“Si le Texas tombe, adieu Donald Trump” : pourquoi ce fief républicain peut faire basculer la présidentielle – Le Journal du dimanche

C’était un dîner de 600 couverts organisé au début du mois dans le méga-stade de 100.000 places d’Arlington, à mi-chemin entre Dallas et Fort Worth, les deux cités rivales du Texas du Nord. Ce soir-là, le sénateur républicain John Cornyn, qui se présente pour un quatrième mandat en novembre, n’y est pas allé de main morte : “Si on perd le Texas, nous n’aurons plus jamais de président républicain de notre vivant.” Confirmation de cette inquiétude cette semaine lors d’une réunion du club républicain d’Arlington.

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Au Maverick’s Bar, une centaine de militants locaux du Tarrant County (2,5 millions d’habitants) se sont rassemblés pour prier et s’organiser. Devant son hamburger-frites, parmi tant d’autres septuagénaires en majorité blancs, le consultant politique conservateur Craig Ownby pèse ses mots : “Si le Tarrant County tombe, le Texas tombe. Et si le Texas tombe, adieu Donald Trump!”

Joe Biden prend sa revanche en Caroline du Sud

L’ancien vice-président américain Joe Biden a largement remporté samedi la primaire démocrate de Caroline du Sud. Il a devancé de 28 points son rival Bernie Sanders, empochant 48,4% des suffrages. Après trois résultats décevants dans les Etats précédents, il s’agit de la première victoire de Joe Biden, 77 ans, dans les primaires démocrates.  

Le Texas n’a pas voté pour un prétendant démocrate à la Maison-Blanche depuis Jimmy Carter, en 1976

“Les républicains se grattent la tête et ils ont conscience qu’ils sont en danger”, nous confie dès le lendemain un homme d’affaires familier des mœurs politiques ­locales. Les chiffres sont là, incontournables. Le Texas, deuxième État le plus peuplé du pays derrière la Californie – 30 millions d’habitants, dixième économie mondiale et deuxième contributeur au collège électoral pour la présidentielle – , n’a pas voté pour un prétendant démocrate à la Maison-Blanche depuis Jimmy Carter, en 1976.

Mais au cours de ces trente dernières années les démocrates ont remonté la pente. De 10 à 15 points, quels que soient les scrutins, locaux ou nationaux. Grâce au poids démographique des Latinos qui a triplé en une génération alors que celui des Blancs a stagné. Mais aussi grâce au flux ininterrompu d’Américains venus d’autres États, notamment de Californie.

Un nouveau vivier d’électeurs secoue les forces politiques

Au siège du parti républicain de Fort Worth, capitale historique des cow-boys et porte d’entrée du Far West, dans un petit bâtiment feutré et sans âme d’une zone industrielle, son chef Rick Barnes nous explique que ces nouveaux venus “fuient le socialisme” des États démocrates pour venir se réfugier au Texas. Mais pour Jana Sanchez, responsable démocrate de l’organisation Blue Texas Strategy, celles et ceux qui se sont installés ici sont jeunes, représentatifs de la diversité ethnique, employés dans de grandes sociétés et constituent bel et bien un nouveau vivier anti-Trump.

C’est ce qui expliquerait en partie le succès, selon elle, de Beto O’Rourke, candidat démocrate à la sénatoriale de 2018, contre Ted Cruz, un baron républicain adoubé par le Tea Party. Si ce dernier a fini par l’emporter sur l’ensemble des circonscriptions, il s’est fait battre de justesse dans le Tarrant County, dernier bastion urbain des républicains au Texas. Pour Rick Barnes, ce fut, confesse-t-il, “un signal d’alarme”. Les agglomérations de Houston, Dallas, San Antonio étaient depuis longtemps démocrates, mais à Fort Worth on n’avait jamais vécu pareille humiliation.

Marissa, 21 ans, piercing dans le nez et jean troué, ne croit pas “au socialisme” de Sanders

Et si l’histoire se répétait en novembre ? C’est là que deux théories s’affrontent. Faut-il au Texas un démocrate comme ­Bernie Sanders, capable de réveiller les foules, d’enthousiasmer les jeunes et de promettre pour tous une révolution sociale? Ou un personnage moins clivant, plus centriste, capable de convaincre les républicains modérés de quitter le camp Trump auquel beaucoup se sont ralliés par discipline plus que par engouement?

Sur le campus d’Arlington de l’université du Texas, noyé de soleil cette semaine, pas de doute, Steve et John sont prêts à en découdre. Tous deux étudiants en sciences politiques, le premier, 20 ans, est un fils d’immigré nigérian et le second, du même âge, est né dans une famille de boat people vietnamiens. Pour Steven, Joe Biden, l’ancien vice-président de Barack Obama, s’est lancé “dans le combat de trop” et le milliardaire Mike Bloomberg n’aurait jamais dû approuver puis défendre les pratiques policières “racistes” d’interpellation et de fouille (stop-and-frisk) lorsqu’il était maire de New York. Va donc pour Sanders et son programme de sécurité sociale publique universelle, malgré son prix exorbitant.

John, lui, est persuadé que Sanders va “marquer l’histoire”. Exalté, il ne comprend pas la vision des démocrates de l’establishment qui consiste à gagner au centre en récupérant les voix des républicains déçus. Dans ce débat improvisé, une voix se distingue des deux autres. Marissa, 21 ans, piercing dans le nez et jean troué, ne croit pas “au socialisme” de Sanders. N’aime pas non plus les “vieux milliardaires sexistes” comme Bloomberg. Trouve le petit maire de South Bend dans l’Indiana, Pete Buttigieg, “raisonnable”. Mais n’est pas sûre du tout de voter en novembre si le démocrate nominé ne lui convient pas.

L’abstention pénalisante des jeunes et des Latinos

Pour leur professeure, Rebecca Deene, l’abstention des jeunes est un vrai sujet. Le Texas est l’un des États avec la plus faible participation du pays aux élections et pour le Tarrant County c’est pire encore. “L’heure n’est pas encore venue de voir le rouge Texas basculer dans le bleu”, soupire-t-elle en faisant allusion aux couleurs des deux grands partis. D’autant, ajoute-t-elle, que la mobilisation des Latinos n’est pas acquise non plus.

Sur l’un de ses chantiers de restauration de maisons, voici Ramon Romero. Ce fils d’immigrant saisonnier mexicain de 44 ans est entrepreneur de travaux dans la banlieue de Fort Worth. Il est parvenu à se faire élire député à l’Assemblée du Texas en 2014. Il a vu nombre de ses frères, y compris ceux qui ont été naturalisés américains, répondre “por qué?” face à son insistance pour les enregistrer sur les listes ou pour les enjoindre de se rendre aux urnes. “Pourquoi voter? Alors que j’ai enfin ma maison, ma voiture et que le travail paie?” D’autres, des femmes notamment, lui ont dit : “Qu’est-ce que j’y gagne?”, comme si elles n’avaient pas réussi à se débarrasser aux États-Unis de la culture politique très clientéliste du Mexique.

Selon les sondages, Trump ne l’emporterait que de 4 points face à Sanders au Texas

Pour Ramon, seul Bernie Sanders peut redonner espoir à ces gens et les convaincre d’aller voter massivement en novembre. Même si le sénateur de 78 ans reste, comme ses concurrents démocrates, farouchement opposé à la moindre restriction du droit à l’avortement, ce qui freine toujours un bon tiers des Latinos texans catholiques pour voter démocrate.

Alors qui pour s’emparer du Texas? Selon les derniers sondages, si Sanders est en tête pour remporter la primaire du Texas mardi, il le perdrait de 4 points face à Trump en novembre, tout comme Bloomberg. Et Biden, de 3 points. Malgré tout, Trump ferait ici tout de même le pire score d’un président républicain depuis un demi-siècle. Ce qui, pour les militants progressistes de Fort Worth, ferait du Texas non plus un État rouge ni encore un État bleu, mais un purple state, un État violet. Autrement dit, le lieu de tous les possibles pour la suite. 

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