Si c’est cher, c’est (aussi) vous le produit

Tous les libristes connaissent cet adage « si c’est gratuit, c’est toi le produit ». Une manière comme une autre d’expliquer que les services en ligne, sous couvert de gratuité, nous font souvent passer à la caisse d’une autre manière, généralement, par la captation de nos données personnelles. S’il y a un domaine où cet adage n’existe pas, c’est l’électroménager.

publicité

Vive la cuisine

Capital diffusait un numéro thématique dimanche dernier sur la cuisine. À ce sujet, si vous voulez vexer un Français, dites-lui que la cuisine française n’est pas plus fabuleuse qu’une autre : succès garanti. Cela marche aussi avec la sécurité sociale. La sécu et la bouffe, ce sont nos vaches sacrées. Revenons au reportage. En premier, la conception même de la cuisine, puis les robots ménagers et enfin, les outils de pâtisserie. Sur la partie consacrée aux robots ménagers, il était impossible d’échapper à la star du secteur : Thermomix. En résumé, il fait tout sauf les courses ou presque.

Pour une fois — ça reste assez rare dans les émissions grand public — il a été question des données personnelles recueillies par l’appareil lors de son utilisation. La liste est assez longue et fondamentalement, les techs ne seront pas surpris. N’importe quel appareil connecté à Internet peut capturer des données personnelles. Maintenant, même les brosses à dents sont connectées, sans parler des frigos qui nous préviennent quand faire vos courses.

Sauf que pour qui regarde attentivement les prix de ces appareils, il y a un gag : plus c’est connecté et donc bavard, plus l’appareil est cher. Le Thermomix coûte plus cher qu’un PC de bureau, alors que les concurrents low cost ou entrées de gamme peuvent être jusqu’à neuf fois moins chers. Il y a la conception, mais aussi la partie connectée.

En résumé, si vous devez changer ou acquérir un nouvel appareil électroménager et que vous tenez un minimum à votre vie privée, regardez les entrées de gamme qui ne sont pas connectées à Internet. Dans certains domaines, c’est un exploit d’en trouver un, en particulier pour les télévisions. Un internaute me disait sur Twitter dimanche soir qu’il avait un mal fou à trouver une nouvelle télévision qui ne soit pas reliée à Google ou Amazon.

Accident industriel

On peut toujours se dire qu’on va acquérir un appareil, tant pis pour les données. Après tout, que peut-il arriver de grave ? En dehors d’une attaque informatique, tout simplement, que la boîte disparaisse, même en ayant pignon sur rue. C’est ce qui est arrivé à l’un des leaders d’un secteur très spécifique : les ceintures de stimulation abdominale.

Slendertone était une marque connue et reconnue dans ce domaine. Les produits avaient été abondamment testés, audités, les commentaires positifs étaient nombreux et on trouvait très facilement les produits. La dernière version était pourvue d’une application mobile, avec un programme pour chaque profil. On peut même configurer un rappel.

Au printemps dernier, l’entreprise a été placée en liquidation judiciaire. Si les ceintures et brassards sont encore vaguement disponibles dans quelques points de vente, trouver les patchs de remplacement est un challenge. Il n’y a eu aucune communication de l’entreprise : c’est grâce à des commentaires laissés sur Amazon et recherches dans la presse économique étrangère qu’on apprend que l’entreprise disparaît.. La page indiquée n’était pas du tout mise en avant sur le site de l’entreprise, ni au printemps, ni à l’été. 

Et les données personnelles ? Pour vous donner une idée, voici ce qu’il faut entrer dans l’application de la dernière ceinture : l’âge, le poids, le sexe, l’état de santé, l’objectif recherché (entraînement, perte de poids suite à une grossesse, remise en forme, fitness), adresse email pour recevoir son bilan hebdomadaire, sans oublier les informations liées au smartphone. 

Profils et revente

L’entreprise qui commercialise le Thermomix a accès à un véritable profil des foyers : elle sait ce que ces clients mangent, à quelle fréquence, le nombre de personnes composant le foyer et peut même avoir une idée des revenus. On peut penser qu’elle ne mettra pas la clef sous la porte et qu’elle ne vendra pas les données personnelles pour s’acquitter d’éventuelles dettes.

On pouvait penser la même chose de Camaïeu. Et pourtant, le fichier client s’est retrouvé temporairement mis aux enchères, avant d’être retiré précipitamment devant la bronca. On peut se bercer d’illusions en se disant « oui, mais, le RGPD ». Comme beaucoup d’autres choses, le RGPD peut éventuellement servir après, mais si une entité a décidé de faire quelque chose, elle le fera quand même.

À ce jour, on ne sait pas du tout ce qu’il va advenir des données collectées par Slendertone. Rien que sur la base des programmes choisis par les utilisateurs, on sait qu’on peut cibler les personnes à des fins commerciales. Ceux qui ont choisi les programmes entraînement ou fitness sont de très bonnes cibles pour tout ce qui touche à l’industrie du sport, de la beauté, de la remise en forme.

On a l’exemple Camaïeu et on a l’exemple Slendertone. Aucune entreprise n’est à l’abri de la faillite et pour les consommateurs, cela veut aussi dire que si on décide d’acheter un appareil connecté, on doit réfléchir à long terme, non seulement sur l’obsolescence du matériel, mais aussi, sur les données récoltées pendant l’utilisation ou même en dehors. Si j’utilise cet appareil au quotidien, que va-t-on apprendre de moi ? De mon quotidien ? De mes habitudes ? De mon régime alimentaire ? Quand on voit la fronde autour de Linky en France, notamment pour des questions liées à la vie privée, on sait que c’est un sujet sensible.

Dans le remake de Firestarter — qu’on vous conseille vivement — les parents de Charlie imposent une vie sans connexion Internet. C’est peut-être ce qu’on devrait faire dans nos cuisines et nos salles de bain, pour garder un minimum de vie privée. Après tout, ce qu’on ne sait pas de vous, ne peut pas vous porter préjudice.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *