Sibeth Ndiaye veut relancer le débat sur les statistiques ethniques – Le Parisien

En plein débat sur le racisme aux Etats-Unis après la mort de George Floyd et les manifestations en France, Sibeth Ndiaye, la porte-parole du gouvernement veut rouvrir le débat sur les statistiques ethniques. « Le problème du racisme en France n’est pas réglé, lance-t-elle dans une tribune dans Le Monde. Et d’ajouter : « mais nous pouvons le faire refluer au prix d’un combat inlassable, économique et social, démocratique et républicain, qui doit redevenir l’honneur de la France. Osons débattre publiquement de certains sujets hier encore discutés, aujourd’hui devenus tabous, sans sombrer dans les habituels procès d’intention. »

En racontant son parcours, elle parle de son expérience du « racisme ordinaire » ou plus « exactement des racismes ordinaires ». Avec « ceux qui ouvertement se défient de vous parce que vous êtes Noire et ceux qui croient avoir dépassé tous les préjugés, mais les nourrissent encore sans le savoir, presque sans y penser. Mais ce racisme-là, qu’il soit explicite ou impensé, n’était jamais validé par la société ni par les institutions françaises ».

« Je suivais avec intérêt tous les débats des années 2000 sur la discrimination positive, sur la visibilité des minorités, sur les quotas, sur les statistiques ethniques… Tout cela était difficile, souvent ambigu, parfois contre-productif, mais relevait de la même préoccupation : ne pas ajouter à la difficulté sociale une difficulté raciale, et dépasser les préjugés raciaux par la réussite sociale. Cette préoccupation animait la gauche, mais n’était pas indifférente à certains cercles de droite progressiste, qui promouvaient, par exemple, le CV anonyme », reprend-elle.

Un débat « non plus racial, mais culturel et identitaire »

Pourtant, ce « combat civil à la française », s’est, selon elle, peu à peu effrité. « À droite, la question de la discrimination et de ses effets corrosifs sur la société a été supplantée par la question de l’islam. Cette nouvelle obsession a rendu le débat non plus racial, mais culturel et identitaire. Au fond, le rejet de l’étranger n’était plus le fait de sa couleur de peau, mais de sa religion. » Avec à la clé un « beau syllogisme » : « les Noirs et les Arabes sont souvent musulmans, or l’islam n’est pas compatible avec la République … Donc les Noirs et les Arabes ne seraient pas compatibles avec la République ».

Selon elle, « pris en étau, malmené, dénoncé, l’universalisme républicain à la française s’est effacé des consciences et est apparu incapable de répondre à l’insécurité culturelle des uns comme à la souffrance raciale des autres. C’est cet effacement que nous payons aujourd’hui, et nous le payons très cher. Si nous laissions le terrain aux extrêmes, à leurs concepts, à leur vision, alors nous acterions la fragmentation de la France en archipel. Ce n’est pas cela que j’espérais en devenant française. Ce n’est pas pour cela que je me suis engagée en politique », ajoute-t-elle.

Sibeth Ndiaye affirme avoir « la conviction qu’il nous faut retrouver le sens de l’universalisme français. Pour que cet universalisme vive et prospère, nous ne devons pas hésiter à nommer les choses, à dire qu’une couleur de peau n’est pas neutre, qu’un nom ou un prénom stigmatise ».

Selon elle, le chemin qui doit être fait doit reposer sur la confrontation des mémoires. « Nous pourrons y arriver si nous confrontons nos mémoires en faisant confluer les histoires sans les opposer : ce que j’ai appris de la colonisation, à l’école, au Sénégal, devrait pouvoir se conjuguer avec ce que j’ai appris en France de la décolonisation. Nous pouvons en unissant les deux faces du tableau, avec l’aide de nos historiens, créer un récit partagé permettant de dépasser les clivages. »

Un débat explosif déjà relancé par Manuel Valls

Et puis, il y a ce qui se passe sur le terrain. « Nous devons aussi nous reposer la question de la représentativité des personnes de couleur dans la vie publique, politique, économique et culturelle de notre pays. Nous devons revenir avec force aux outils de lutte contre les discriminations raciales sans les confondre avec les moyens de lutter contre la discrimination sociale. »

Selon elle, il faut relancer le débat de « manière apaisée et constructive » autour des statistiques ethniques. « Nous avons fait de l’universalisme le fondement de nos lois, mais, à ne pas pouvoir mesurer et regarder la réalité telle qu’elle est, nous laissons prospérer les fantasmes. Il y a là quelque chose dont nous devons nous ressaisir urgemment, parce que nous ne devons pas renoncer à notre projet universaliste et républicain, sous peine de donner raison à ceux qui en détournent le sens et en exploitent sans vergogne les faiblesses », conclut-elle.

Ce débat reste délicat, voire explosif. Ce samedi matin, Frédéric Potier, le délégué interministériel à la lutte contre le racisme, a expliqué, sur Europe 1, ne « pas être convaincu que l’on ait besoin de poser ce débat des statistiques ethniques ».

Manuel Valls avait relancé en 2015 cette question, mais François Hollande s’était montré beaucoup plus réticent. Durant sa campagne présidentielle, Emmanuel Macron s’était plutôt dit favorable de manière pragmatique à multiplier le testing, la réponse pénale, et le « name and shame » (nommer et blâmer) pour les entreprises pratiquant la discrimination à l’embauche.

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