TÉMOIGNAGES. “Je regrette mon choix” : ces lycéens bloqués dans leurs vœux Parcoursup à cause de l’abandon des – franceinfo

Depuis la réforme du lycée, des élèves de première et de terminale abandonnent massivement les mathématiques. Ce qui pose problème au moment des vœux sur Parcoursup, dont les inscriptions débutent ce mercredi.

Quand la réforme du lycée ferme des portes vers le supérieur. Dès mercredi 17 janvier, les élèves de terminale peuvent commencer à déposer leurs vœux de poursuite d’études sur le site Parcoursup. Cette première à phase de formulation des vœux dure jusqu’au 9 mars. Mais pour de nombreux lycéens, ce premier choix est limité notamment pour ceux qui ont abandonné les mathématiques en première et en terminale. 

>> Formations, transparence, calendrier… Quelles sont les nouveautés de Parcoursup, dont les inscriptions débutent mercredi ?

Francella, une élève de Terminale rencontrée dans les allées d’un salon post-bac à Paris, souhaite s’orienter vers une double licence en droit et en économie. Mais pour cette lycéenne, le constat est sans appel. “Je suis un peu bloquée parce que je n’ai plus du tout un niveau correct en maths.” Et pour cause : Francella ne fait plus de maths depuis la Seconde. Pour mieux comprendre, depuis 2019, la réforme du lycée général a mis fin aux séries ES, L et le S. Il y a à la place, des spécialités, parmi elles, les maths.

La lycéenne a choisi trois autres spécialités : l’anglais, la géopolitique et les SES (sciences économiques et sociales). Sur le papier, ces matières peuvent l’aider à obtenir ce qu’elle vise : la double licence droit-économie. Mais pour y accéder, les mathématiques sont aussi indispensables. “J’ai parlé avec des étudiants et des professeurs des universités concernées et ils m’ont dit que ça n’allait pas marcher”, explique-t-elle. “Ça ne sert à rien d’essayer en fait. Du coup, je suis obligée de me contenter uniquement du droit”, dit-elle déçue.

“Je regrette mon choix fait deux ans auparavant.”

Francella, élève de Terminale

à franceinfo

Cette double licence est notamment possible à Paris 1 Panthéon-Sorbonne. C’est l’une des licences les plus sélectives puisque seulement 2% des candidats sont admis. Il y a 60 places pour 3 000 postulants. Les lycéens qui n’ont pas choisi les mathématiques ne sont pas prioritaires. “Pour celui qui n’a pas fait de maths depuis la seconde, qui n’a pas progressé, explique Laurent Hélic, conseiller d’orientation à Paris 1 Panthéon-Sorbonne, aborder cette matière, c’est pas leur rendre service si on les accepte”. “Ce qui se passe avec l’enseignement de l’économie à l’université, c’est qu’on est sur une approche très mathématique, très gouvernée par la finance, la modélisation”, souligne-t-il. “L’outil mathématique est omniprésent.” 

“Ce problème des maths est une source d’échecs pour nombre d’étudiants, donc cela fait partie des critères déterminants de sélection.”

Laurent Hélic, conseiller d’orientation Paris 1 Panthéon-Sorbonne

à franceinfo

C’est ainsi écrit noir sur blanc sur la fiche présentant cette double licence sur la plateforme Parcoursup : “Forte spécialisation en maths” requise, ainsi qu’une mention “Bien” minimum au bac. 

Aujourd’hui, près d’un élève de Terminale sur deux, 45% précisément, n’ont suivi ni la spécialité (6 heures par semaine), ni l’option maths (3 heures) durant l’année scolaire 2021-2022, selon les derniers chiffres du ministère de l’Éducation. Ils sont trois fois plus nombreux qu’avant la réforme du lycée : 170 000 lycéens de Terminale contre 55 000 il y a quatre ans. Il s’agissait, à cette époque, des Terminale Littéraire qui ne prenaient pas l’option maths.

Comme pour la double licence droit-économie de la Sorbonne, l’absence de mathématiques est rédhibitoire pour certaines licences dans les facs, ainsi que dans les écoles d’ingénieurs, d’informatique ou encore les prépas scientifiques. Mais de nombreuses formations se sont adaptées à la réforme. “Ce n’est pas rédhibitoire dans mon école, affirme Patrick Lopez, le directeur de la formation de l’École supérieure des techniques de biologie appliquée (ESTBA). Nous sommes bien conscients des conséquences de la réforme du lycée.” Le directeur de formation précise tout de même que s’il y a “une possibilité de se raccrocher aux branches, cela reste un vrai challenge”.

“C’est comme pour la construction d’une maison, un socle est nécessaire pour que la maison tienne. Les maths font partie de ces matières essentielles pour construire une formation dans le domaine scientifique.”

Patrick Lopez, directeur de l’ETSTBA

à franceinfo

À l’ESTBA, la formation sélective priorise plutôt les Terminales qui ont continué de faire des maths, mais n’exclue pas totalement ceux qui ont abandonné. “Si on ne les apprend pas à un moment ou un autre, les maths vont venir vers vous de toute façon, note Patrick Lopez. Donc il faut apprendre à les aimer.” 

Pour les lycéens qui n’ont pas choisi de mathématiques, d’autres filières leur sont aujourd’hui fermées. C’est le cas des prépas économiques et commerciales. Toutes exigent un bon niveau dans la matière. Pour Philippe, professeur de maths dans une de ces prépas commerce à Paris, ces lycéens sans mathématiques, “c’est plutôt l’exception que la règle”. Dans ces formations, les maths sont essentiels, selon le professeur. “Il est très difficile de rattraper des années où l’on n’en a pas pratiqué, assure-t-il. Contrairement aux lettres, à l’histoire, ou à l’économie, “c’est totalement impossible en maths”. 

“Prenez la spécialité mathématiques ou au moins l’option en Terminale. Ne vous fermez pas de portes !”

Philippe, professeur de maths dans une classe préparatoire aux écoles de commerce à Paris

à franceinfo

À la rentrée 2021, les classes préparatoires économiques et commerciales ont accueilli 10% d’étudiants en moins par rapport à l’année précédente. Ce recul est attribué au succès grandissant des parcours directement accessibles après le Bac dans les écoles de commerce, mais aussi à la réforme du lycée. Pour Philippe, cette disparition des séries et la mise en place des spécialités a été “vraiment la catastrophe”. “Des élèves de Seconde se sont censurés, pensant qu’ils étaient mauvais en maths, soupire le professeur. Ils n’ont pas pris la spécialité, ni l’enseignement optionnel”. Selon lui, les filles en particulier ont choisi d’abandonner les maths “alors qu’elles n’étaient pas si mauvaises que ça”. “Elles se sont censurées sur une matière considérée comme difficile.”  

Ce désamour est, en effet, encore plus marqué chez les filles que chez les garçons. Chez ces lycéennes, 54%, n’en faisait plus du tout en Terminale durant l’année scolaire 2021-2022, contre 33%, des garçons.

La donne devrait changer dès la prochaine rentrée. La matière fait son retour dans le tronc commun avec une heure et demie par semaine pour tous les élèves de première. L’objectif est ensuite que beaucoup enchaînent sur l’option maths en Terminale. Pour Philippe, ce premier pas, reste néanmoins insuffisant pour accéder à certaines formations. “Faire 1h30 par semaine ou rien, c’est la même chose. Tant qu’on n’aura pas trois heures dans le tronc commun, on ne changera rien.”

Autre son de cloche du côté du gouvernement. “Le ministre Pap Ndiaye donne tout de même une dynamique avec ce retour des maths dans le tronc commun”, nuance de son côté la ministre de l’Enseignement supérieur Sylvie Retailleau. La ministre précise cependant “qu’à un moment donné, à l’impossible, nul n’est tenu”. “Quand on est dans une filière scientifique, il faut un niveau minimum en mathématiques. Et le supérieur ne peut pas à lui seul mener l’adaptation au manque de prérequis.”  

Les écoles de commerce et d’ingénieurs, notamment, ont mis en place des modules de rattrapage en début de cursus, à destination des néo-étudiants qui ne font plus de mathématiques depuis la seconde ou la Première. “Même si on veut travailler dans les ressources humaines, on doit faire un peu de comptabilité, de calculs, de statistiques”, explique Marika Garrel, directrice du Bachelor Management de l’école Audencia, à Nantes. Certains parcours dans ces écoles, davantage axés sur l’international ou les langues, s’adressent aussi spécifiquement aux profils non-matheux. En revanche, les parcours post-prépas scientifiques ou économiques et commerciales ne leur sont pas accessibles.

Alors, il faut agir avant le choix des spécialités, en fin de seconde, créer des vocations, donner l’envie de prendre, non pas l’option, mais la “spé” maths au lycée… Surtout chez les filles. L’association Elles Bougent et ses 7 500 marraines, des ingénieures pour l’essentiel, vont justement dans les établissements scolaires, collèges et lycées, raconter leur parcours. “Montrer par l’exemple que c’est possible”, insiste Sabine Lunel-Suzanne, présidente de l’association. “Les mathématiques doivent être une matière qu’on a envie de prendre, et pas seulement par stratégie”, affirme-t-elle. L’objectif est de “faire aimer le plus tôt possible les métiers d’ingénieur, de technicienne, aux jeunes”. “Nos marraines, au lycée, n’avaient pas toutes 18 ou 20 de moyenne en maths”, déclare la présidente de l’association. “Elles n’étaient pas toutes nées pour faire des études scientifiques. Et pour autant, cela ne les a pas empêchées de réussir”.

“Nos témoignages permettent aux jeunes filles de se projeter. Et de se dire demain, si j’ai envie de faire ce métier, allez ! Je me force, je garde les maths, et j’y vais.”

Sabine Lunel-Suzanne, présidente d’Elles Bougent

à franceinfo

D’autant qu’il y a de nombreux débouchés après les écoles d’ingénieurs, et que les industries ont bien du mal à recruter en ce moment. En particulier dans la cybersécurité, le traitement des données ou encore l’intelligence artificielle. “Le vivier s’est déjà réduit et cela a des effets dévastateurs”, selon Amel Kefif, directrice générale d’Elles Bougent. Même si pour l’instant, les écoles d’ingénieurs connaissent une légère croissance de leurs effectifs, tous parcours confondus, “bientôt la tendance va s’inverser”, estime-t-elle. “Moins de diplômés sortiront des écoles. Ce sera autant d’ingénieurs en moins sur le marché du travail, et cela aura à terme des effets sur notre économie, nos industries.” 

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