Soldats tués au Mali : Barkhane, mission impossible pour l’armée française ? – Le Parisien

« J’ai jamais vu un coin aussi pourri. » C’était il y a deux semaines. Le constat amer d’un soldat français alors que nous suivions une mission de la force Barkhane dans le Liptako-Gourma. Collines désolées, arbustes tranchants, scorpions et sables mouvants… C’est dans ces terres reculées et inhospitalières, entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger, que les djihadistes de l’Etat islamique au Grand Sahara (EIGS) ont établi leur sanctuaire.

Et c’est dans ce théâtre de guerre si complexe que 13 de ses compagnons d’arme sont morts lundi soir, dans la collision de deux hélicoptères.

VIDÉO. 13 militaires français morts au Mali dans un accident d’hélicoptère

Cette zone – celle dite « des trois frontières » – est dans le viseur de la force Barkhane depuis la fin 2017. Cela n’a pas toujours été le cas : le terrain de chasse des djihadistes est fluctuant, leur périmètre mouvant. Dans ces plages sans fin de désert ocre, les « groupes armés terroristes » – « GAT » dans le jargon militaire – se sont mis à essaimer du nord vers le centre du Mali, puis plus au sud, vers le Burkina Faso et le Niger.

4 500 soldats déployés sur cinq pays du Sahel

Dans le même temps, après le déclenchement de « Serval » en janvier 2013 pour repousser l’offensive de djihadistes sur la capitale malienne, l’opération a changé de dimension. En 2014, « Serval » est devenue « Barkhane », avec 4 500 soldats déployés sur cinq pays du Sahel (Mauritanie, Mali, Niger, Burkina Faso, Tchad). L’équivalent d’un territoire grand comme l’Union européenne!

Ils tentent comme ils peuvent d’enrayer la menace sécuritaire que représentent ces terroristes, dont certains semblent vouloir établir un califat, comme ont tenté de le faire en leur temps leurs homologues de Daech, en Syrie et en Irak. Il s’agit aussi de former des armées partenaires, de mettre sur pied une force commune à ces pays, le « G5 Sahel », qui est encore très loin d’être autonome. La mission que s’est fixée la France est d’autant plus épineuse que les Etats de la région sont faibles, les armées sous équipées, sous entraînées, et elles-mêmes ciblées par des terroristes acharnés au combat.

Ces derniers sont aussi déterminés qu’habitués aux rudes conditions de vie dans le désert. Le plus souvent combattant sans casques ni gilets pare-balles, ils sont prêts à se sacrifier au nom d’Allah. Ils maîtrisent parfaitement ce terrain compliqué, jouent à domicile sur ces collines pelées. Ils ont aussi démontré leur capacité à recruter, à rétribuer des locaux en échange d’informations susceptibles de les aider. Une forme de « soft power » (NDLR : influence douce), selon l’expression d’un gradé sur place, contre laquelle il est très difficile de lutter, malgré les nombreuses opérations « civilo-militaires » de la France pour appuyer des initiatives de développement dans ces pays si précaires.

Un sentiment anti-Français

Depuis plusieurs semaines, les djihadistes infligent de très lourdes pertes aux armées maliennes et burkinabées. Les populations locales sont désabusées. Profondément lassées par ces guerres, déçues par des Etats fragiles à la peine face aux djihadistes.

Beaucoup sont en colère aussi contre la présence de l’ancienne puissance coloniale. Au Mali – où pourtant François Hollande, père de l’opération Serval, avait été fêté en héros lors de sa visite en 2013 – comme au Burkina Faso, un sentiment anti-Français s’est instillé dans les cœurs… « Je pense malheureusement qu’aujourd’hui, les conditions d’une extension de la déstabilisation de la zone sont réunies », a constaté le chef d’état-major de l’armée, le général Lecointre, lors d’une audition en juin à l’Assemblée nationale.

Les soldats de Barkhane ont, c’est indéniable, de meilleurs équipements, une armée d’experts et une aviation de chasse précieuse pour mettre en déroute les djihadistes qui ont, dixit un représentant français sur place, « une peur bleue des hélicoptères » contre lesquels ils ne peuvent pas lutter. Les difficultés n’en sont pas moins nombreuses. Les matériels pâtissent durement du sable et de la chaleur. Éreintants pour les militaires aussi.

VIDÉO. Dans l’enfer d’un sanctuaire djihadiste avec les soldats français

La ministre des Armées évoquait en septembre, sur les ondes d’Europe 1, les « blindés usés », ayant « beaucoup vécu, notamment au Sahel, dans des conditions très abrasives. » Il y a aussi les « élongations » dont parlent les officiers, ces centaines de kilomètres de distance à parcourir, au sol ou dans les airs, pour parvenir sur des cibles très difficiles à éliminer. « On se dit des fois que c’est un peu un bourbier, nous confiait sur place un commando parachutiste. En même temps, on n’a pas le choix. Il faut bien tuer ces mecs, même si on risque nos vies. »

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