Tony, trois ans, la mort au bout du calvaire – Le Parisien

Les pompiers ont envahi l’appartement, poussé les meubles. Au 6e étage du 10, place des Argonautes, un immeuble social du quartier des Châtillons, à Reims (Marne), l’équipage s’affaire autour d’un petit corps inanimé, celui d’un garçonnet de 3 ans et demi prénommé Tony. En pleurs, sa jeune mère Caroline Letoile, qui a appelé les secours en prétextant une chute dans l’escalier, s’accroche encore à sa version. Les urgentistes font mine de l’écouter, mais ne sont pas dupes : l’enfant qu’ils s’échinent à maintenir en vie n’est que souffrance. Son corps est couvert d’hématomes, son visage boursouflé évoque celui d’un boxeur – il a le nez brisé, la lèvre fendue.

Transporté aux urgences pédiatriques, Tony est déclaré mort à 17h10, ce samedi 26 novembre 2016. L’autopsie confirme bientôt son calvaire : côtes cassées, lésions au cuir chevelu, au visage, aux bras, aux jambes et même aux parties génitales… Le garçonnet est décédé, dans d’atroces souffrances, des suites d’un éclatement de la rate et du pancréas datant de 48 heures.

La mère ne tarde pas à reconnaître son mensonge et à désigner le bourreau : Loïc Vantal, 24 ans, son nouveau compagnon, qui a fait de l’enfant son « souffre-douleur ». Jugé détenu à partir de ce mardi aux assises de la Marne, il encourt trente ans de réclusion pour coups mortels aggravés. Caroline Letoile, qui comparaît libre sous contrôle judiciaire, risque cinq ans de prison pour non-assistance à personne en danger. Décrite par les experts comme immature et sous emprise, elle avait sciemment couvert les agissements de Loïc Vantal, un homme déjà condamné sept fois pour violences et fraîchement sorti de prison.

Une voisine tente d’interpeller la mère

L’audience, très attendue par les associations de protection de l’enfance, devra pourtant répondre à cette question : comment une gamine de 19 ans a-t-elle pu berner son entourage, alors même que de nombreuses personnes ont été témoins de la descente aux enfers de Tony? Les déclarations dans la presse des voisins du couple avaient suscité l’indignation et, pour la première fois dans ce type d’affaires, la mise en examen de l’un d’eux. Jugé en octobre pour non-dénonciation de mauvais traitement, l’homme a été relaxé – le parquet a cependant fait appel. Mais bien d’autres auraient pu donner l’alerte.

Du propre aveu de la mère, Loïc Vantal, qui s’installe avec elle à la rentrée 2016, commence à malmener le garçonnet au bout d’une semaine. Dès septembre, Caroline G., une amie, l’entend traiter Tony de « pédale », de « bâtard », de « crasseux ». Une autre fois, parce que Tony refuse de manger, il lui assène une fessée si forte que l’enfant tombe à genoux.

Loïc Vantal encourt trente ans de prison pour coups mortels aggravés/DR
Loïc Vantal encourt trente ans de prison pour coups mortels aggravés/DR  

Au 10 place des Argonautes, les habitants n’en peuvent déjà plus de Loïc Vantal, ce caïd bruyant qui menace ceux qui osent lui faire une remarque. Les policiers interviennent bien au domicile, mais au sujet du tapage nocturne. Au milieu de ce raffut, certains voisins distinguent pourtant aussi les cris, les coups dans les murs, les pleurs de Tony. « Je te mets ta gueule dans ta pisse », hurle chaque matin Loïc Vantal. La voisine de palier, constatant un bleu au visage, tente d’interpeller la mère, qui élude.

«Tony a peur de ton copain»

Fin octobre, tout s’accélère. Lors d’un week-end passé chez lui, le père du garçonnet constate qu’il est couvert d’hématomes. Tony en désigne l’auteur : « Copain maman », dit-il, le regard triste. Le médecin de famille – qui nie aujourd’hui avoir ausculté l’enfant – lui conseille alors de l’amener aux urgences, ce qu’il ne fera pas. Mais la grand-mère paternelle, furieuse contre Caroline Letoile, lui demande des comptes : « C’est quoi tous ces bleus ? » interroge-t-elle dans un SMS. « Il est tombé à l’école. » « Tony a peur de ton copain », insiste-elle. « C’est pas vrai », nie Caroline Letoile qui, en retour, se met à la culpabiliser. Ni le père ni sa grand-mère paternelle ne reverront Tony.

Au même moment, Caroline G., elle aussi constate un « coquard ». « Je lui ai dit que son fils avait été battu », raconte-elle. La mère de Tony s’enferre dans son déni mais dès qu’elle a le dos tourné, le petit confirme que Loïc Vantal le frappe. « Je n’ai pas le droit de le dire », précise encore l’enfant. Caroline G. voit son état s’aggraver. Il boite, a tout le temps faim. À l’école aussi, on a remarqué que Tony claudique et porte des chaussures trop petites. Caroline Letoile s’engage à le faire voir par un médecin… mais annule le rendez-vous, sous la pression de Loïc Vantal.

Mi-novembre, la directrice de l’école fait intervenir l’infirmière de la PMI. « Il est tombé dans la cour de l’école », assure la mère au sujet des hématomes. Personne ne se souvient d’une telle chute, mais l’affaire, étrangement, en reste là. La propre mère de Caroline Letoile, avec qui elle échange quotidiennement, ne réagit pas. Mi-octobre, elle avait pourtant constaté que les jouets de Tony avaient tous disparu, que Loïc Vantal l’élevait « à la dure », le punissant sans raison.

Par SMS, elle s’enquiert régulièrement de l’état du petit. Caroline Letoile manie le vrai et le faux, se veut rassurante, dit avoir pris conseil auprès des urgences après une « gastro ». Le 19 novembre, une semaine avant la mort de Tony, elle rend visite à sa mère. Celle-ci voit un enfant mutique, les yeux cernés, qui a visiblement peur de Loïc Vantal. Elle voit bien un « reste de bleu », mais « rien de marquant », dira-t-elle.

Le garçon vole dans l’armoire, saigne du nez, vomit…

De retour place des Argonautes, Loïc Vantal se déchaîne dans un effrayant huis clos. Une semaine lors de laquelle pleuvent claques et coups de poing. Tony « vole dans l’armoire », saigne du nez et vomit… Caroline Letoile prétexte une gastro-entérite pour le déscolariser – explication dont se contente la directrice de l’école. À sa mère, elle ment effrontément, assurant qu’il « va beaucoup mieux », alors qu’il « ne tient plus debout ».

Lors d’un week-end passé chez lui, le père du garçonnet constate qu’il est couvert d’hématomes. Tony en désigne l’auteur : « Copain maman »/DR
Lors d’un week-end passé chez lui, le père du garçonnet constate qu’il est couvert d’hématomes. Tony en désigne l’auteur : « Copain maman »/DR  

Le samedi 26, elle lui demande finalement d’emmener Tony aux urgences, précisant être enfermée chez elle. Mais elle change d’avis et ne répond plus au téléphone. Loïc Vantal qui vient de la frapper parce qu’elle veut aller à l’hôpital, consent finalement à ce qu’elle appelle les pompiers à qui elle sert cette fable de la chute accidentelle.

Quand le frère de Caroline, envoyé par leur mère inquiète, arrive place des Argonautes, il est déjà trop tard. Voyant Tony agoniser sous ses yeux, le jeune homme se tourne vers Loïc Vantal, qui tente une dernière parade : « Je te jure, j’ai rien fait ». Il sera interpellé quelques minutes plus tard par la police. Le verdict est attendu vendredi soir.

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