Tensions entre Iran et États-Unis: quelles conséquences sur l’Irak? – BFMTV.COM

Cela fait maintenant plusieurs semaines que la crise est latente entre l’Iran et les États-Unis avec, comme point d’orgue de ces tensions, le bombardement la nuit passée par Téhéran de bases militaires abritant des soldats américains en Irak, en représailles de la mort du général Qassem Soleimani, tué par des frappes américaines le 3 janvier passé.

Pour autant, d’autres événements récents laissaient présager d’une telle issue. Le 31 décembre dernier, une foule en colère composée de plusieurs milliers de manifestants avait pris d’assaut l’ambassade américaine à Bagdad, brûlant des drapeaux, arrachant des caméras de surveillance et criant “Mort à l’Amérique.” Cette attaque survenait après la mort de 25 Irakiens dans des raids américains plus tôt dans le mois.

De fait, il semble désormais clair que l’affrontement entre Iraniens et Américains a pour théâtre l’Irak, pays frontalier de l’Iran, en proie depuis plusieurs semaines à une forte crise politique et sociale et qui pourrait, en cas d’escalade des violences entre les deux pays, devenir la victime collatérale de cet affrontement à distance

Une société divisée

Afin de comprendre les conséquences directes que pourrait avoir la situation actuelle sur l’Irak, il convient de remonter à quelques semaines en arrière. En les mois d’octobre et novembre, plusieurs centaines de personnes avaient été tuées dans des manifestations réclamant “la chute du régime” et des attaques contre des QG de partis.

Quelques jours plus tard, la crise politique était à son summum et le Premier ministre Adel Abdel Mahdi était contraint d’annoncer sa démission, sous la pression du grand ayatollah Ali Al-Sistani, un Iranien influent dans le pays depuis la chute de la dictature. 

“C’était déjà très compliqué auparavant car depuis début octobre 2019, il y a eu des manifestations contre le gouvernement irakien allant jusqu’à critiquer ouvertement le système confessionnel mis en place après 2003 et la corruption endémique qui lui était associé”, détaille David Rigoulet-Roze, spécialiste du Moyen-Orient et de l’Irak, contacté par BFMTV.com. 

L’Iran de plus en plus pointé du doigt?

“Depuis la chute de Saddam Hussein, l’Iran et les États-Unis sont les “parrains” de l’Irak – tout en étant des adversaires déclarés – pays dont le système politique confessionnalisé à majorité chiite a offert une opportunité à l’Iran pour infiltrer tous les rouages du système irakien, au point d’être en mesure de pouvoir directement peser sur la nomination  du tout nouveau Premier ministre”, complète encore David Rigoulet-Roze.  

Ainsi, et malgré l’annonce erronée du départ des troupes américaines du pays, l’Irak devrait se retrouver dans une situation quasi-inextricable. Si les manifestants étaient dans un premier temps en désaccord avec l’interventionnisme iranien, la grogne s’est inversée, et l’assaut sur l’ambassade américaine est le symbole d’une société fragmentée, qui pourrait voler en éclat en cas de nouveaux événements violents.

“Une critique de l’ingérence iranienne s’est manifestée, qui a surpris à Téhéran, car cette critique émanait notamment des chiites Irakiens censés être très proches de leurs coreligionnaitres iraniens. En arrière-plan, il y avait néanmoins également une critique de l’ingérence américaine qui n’a pas manqué d’être instrumentalisée par les partis pro-iraniens dans le prolongement de l’élimination du général Soleimani par les Américains”, détaille encore le spécialiste.

L’ingérence iranienne en Irak a d’ailleurs été dénoncée par différentes organisations non gouvernementales. En mai dernier, le média Contrepoints faisait état d’une étude conjointe de l’European Iraqi Freedom Association (EIFA) et de l’International Committee in Search of Justice (ISJ), qui pointait du doigt le “rôle destructeur” de l’Iran en Irak, et dans de nombreux autres pays. 

La peur de l’embargo américain 

La situation actuelle a logiquement réveillé des peurs au sein de la population irakienne. Récemment, Donald Trump avait promis au pays des “sanctions comme ils n’en ont jamais vu”, et l’embargo international imposé à l’Irak de Saddam Hussein est revenu hanter les esprits, et avec lui les douloureux souvenirs de privations et de disette.

“Si les Etats-Unis imposent des sanctions à l’Irak, le dinar plongera et on retournera dans le passé, à l’époque de l’embargo”, s’inquiète déjà Hicham Abbas, interrogé par l’AFP dans une rue commerçante du centre de Bagdad.

Dimanche, le Parlement réclamait l’expulsion au plus vite des troupes américaines d’Irak pour dénoncer l’assassinat sur son sol du général iranien Qassem Soleimani, mais aussi de l’homme de Téhéran en Irak, Abou Mehdi al-Mouhandis.

“Nous respectons votre décision”, a répondu lundi soir l’armée américaine, dans une lettre officielle, annonçant “repositionner” les forces de la coalition antijihadiste dans le but d'”un retrait de l’Irak de manière sécurisée et efficace.”

L’ombre de Daesh

Dimanche 5 janvier, la coalition internationale anti-Daesh a annoncé la suspension de ses opérations en Irak et de l’entraînement des forces irakiennes car elle est “désormais totalement dédiée à protéger les bases irakiennes qui accueillent (ses) troupes.”

De fait, cette situation de “vide”pourrait profiter à l’organisation terroriste pour reprendre forme dans la région, bien que Donald Trump ait annoncé la disparition totale du Califat. David Rigoulet-Roze estime pour sa part que “le chaos pourrait profiter à un tas de réseaux dormants, en particulier dans la région de Mossoul”.

Comme le fait valoir de son côté le quotidien 20 Minutes, la résurgence de Daesh pourrait ainsi passer par le nombre de plus en plus réduit de personnes capables de monter des stratégies de lutte contre le groupe terroriste. 

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