THD pour tous : gouvernemt et collectivités pas sur la même longueur d’onde
La France sera bel et bien au rendez-vous de la fibre. Tel est le constat posé par les professionnels du secteur et les représentants des collectivités territoriales à l’issue de la dernière édition de l’Université d’été du THD, qui s’est déroulé la semaine dernière à l’initiative d’Avicca, de l’Infranum et d’IdealCo.
“Globalement, le bilan est positif. Nous dépasserons les 4 millions de prises raccordables construites en 2019, c’est une certitude aujourd’hui au vu des chiffres publiés par l’Arcep, selon lesquels plus de 2 millions de prises ont été construites au cours des deux premiers trimestres 2019”, s’est ainsi réjoui Etienne Dugas, le président d’InfraNum, pour qui l’objectif de 80 % de prises à l’échéance 2022 sera bien tenu. “C’était l’objectif premier du plan France THD lors de sa conception initiale, donc tout fonctionne bien”, s’est félicité ce dernier.
En se penchant de plus près sur les chiffres livrés par l’Arcep, il apparait en effet que les acteurs du secteur ont bien de quoi se féliciter au regard de l’engouement suscité par le FttH. Tous opérateurs confondus, la France se place ainsi dans le peloton de tête des pays européens en terme de déploiement fibre, aux côtés de l’Espagne et du Portugal. Selon les derniers résultats de l’observatoire du haut et très haut débit de l’Arcep, 42 % des locaux français sont aujourd’hui couverts par le FttH, soit 15,6 millions de locaux sur un total de 36,3 millions, pour 5,8 millions d’abonnés. La donne s’avère encore plus réjouissante si l’on se fie uniquement au déploiement du très haut débit, qui est aujourd’hui disponible dans 59 % des locaux français, soit 21,6 millions de locaux, pour un effectif d’abonnés à des offres à très haut débit de 10 millions de foyers.
De quoi susciter l’engouement de l’Arcep et de son président Sébastien Soriano. “Sur le fixe, on est bien engagé aujourd’hui dans le déploiement de la fibre et du très haut débit”, a fait savoir ce dernier lors d’une intervention tenue à l’occasion de cette université d’été. Le président du gendarme des télécoms n’a en effet pas boudé son plaisir, se félicitant de voir que le secteur se “mobilise massivement”, avec une augmentation de 40 % de l’investissement total consenti par ses acteurs en quatre ans. Alors que les autorités se sont engagées, dans le cadre du plan France THD, à ce que la France atteigne le bon débit pour tous (c’est-à-dire un débit descendant théorique supérieur ou égal à 8 Mbit/s) en 2020 et le très haut débit (c’est-à-dire un débit descendant théorique supérieur ou égal à 30 Mbits/s) pour 80 % des français en 2022, le président de l’Arcep a tenu à saluer l’action des acteurs du secteur à l’heure d’aborder ces échéances décisives.
“Un projet qui sera plutôt plus celui de la décennie que celui du siècle”, se félicite Sébastien Soriano
“Il y a une machine à produire de la fibre qui est là et qui délivre autant que le plan Delta LT de France Télécom lancé [en 1975, NDLR] pour moderniser le réseau télécom français. On y est, elle est là cette mobilisation et c’est la principale bonne nouvelle. L’autre bonne nouvelle, c’est que cette infrastructure qui se déploie, elle intéresse les gens. Nous sommes heureux de voir les abonnements en très haut débit atteindre des niveaux significatifs. Il y a quelques temps, on se disait qu’il faudrait vingt ans pour que la bascule s’opère, ce délai est en train de se réduire si bien qu’on s’inscrit aujourd’hui dans un projet qui sera plutôt plus celui de la décennie que celui du siècle”, s’est-il félicité devant les acteurs français de l’écosystème réunis dans la région des Hauts de France.
De là à voir l’ensemble du territoire équipé à 100 % en 2025 comme s’y sont engagées les autorités dans le cadre du plan européen de la société du gibabit (qui prévoit de relier tous les pôles d’activité sociaux-économiques à une infrastructure permettant un débit d’un gigabit par seconde d’ici à 2025), il n’y a qu’un pas que le président du gendarme des télécoms n’a pas souhaité franchir.
Ce dernier a en effet tenu à se montrer sous un jour plus prudent dans la perspective de l’après 2022, regrettant l’absence de “jalons” pour l’équipement du territoire en infrastructures numériques passées les échéances du plan France THD. Car si les deux objectifs initiaux de ce plan semblent aujourd’hui atteignables, le président de l’Arcep milite désormais pour le développement d’un véritable plan de long terme sur le sujet. “Nous n’avons pas aujourd’hui de vision cible pour la France en infrastructure en 2025. On va avancer sur la 5G dans le cadre des attributions de fréquences, mais en ce qui concerne le fixe, il n’y a pas aujourd’hui de plan qui prévoit effectivement la vision en 2025″, a indiqué ce dernier, pour qui il “serait temps de s’en soucier car ce n’est jamais que dans six ans”.
Une position partagée par la députée LREM Christine Hennion. “A horizon 2022, la dynamique est bonne avec plus de quatre millions de prises par an. On se rend toutefois compte que si l’objectif du très haut débit sera atteint grâce à l’appui d’autres technologies, il n’y aura pas la fibre partout malgré un plan à 3,3 milliards d’euros presque totalement engagé et un reste à faire évalué à quelques centaines de millions d’euros”, a-t-elle indiqué. Alors que les autorités ne font pas mystère de leur volonté d’équiper un maximum, voire la totalité, des locaux français en fibre d’ici à 2025, les professionnels du secteur et les représentants des collectivités n’ont pas manqué de dénoncer l’absence de clarté de l’exécutif au sujet de ce dernier objectif.
Le retour du guichet, une option loin d’être acquise pour les collectivités
Et de réclamer le retour du guichet de financement du très haut débit alors que le “reste à faire” évoqué par la parlementaire a été chiffré par ces derniers à environ trois millions de prises nécessitant un besoin de financement d’Etat de l’ordre de 600 à 700 millions d’euros. “Si on veut atteindre le 100 % d’équipement du territoire en fibre, il faut aujourd’hui considérer que la réouverture du guichet de financement du très haut débit s’impose comme la seule solution crédible pour atteindre cet objectif”, a ainsi relevé le sénateur de l’Ain Patrick Chaize, par ailleurs président de l’Avicca, en regrettant le manque d’homogénéité territoriale prévu par le plan France THD qui conduira certaines collectivités à être équipées en FttH à 100 % d’ici à 2025, tandis que d’autres ne le seront qu’à 40 ou 50 % à cette date.
“Cela concerne 25 départements”, a reconnu le ministre Julien Denormandie, chargé de cet épineux dossier, en défendant le principe du recours au financement privé via les procédures AMEL pour arriver à fibrer l’ensemble du territoire d’ici à 2025. “On a aujourd’hui pas d’autre solution technique pour atteindre la société du gigabit que le FttH. La question qui se pose aujourd’hui est celle du chemin à parcourir pour atteindre cet objectif”, a-t-il ainsi expliqué, se félicitant qu'”aujourd’hui, ce sont près de 1,3 millions de prises qui ont pu être financées grâce au système des AMEL”.
S’il a tenu à défendre ce dispositif, moins onéreux pour les finances publiques mais qui canalise pourtant la frustration des représentants de collectivités rurales, le membre du gouvernement n’a pour autant pas fermé la porte à un accompagnement de certains territoires “laissés pour compte” par les autorités, que ce soit via la réouverture du guichet de financement du très haut débit ou par d’autres moyens. “On a un objectif qui n’est pas remis en cause, celui de la société du FttH en 2025”, a-t-il réaffirmé, soulignant que les territoires concernés disposeront “d’un accompagnement nécessaire du gouvernement”, sans toutefois préciser sous quelle forme.
Les négociations promettent donc d’être rudes entre les représentants des collectivités, les industriels du secteur et le gouvernement. Et si, comme l’a glissé le membre du gouvernement, “ce serait plus simple pour tout le monde qu’on annonce 600 millions d’euros de financement public, sauf pour le contribuable”, la porte semble encore ouverte à de telles négociations, dont l’issue permettra peut-être à la France de rentrer, avant d’autres voisins européens, de plain-pied dans cette fameuse société du gigabit qui fait aujourd’hui tant rêver.