Thibaud Elzière (eFounders) : « recruter de bons entrepreneurs est plus facile qu’il y a 8 ans »

Alors que la popularité des incubateurs croit en flèche, Thibaud Elzière a décidé de créer un modèle alternatif, un « startup studio », en 2011. Ce dernier vient avec une idée de startup et la soumet à des entrepreneurs triés sur le volet. Sur les 12 à 18 premiers mois de la vie des startups, eFounders agit comme « un troisième co-fondateur » du projet – pour reprendre les mots de Thibaud. Un moyen pour ces jeunes pousses de pouvoir faire avancer les choses plus efficacement, et de croitre plus rapidement.

De Fotolia, sa première startup (depuis rachetée par Adobe) jusqu’à ce jour, le récidiviste de l’entrepreneuriat se donne à cœur joie d’accompagner jusqu’à 5 nouveaux projets par an. Il nous livre aujourd’hui sa vision sur les qualités d’un bon entrepreneur, les levées de fonds et l’élaboration d’un MVP.

Presse-citron : eFounders vient d’atteindre un cap symbolique, celui du milliard d’euros de valorisation du portefeuille des startups qui ont été lancées. Tout d’abord, pourrais-tu nous dire quelles sont les spécificités de votre modèle et les raisons de votre succès ?

T.E. : Oui c’est une bonne chose de le rappeler : eFounders est un modèle de « Startup Studio ». L’idée est de se dire qu’au lieu de créer une seule boîte, on en créé plusieurs en parallèle. C’est un modèle qui nous a intéressé dès 2011, et on a décidé de prendre à revers les modèles existants comme les « venture leaders » comme la société Rocket Internet. On s’est dit que l’on voulait faire un peu la même chose – c’est-à-dire créer plusieurs boîtes en parallèle – mais avec une philosophie différente, car la leur nous dérangeait.

A partir de là, on a pris les choses à revers sur trois points essentiels : tout d’abord, quand nous observions que ces autres structures ne faisaient que « copier » des entreprises qui avaient déjà créé, on s’est accordé à privilégier des entreprises uniques et innovantes en essayant de créer des choses qui n’ont jamais été faites auparavant, ou bien de réinventer un modèle.

Privilégier des entreprises uniques et innovantes en essayant de créer des choses qui n’ont jamais été faites auparavant

Deuxième point, on s’est dit qu’on allait plutôt s’appuyer sur des entrepreneurs plutôt que des managers, ce qui s’oppose donc clairement au modèle des « ventures leaders ». De notre côté, on pense qu’il est beaucoup plus important de travailler avec des entrepreneurs qui arrivent très tôt dans le projet, de manière à avoir des gens avec une vision et cette qualité de résilience si particulière aux entrepreneurs.

Le troisième point – qui a certainement fait le succès d’eFounders – c’est notre volonté de vouloir rendre les startups autonomes. Nous sommes là pour lancer des boîtes et faire en sorte d’accélérer le processus en l’espace de 18 mois, de manière à construire un premier produit et construire une équipe. Notre but est qu’au bout de cette période, la startup puisse être opérationnellement et financièrement indépendante.

Aussi, le succès d’eFounders s’appuie sur notre spécialisation dans un seul domaine : nous avons pris la décision de nous « verticalier » plutôt que de créer des startups sur plein de segments différents. Notre nous sommes spécialisés les produits en SaaS (Software as a Service), un domaine assez large peut-être mais suffisamment ciblé pour que l’on puisse être au maximum compétent dans notre accompagnement – de par le réseau notamment.

eFounders equipe

© eFounders

Presse-citron : Je reviens sur ce que tu évoquais au sujet de la spécificité du modèle d’eFounders comparé aux autres concurrents. Quand on pense aux structures d’accompagnement, on pense généralement aux incubateurs et aux accélérateurs. Qu’est-ce qui vous distingue de ces structures ?

T.E. : Par rapport à un incubateur, les idées de startups chez eFounders naissent directement chez nous – c’est-à-dire que l’on n’est pas juste là pour accompagner des équipes qui viendraient avec leur projet. Nous voyons des entrepreneurs à qui nous présentons notre idée, et les entrepreneurs nous rejoignent sur une idée à laquelle nous avons pensé.

Deuxième point, nous sommes très actifs dans la création de l’entreprise, et nous agissons comme si nous étions comme un troisième co-fondateur. Généralement, nous nous associons avec un entrepreneur business et un entrepreneur tech, qui figurent comme les deux piliers de la startup. Nous de notre côté, nous apportons notre savoir-faire sur le produit, sur le design, sur le marketing mais également sur les étapes dans la création et la croissance de la startup – tout ce qu’il faut pour pouvoir faire les choses d’une meilleure manière et plus rapidement.

Presse-citron : Vous prenez donc l’accompagnement d’une façon différente. Mais possédez-vous des relations justement avec les incubateurs ?

T.E. : Ce n’est pas forcément incompatible avec notre modèle. Pour certains projets, nous avons décidé de les envoyer vers « Y Combinator » car il est pour nous un super incubateur très complémentaire à notre modèle : il permet en parallèle d’apporter une grande visibilité aux États-Unis. D’ailleurs, les cinq de nos startups que nous avons proposé à Y Combinator avaient toutes comme vocation à s’implanter sur le sol américain, notamment du fait de leur cible horizontale plus large. La sélection à l’entrée est drastique mais jusqu’à présent, nous avons toujours eu le succès escompté.

Presse-citron : Pour rebondir sur l’aspect sélectif, eFounders s’accorde aujourd’hui un tiers de son temps au travail de recrutement. Peux-tu nous donner le profil de l’entrepreneur type que vous pourriez potentiellement recruter dans une startup accompagnée par eFounders ?

T.E. : C’est une très bonne question. Nous dégageons effectivement un tiers de notre temps au travail de recrutement, que ce soit des entrepreneurs et des équipes pour nos startups. Il n’y a naturellement pas un type d’entrepreneur idéal, mais il est vrai que nous possédons une certaine préférence de profil qui correspond à eFounders.

Globalement, nous retenons trois principaux éléments. Le premier : nous recherchons que le fondateur soit « évangélique ». Autrement dit, il nous faut quelqu’un qui sache transmettre sa passion. Pas forcément un vendeur, mais quelqu’un qui puisse transmettre sa passion à son équipe, à ses clients, aux médias et aux investisseurs. Nous recherchons des personnes qui aient cette capacité et cette aura, qui font qu’on a envie de suivre cette personne.

Presse-citron : Excuse moi de te couper, mais j’imagine que tu fais également référence à ta propre expérience avec Fotolia ?

T.E. : Oui exactement. Avec Fotolia, l’idée de lancer une banque d’image de photos numérique à l’ère de l’argentique et dans un monde où les seuls appareils photos numériques faisaient 2 MPx, c’était compliqué. Il fallait donc arriver à déformer le spectre de la réalité et convaincre des personnes autour de toi qu’ils puissent croire en ton projet. La passion et la capacité à parler de son projet étaient importantes.

Donc finalement, nous recherchons quelqu’un qui a la tête dans les étoiles, mais en même temps qui ait les pieds sur terre. Il ne s’agit pas juste d’avoir un entrepreneur qui soit bon sur la communication de son idée et le partage de sa passion. Il faut derrière que cette personne-là devienne le CEO ou le CTO de cette startup et puisse lever de l’argent, définir une stratégie, etc. Il faut donc également qu’il soit structuré.

Nous recherchons quelqu’un qui a la tête dans les étoiles, mais en même temps une personne avec les pieds sur terre

Troisième point, on a besoin de personnes qui aiment le produit ; de personnes qui aient cet amour du perfectionnement à passer des heures sur des détails du produit, mais des détails qui sont indispensables.

Thibaud Elziere efounders

© Instagram / eFounders

Presse-citron : Dernière question sur l’aspect du recrutement. Est-ce compliqué de trouver ce genre de profils d’entrepreneurs en France ? Et est-ce que le caractère international de l’entreprise – le fait de recruter des entrepreneurs étrangers – est indispensable pour vous ?

T.E. : Et bien pas forcément. Nous avons très peu d’entrepreneurs qui ne sont pas francophones (soit français, soit belges). Honnêtement, depuis quelques années, on ressent un engouement pour l’entrepreneuriat en France. Il y a de plus en plus de très bons profils qui auraient à une époque rejoint des banques ou encore des sociétés de consulting, et qui aujourd’hui préfèrent entreprendre.

D’autre part, on constate également une grande maturité dans le web, qui fait que l’on retrouve des profils qui ont déjà eu une activité dans un domaine du numérique. La force d’eFounders est d’être de plus en plus connue, et de pouvoir ainsi attirer de plus en plus de ces profils-là. C’est plus facile aujourd’hui qu’il y a 8 ans de recruter de bons entrepreneurs.

Presse-citron : Sur la grande majorité des startups que vous avez accompagnées, la plupart des produits sont liés à des difficultés rencontrées dans un cadre professionnel ou personnel. Peux-tu nous détailler le processus depuis cette insatisfaction jusqu’au MVP ? Quelles sont les étapes clés pour définir son MVP ?

T.E. : Les premières idées que l’on a concrétisées sur eFounders sont nées de problèmes que l’on a rencontré sur Fotolia. J’ai toujours gardé en tête ces problèmes à résoudre et on a ainsi pu les mettre en œuvre avec eFounders. C’est peut-être d’ailleurs pour ça que j’ai eu envie de créer ce Startup Studio, car il me permettait de résoudre plusieurs problèmes dans un temps limité alors qu’avant je devais me focaliser sur une seule difficulté.

Pour en revenir à ta question, il n’existe pas aujourd’hui chez eFounders de processus très formalisé. Une fois que nous avons dégagé une idée, nous effectuons une phase de brainstorming. Si au bout de 2 mois, l’idée est toujours présente et que nous ne l’avons toujours pas laissée tomber, c’est certainement qu’elle possède plus de sens que les autres. A ce moment-là, ce que l’on fait, c’est que nous imaginons un premier aperçu de l’idée sur le papier afin de la matérialiser et la confronter à la réalité. Ensuite, nous réfléchissons aux vertus de l’idée, ce qui permettra de la démocratiser et lui permettre de faire sa place ou bien de remplacer un système ou un outil déjà existant auparavant.

A partir de ce moment-là, on pitch l’idée aux entrepreneurs avec les éléments constitués, qui sont largement suffisant pour convaincre quelqu’un à rejoindre le projet.

Presse-citron : A ce jour, les startups eFounders ont levé plus de 250 millions de dollars. Comment accompagnez-vous ces premiers tours de table ? Et comment mesurez-vous le succès d’une levée de fonds ?

T.E. Autant pour les levées en Série A, Série B, Série C et ainsi de suite, les boîtes sont généralement déjà autonomes puisqu’elles ne sont plus dans le cadre eFounders, autant pour la première levée de fonds nous avons une règle que nous respectons toujours : il s’agit de celle de ne jamais pitcher les projets avec les entrepreneurs face aux investisseurs. Si un fond investit dans une boîte, c’est qu’il  croit en le projet et la réalisation de l’équipe et de ces entrepreneurs. Nous les laissons autonomes sur ce point.

D’autre part, nous pouvons contribuer à la recherche d’investisseurs de par notre réseau en Europe et aux États-Unis, ainsi que pour évangéliser les projets en expliquant le rôle d’eFounders dans leur création. En tout cas, la levée de fonds en tant que telle se réalise de manière autonome par les entrepreneurs, nous souhaitons que ces investisseurs soient au clair sur le fait qu’ils investissent dans une startup à part entière, et non dans un projet d’eFounders.

Presse-citron : Maintenant que la barre du milliard de dollars de valorisation du portefeuille d’eFounders est dépassée, quelle est la prochaine étape ?

T.E. : D’abord, le but du jeu est de rester sur cette croissance que l’on a aujourd’hui, à savoir un revenu annuel récurrent (ARR) de 100 millions de dollars. Notre rythme de création de startup est de 4 à 5 projets par an – et nous continuons toujours à suivre ces startups même si elles deviennent par la suite indépendantes, notamment sur le recrutement ou l’investissement dans de nouveaux projets.

Mais en même temps, nous n’avons pas forcément envie d’augmenter le nombre de créations, pour ne pas tomber dans le côté industriel des lancements de startups. Nous réfléchissions plutôt à savoir comment réutiliser l’argent des sociétés que nous vendons pour créer quelque chose de plus grand. Nous réfléchissons par exemple à réinvestir cet argent dans d’autres sociétés – toujours dans le SaaS – pour créer un portefeuille plus grand. A terme, peut-être que l’avenir d’eFounders c’est à la fois des boîtes que nous créions nous-même ainsi que des investissements stratégiques dans des boîtes qui puissent être complémentaires dans la conception d’outils qui profiteront au travail de demain.

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