Russie : tirer les leçons d’un pari perdu – Le Monde

En évoquant, le 1er septembre, la sombre perspective d’« une guerre longue » en Ukraine, à l’occasion de la conférence annuelle des ambassadeurs réunis à l’Elysée, Emmanuel Macron a confirmé l’évolution à laquelle il a été contraint à propos d’une crise devenue centrale, pour laquelle il a longtemps espéré jouer les médiateurs, mais sans succès. Le président de la République voit sans doute avec dépit son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan, avec lequel il entretient des relations glaciales, y prétendre aujourd’hui, avec pour l’instant de meilleures cartes dans son jeu.

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Emmanuel Macron a assuré devant les diplomates vouloir conserver le contact avec le maître du Kremlin, Vladimir Poutine, pour « préparer la paix », une perspective qui reste pour l’instant illusoire. Il n’empêche : son pari de l’ouverture vers la Russie pour l’arrimer à l’Europe, symbolisé par le sommet de Brégançon, en 2019, a bel et bien été perdu. Et la guerre a relancé une Alliance atlantique qu’il jugeait en « mort cérébrale ».

Evolution contrainte

Face à un homologue russe cadenassé dans une vision délirante de l’Ukraine, la diplomatie performative qui le faisait stigmatiser devant le même parterre un « Etat profond », localisé au Quai d’Orsay et prisonnier d’analyses jugées figées, n’a pas été plus efficace que face à Donald Trump, en 2018, pour tenter de sauver l’accord sur le nucléaire iranien, ou que face au labyrinthe des factions libanaises, deux ans plus tard, après l’explosion qui avait ravagé le port de Beyrouth.

En se rendant à Kiev, en juin, aux côtés du président du conseil italien, Mario Draghi, et du chancelier allemand, Olaf Scholz, qui dirige un pays encore plus déstabilisé par ce premier conflit majeur sur le sol européen depuis la fin de la seconde guerre mondiale, Emmanuel Macron a matérialisé spectaculairement l’évolution à laquelle il avait été contraint.

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Ses détracteurs ont jugé ce déplacement tardif, ce qu’il était factuellement, même si le président de la République n’a alors pas compté ses efforts, à quelques jours d’un sommet européen déterminant, afin d’obtenir pour l’Ukraine le statut de candidate à l’Union européenne. Emmanuel Macron s’était auparavant compliqué inutilement la tâche en répétant ne pas vouloir « humilier » la Russie en Ukraine, une préoccupation inaudible alors que, sur le terrain, l’agresseur russe multipliait vraisemblablement les crimes de guerre. Elle a renforcé la défiance des pays européens de l’Est alors que, dans le même temps, l’autre poids lourd de l’Union, l’Allemagne, payait le prix de choix énergétiques désastreux.

L’obligation de tirer des leçons

Le 17 août, Emmanuel Macron a invité solennellement ses compatriotes à « accepter de payer le prix de notre liberté et de nos valeurs » en se plaçant plus que jamais au côté de l’Ukraine. Une gravité qui a également dominé sa brève intervention en ouverture du conseil des ministres de la rentrée, le 24 août, marquée par l’annonce de « la fin de l’insouciance » et de celle de « l’abondance ».

Dans le discours sur l’Europe prononcé à Prague, le 29 août, le chancelier allemand s’est efforcé de convaincre qu’il est prêt à répondre au « changement d’époque » entraîné par l’invasion russe. Le président français doit, lui aussi, tirer toutes les leçons d’un volontarisme qui a buté sur le réel. L’enlisement du conflit lui en donne non seulement l’occasion, mais surtout l’obligation. C’est une nécessité, s’il entend forger avec ses partenaires européens une parade efficace contre les velléités belliqueuses de la Russie.

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Le Monde

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