seine-Saint-Denis), ce sont la colère et la solidarité qui s’élèvent dans les rangs des enseignants. Jeudi 3 octobre, jour de ses obsèques, des actions – grèves, rassemblements, marques de soutien – sont prévues en Seine-Saint-Denis, mais également partout en France. Face à ce drame, plusieurs directeurs et directrices d’école de Pantin dénoncent leurs conditions de travail, dans une tribune publiée jeudi 3 octobre sur franceinfo.fr. Surtout, ils rendent hommage à leur collègue. Ils s’expriment ici librement.
Christine, notre collègue, la directrice de l’école Méhul, enseignante à Pantin depuis 30 ans, s’est suicidée, samedi 21 septembre, dans le hall de son école. Elle y a côtoyé de nombreuses générations d’enfants et de nombreuses familles. Toujours présente. Elle était une figure du quartier. Elle s’est toujours profondément investie dans son métier, probablement au point de ne plus parvenir à supporter la multiplication et la lourdeur des tâches exigées en permanence.
Avant de mettre fin à ses jours, elle a pris soin d’envoyer une lettre qui nous était adressée ainsi qu’à l’inspecteur de la circonscription. Elle y fait état de sa rentrée, des difficultés accumulées qu’elle a rencontrées et de l’impossibilité pour elle de bien accomplir ses missions. Le contenu de son courrier fait écho à notre quotidien de directeurs·trices d’école, au regard de la dégradation de nos conditions de travail et de toutes les responsabilités qui reposent sur nos épaules.
Parce qu’il y a l’organisation de l’école.
Il y a la sécurité des bâtiments et des personnes, les relations et le travail avec la mairie, la médecine scolaire, les services sociaux, les partenaires de soin, les équipes d’animation, les accompagnant·e·s des élèves en situation de handicap…
Il y a l’organisation du temps de service, d’animation pédagogique avec nos équipes. Il y a la coordination des projets divers, la continuité et la cohérence des apprentissages.
Il y a les enseignant·e·s débutant·e·s, parfois nommé·e·s le jour de la rentrée.
Il y a les étudiant·e·s stagiaires qui conjuguent formation chronophage et classe, et que nous devons épauler. Il y a les enseignant·es contractuel·les parachuté·es dans une classe sans aucune formation.
Il y a les relations quotidiennes avec les parents dans toute leur complexité.
Il y a les relations compliquées avec la municipalité, qui prend des décisions unilatérales qui impactent nos conditions de travail sans nous concerter, dont les rythmes scolaires.
Il y a, depuis sept ans, des relations à reconstruire chaque année avec un·e nouvel·le inspecteur·trice.
Il y a tous ces conflits qu’on tente de désamorcer pour préserver la sérénité de l’école. Il y a tous ces dysfonctionnements matériels et humains, qui nous mettent dans des situations parfois très compliquées.
Il y a toutes ces tâches matérielles qui nous transforment tour à tour en comptable, manutentionnaire, gardien·ne, intendant·e, secrétaire, gestionnaire. Il y a notre département, qui cumule les difficultés économiques et sociales. Il y a un contexte social souvent difficile, qui nous transforme en assistant·e social·e, infirmier·e, cellule d’écoute, médiateur·trice…
Il y a ces élèves mal logés ou sans abri, qui dorment dans la rue avec leurs familles.
Il y a ces élèves en situation de handicap, inclus dans les classes avec des moyens très insuffisants.
Il y a nos salaires très bas, comme ceux de l’ensemble des enseignant·e·s, au regard des responsabilités qui nous incombent et de notre charge de travail. Il y a la pression institutionnelle permanente et ses injonctions parfois contradictoires, qui nous font perdre le sens de notre cœur de métier.
Il y a, comme l’écrit Christine, “toujours des petits soucis à régler (…) et à la fin de la journée, on ne sait plus trop ce que l’on a fait.” Il y a le manque de reconnaissance du rôle essentiel que nous jouons au sein des écoles.
Et il y a notre solitude face à tout cela.
L’Education nationale, le ministre et ses représentants, doivent urgemment prendre acte du geste désespéré de notre collègue et de son dernier témoignage et réagir en conséquence.
Son geste ne peut pas être minoré, parce qu’il est révélateur de la souffrance au travail partagée par l’ensemble des personnels de l’Education nationale au regard de la dégradation continue et permanente de leurs conditions actuelles de travail, en Seine-Saint-Denis et au-delà.
Les signataires : Le collectif des directeurs·trices de Pantin.