Transat Jacques Vabre : les skippers ont-ils encore le dessus face à l’ordinateur ?

Transat Jacques Vabre : les skippers ont-ils encore le dessus face à l'ordinateur ?

“Ca fait un peu plus que 20 ans que nos navires sont bardés d’écrans et de capteurs. Oui, malheureusement, ça a beaucoup changé” indique à quelques heures du départ Jérémie Beyou, un des deux skipper de l’Imoca Charal. “Bien sûr, ça a une incidence sur la manière donc on fait la course. Mais il faut se méfier parce que les ordinateurs ne donnent pas toutes les réponses. Ils restent des aides à la décision”.

“On a beaucoup plus d’informations, et tout le temps il faut faire le tri” dit le skipper qui laisse toutefois avec plaisir cette tâche le plus souvent à son co-équipier Guillaume Pratt.

Le volume d’information à déchiffrer n’est toutefois pas le problème majeur. “Avant, on avait moins d’informations c’est vrai, mais elle n’étaient pas toutes bonnes et il fallait déjà faire le tri” indique Jérémie Beyou. “Ce qu’il ne faut pas perdre c’est le sens marin, c’est à dire bien connaître sa machine et ses limites et bien bien se connaître et connaître ses propres limites”.

“C’est ce qui permet d’avoir un bon jugement sur les conditions de mer et les conditions de vent”.

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Des photos satellite pas chères, le nerf de la guerre

Des conditions de vent et de mer qui lors de la dernière édition de la transat Jacques Vabre (2019) ont laissé un goût bien amer au skipper de Charal, englué dans le pot au noir au point de perdre la tête de la course.

“Dans ces zones, ce qui aide vraiment ce sont les photos satellites” indique le marin jusqu’ici bien malchanceux. “Les constellations de satellite sont plus importantes qu’il y a 10 ans. Le débit pour récupérer les photos est également bien meilleur, on a des photos de qualité quasiment comme à la maison”.  

“Lors de mon premier Vendée Globe, il y avait des photos toutes les 20 minutes aussi mais je ne les prenais pas parce que ça coutait une fortune” indique t-il.

Reste que parfois, le numérique est une question de sécurité et de survie. Ainsi en va t-il du radar de bord, instrument obligatoire et standardisé, qui doit équiper chaque navire. Mais pour le reste chacun fait à peu près comme il l’entend.

Des caméras pour affaler une voile

Le navire de classe Imoca Charal est par exemple équipé de trois caméras 3 caméras marines Garmin GC 200. L’utilisation de ces caméras habituellement utilisées par les plaisanciers pour les manoeuvres au port est ici détourné.

Leur objectif sont orientés vers le haut du mât. L’idée ? Permettre au navigant d’affaler depuis le cockpit sans mettre le nez dehors et regarder depuis un écran comment se comporte la voile.

La multitude de ces écrans, c’est d’ailleurs ce qui frappe l’observateur en tout premier lorsqu’il pénètre dans le poste de pilotage d’un Imoca.

Poste de navigation d’un navire de plaisance pour la pêche. L’écran du radar est là, tout comme la radio. Rien à voir avec la foule d’équipement électronique des navires de course.

Vue du cockpit de l’Imoca Charal. Le traceur est au centre, l’ordinateur de bord dans la cabine, et les écrans répétiteurs sur les côtés.

Certains écrans ne sont que des répétiteurs qui permettent d’avoir l’oeil sur les informations capitales à chaque instant. Une montre connectée peut aussi délivrer ces informations au poignet des skippers.

Le traceur lui est au contraire l’un des outils critiques. Il permet de planifier les itinéraires et des d’effectuer des calculs de route, via les cartes marines intégrées.

Cette classe de navire monocoque de course de 60 pieds est la formule 1 des mer. Entièrement fabriqué en carbone pour des raisons de légèreté, elle est équipé de part et d’autre du navire de foils qui permettent au delà d’une certaine vitesse de hisser la coque au dessus des flots, pour filer plus vite.

La quille tout comme le mât sont mobiles, pour optimiser les performances, et bardés de capteurs. Des pièces fragiles puisque c’est la perte du mat qui a justement provoqué l’abandon cette nuit de l’Imoca Bureau Vallée des navigants Louis Burton (3e du Vendée Globe) et Davy Beaudart.

Des polaires optimisées en temps réel via des capteurs

Ce sont ces capteurs qui permettent aux équipes d’ingénieur qui construisent ces navires de course d’améliorer aussi leur performance en temps réel.

Mais si les marins poussent trop le navire, ce sont ces mêmes capteurs et une alarme qui indiqueront qu’il faut revoir les ambitions à la baisse au risque de casser le bateau.

“Nous développons des polaires théoriques sur la base de l’architecture du bateau” indique Gauthier Lebec, de la team Charal.

Ensuite, une fois le bateau construit, il est optimisé en fonction des relevés des capteurs embarqués dans les différentes pièces de la machine.

“Nous réalisons des prises de données pendant 5 minutes, puis nous réglons la machine. Et ainsi de suite jusqu’à ce que les rectifications successives permettent de définir des polaires réelles” détaille Gauthier Lebec.

Ces polaires réelles – soit les indicateurs d’une navigation optimale – sont stockées dans l’ordinateur de bord. Elles y sont couplées avec les données météo quotidiennes afin de définir la route parfaite du navire.

“Les navigants, même s’il connaissent la route parfaite décrite par l’ordinateur de bord, ne suivent pas forcément ces recommandations” indique Gauthier Lebec. “En fonction de leur état de fatigue par exemple, l’ordinateur peut suggérer de changer de cap pour gagner quelques miles nautiques de vitesse. Mais le skipper peut estimer que cette manoeuvre va lui demander trop d’énergie. Il va alors préférer s’économiser et renonce à suivre les indications de la machine”.

Une attitude d’autant plus délicate que les navigateurs sur les bateaux de course de classe Imoca ne bénéficient pas d’assistance à terre. Ils sont donc véritablement seuls face à l’ordinateur.

L’ordinateur, le cerveau du navire

Un ordinateur qui est aussi le cerveau du navire. Chaque pièce critique du bateau embarque un capteur de charge filaire, qui lui transmet des données pour avertir des risques de charges de rupture.

Si les capteurs ne sont pas équipés de protocole de communication sans fil, c’est parce que la composition en carbone du bateau contraint fortement ce type de communication. “Le carbone bloque tout” indique Gauthier Lebec.

Enfin, l’ordinateur de bord abrite également le récent système de Oscar détection des OFNI (Objet Flottant Non identifié), nourrit à l’intelligence artificielle et à la vision par ordinateur.

L’IA d’Oscar tousse encore

Fixée en haut du mat, deux caméras thermiques et une caméra classique filment à 600 mètres en avant du bateau. Sur l’ordinateur de bord, une IA compare ces visuels avec sa base de connaissance pour reconnaître la présence d’éventuels OFNI, et alerter via l’ordinateur de bord les marins en cas de risque de mauvaise rencontre.

En cas de fortes vagues, la centrale inertielle du système Oscar lui permet de savoir dans quelle direction et avec quelle accélération le bateau se déplace. Pour stabiliser l’image, il utilise la détection d’horizon basée sur l’IA.

“Avec Oscar, il y a parfois des fausses détections, donc c’est problématique parce que ça se met à sonner pour rien” note cependant Jérémie Beyou. “Parfois au contraire, il rate des choses qui sont entre deux vagues ou entre deux eaux. Bref, c’est largement perfectible”.

“Alors oui si ça sonne en plein jour on va regarder ce qui est devant à la caméra pour déterminer si c’est effectivement un OFNI. Mais le problème c’est la nuit. Si ça sonne toutes les trente secondes, tu vas pas t’arrêter toutes les trente secondes. Donc le seul moyen c’est de ralentir ou de dévier sa course pour que si jamais on tape un truc on ne le tape pas trop fort”.

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